Festival International de Jazz de Montréal

2010/06/29 | Par Marie-Paule Grimaldi

Reconnu comme un des saxophonistes les plus innovateurs à la fin des années 50 et début 60, ce n’est pourtant pas l’explorateur que nous étions venus voir en ce dimanche soir, mais plutôt le monument, voire la légende, un classique, une vraie gâterie pour les festivaliers.

À presque 80 ans, Sonny Rollins revenait à Montréal devant un public de jeune et moins jeune pour recevoir le prix Miles Davis – pour la première fois remis non seulement à un collaborateur de Miles mais à un de ses contemporains – et offrir une prestation d’une heure quinze frôlant la perfection. Grandes émotions données par une grande force de vie.

Pourtant rien en apparence ne laissait présager une telle énergie dans le corps du musicien, si ce n’est la chemise rouge flamboyante qu’il portait, rouge comme son cœur, comme son souffle. Le corps courbé autour du saxophone, la démarche fragile, l’afro et la barbe blanche hirsutes, Rollins est physiquement à l’image du vétéran qu’il est devenu.

Mais dès la première fresque de notes puissantes, rapides, une vrille impeccable, c’est nous qui retenions notre souffle pendant qu’il exaltait le sien, en ne pouvant s’empêcher de se demander si il pouvait maintenir la barre aussi haute toute la durée du spectacle. Et nous n’avons pas été déçus.

Prenant toute la place lors de la première pièce, il a continué par la suite plus en osmose avec les musiciens du quintet, excellents, balancés, très attentifs à leur meneur, mais cherchant plus à le suivre qu’à le soutenir.

La synergie de l’ensemble n’avait rien de surprenant, au contraire, c’est dans une proposition confortable et très mature que s’est installé Sonny Rollins. Connu pour son agressivité et sa forte proportion à la rythmique, le saxophoniste travaille de près avec le démentiel batteur Kobie Watkins à l’articulation complexe et explosive.

Cette alliance est en contraste avec la guitare délicate et tout en respire de Russel Malone, la voluptueuse basse de son fidèle comparse Bob Cranshaw et les rythmes juste assez tribales et invitant du percussionniste Victor Y. See Yuen.

Si Rollins a collaboré de plus en plus avec eux à travers les pièces, la richesse des arrangements permettaient surtout de faire ressortir les phrasés clairs et volubiles du saxophone toujours aussi vigoureux.

Le son en soi n’est plus tout à fait ce qu’il était, un peu penchant, mais la justesse de l’exécution des envolées serrées à la hard bop à travers une texture plus moderne, chaude, colorée, relent de fusion, était exceptionnelle. Et c’est avec assurance qu’il s’est promené dans les improvisations, multipliant les citations aux standards, se répondant lui-même fluide et danseur. Un maître de l’art.

Ce n’est pas que la virtuosité musicale qui a créée cette impression d’avoir assisté à un moment parfait, car loin de s’épancher en démonstration technique, la prestation fut sensible et sentie. Sonny Rollins aime ce qu’il fait et fait ce qu’il aime : du jazz. N’ayant plus rien à prouver, le musicien s’amuse, est permissif (il a même chanté un petit blues pour la fin du spectacle) avec tout le plaisir d’un expert.

Il n’a pas offert un spectacle renversant mais tout de même étonnant, parce que émouvant de le retrouver cinq après son dernier passage au Festival de Jazz aussi en forme, aussi accompli. Et c’était une chance de pouvoir l’entendre encore une fois un des grands qui a partagé l’époque et la scène avec Monk, Bud Powell, bien sûr Miles et tant d’autres disparus. On lui est reconnaissant de continuer, lui qui a souvent pris des pauses à une carrière qui l’a toujours moins intéressé que la musique pour elle-même, se plaçant un peu en marge, en loup solitaire, dernier d’une meute de géants.