Gratuité des services publics

2010/07/02 | Par Pierre J. Hamel

Lorsqu’un service est gratuit pour l’usager, il est bien entendu payé par le contribuable : c’est un choix politique. Désormais, nous n’aurions plus le choix : il faudrait abandonner la gratuité et tarifer partout où c’est possible. La crise financière a bon dos!

Les conservateurs de tout poil ont beau jeu d’en profiter pour tenter de nous convaincre qu’il faudrait d’urgence revoir nos façons de financer les services publics, tout en réduisant la gamme des services offerts; ces idées ne sont pas nouvelles mais le contexte de crise permet de renouveler le discours sur un ton alarmiste.

Depuis Margaret Thatcher, « There Is No AlternativeTINA » – « Nous n’avons pas le choix » est l’un des principaux mots d’ordre des conservateurs.

C’est d’ailleurs dans cet esprit « TINA » que les autorités de l’arrondissement Côte-des-Neiges-Notre-Dame-de-Grâce mènent actuellement une consultation sur le Plan directeur Culture, sports et loisirs en réflexion. Le libellé de la sixième et dernière « prémisse », en page 25, commence comme suit : « La gratuité est une utopie ».

L’arrondissement subit certes le contrecoup des difficultés de la ville centrale, comme d’ailleurs Montréal par rapport au gouvernement du Québec et comme ce dernier par rapport au fédéral.

Pratiquement tout le monde reconnaît le déséquilibre fiscal : Québec administre les responsabilités (santé, éducation) qui deviennent particulièrement lourdes pendant que le fédéral dispose d’un surcroît d’impôts, au point qu’il peut soutenir un lourd effort de guerre en Afghanistan tout en ayant pu se permettre deux diminutions de la TPS.

Car il faut « affamer la bête », comme disait Ronald Reagan : d’abord diminuer les revenus pour fabriquer un déficit et ensuite mieux justifier une coupure « obligée » dans les dépenses. Et, à leur tour, les villes se plaignent, avec raison, de subir un semblable déséquilibre fiscal. Pareil pour les arrondissements.

Il est faux de prétendre qu’on n’a pas le choix – on a toujours le choix! C’est d’ailleurs précisément sur ces questions de loisirs et de culture que l’arrondissement Ville-Marie avait choisi, au cours du dernier mandat électoral, de lever un impôt supplémentaire de 0,0255 $, soit deux sous et demi le 100 $ d’évaluation; le produit de cet impôt s’élevait annuellement à 5 millions $ et visait à combler ce que les élus identifiaient comme un manque d’équipements adéquats et cela, plutôt que de créer ou de relever des tarifs pour les utilisateurs.

Les mêmes choix se posent pour la plupart des autres services publics. Si la gratuité disparaît par endroits, elle progresse ailleurs : en effet, en pleine crise économique mondiale, un nombre grandissant de municipalités, françaises notamment, prennent à leur charge, aux frais du contribuable donc, toutes les dépenses des réseaux de transport en commun, qui devient donc gratuit pour l’usager. Il revient aux élus de faire ces choix.

Comme disait Lincoln, « si vous trouvez que l’instruction coûte cher, essayez l’ignorance! » La même chose pourrait s’appliquer aux loisirs et à la culture. À l’heure où on voudrait que, par exemple, tout le monde fasse davantage de sport, il ne serait peut-être pas très approprié de décourager la pratique sportive avec l’instauration ou le relèvement de tarifs.

Les tarifs n’entraînent pas forcément une diminution de la demande. Ainsi, les compteurs d’eau domestique n’ont pas d’incidence sur la consommation des ménages qui est structurelle et pratiquement insensible au prix, mis à part pour les plus pauvres; en revanche, la tarification même partielle des soins médicaux entraîne une sous-consommation préjudiciable chez de larges tranches de la population, des gens qui se résignent à consulter trop tard, lorsque les dommages se sont aggravés; même chose pour les médicaments.

L’arrondissement CDN-NDG ne devrait certainement pas considérer d’emblée que, pour les loisirs et la culture, la gratuité pour l’usager est impossible. Ne serait-ce que parce que c’est parfaitement faux : ici comme ailleurs, il existe une vaste panoplie de modalités de financement des services publics, elles évoluent et la gratuité est bien évidemment une possibilité, parmi d’autres, avec ses avantages et ses inconvénients.

Najac, juin 2010