Festival International de Jazz de Montréal

2010/07/09 | Par Marie-Paule Grimaldi

On nous avait prévenus que le spectacle serait des séquences d’improvisations expérimentales, mais sans plus. Il semblait que les trois noms sur l’affiche se suffisaient d’eux-mêmes : Laurie Anderson, artiste de spoken word, de multimédia et surtout d’avant-garde, le saxophoniste John Zorn, explorateur adoré du festival de musique actuelle de Victoriaville, et Lou Reed, l’icône du rock.

Pourtant leur projet avait été joué ailleurs quelque fois et a même été endisqué, on pouvait donc savoir à quoi s’attendre : une recherche sonore à la limite du bruitage (penser brutal), du noise plus que du free jazz.

Mais du noise à la salle Wilfrid-Pelletier de la Place des Arts ce n’est pas tous les jours et l’onde de choc fut grande, poussant trois cent personnes environ à quitter la salle et à demander remboursement, alors que d’autres restaient pour huer leur mécontentement jusqu’au bout. Mais il y a eu des ovations aussi, et l’impression pour plusieurs d’avoir assisté à un événement, en se retrouvant au cœur de cette controverse.

Est-ce que le public a été mal prévenu ou est-ce que plusieurs ont fait l’autruche? Avec John Zorn, on pouvait s’attendre à de l’éclatement, mais les fans de Laurie Anderson comme de Lou Reed étaient nombreux à s’être procuré leur billet pour profiter de cette rare apparition et furent probablement les plus déçus, implorant jusqu’à la fin pour entendre des succès aimés.

Mais même pour ceux qui s’intéressaient à la réunion des trois créateurs, la proposition était extrême. Pas de structure, pas de rythmique, pas de mélodie, juste des improvisations lancées jusqu’à épuisement du cycle. Trois univers qui se cherchent, se questionnent et se répondent dans l’espace musical. Pari dangereux, car on se demande s’ils seront inspirés ou pas. Et l’imperfection fait partie intégrante du processus.

Zorn au saxophone, Anderson au violon et clavier et Reed à la guitare et bidouillage électronique se sont lancés dans l’exercice, chacun dans leur bulle. Avec des personnalités aussi fortes, la communion était peu possible, et on entendait surtout un dialogue, un discours comme un nouveau langage musical qui cherchait à se structurer en lui-même.

Un paysage inquiétant et souvent tonitruant. Des juxtapositions dans une recherche d’architecture nouvelle. On pourrait se croire dans l’envers du décor. L’ambiance était chargée dès la première pièce. Anderson au violon et clavier servait quelque peu de point de ralliement mais le centre bougeait tout le temps.

Lou Reed ne semblait pas en forme du tout et raclait les bas-fonds de manière minimaliste et dissonante. John Zorn fut inspiré. Avec ses fidèles pantalons de combat, il était en grande forme, prêt à l’aventure et absolument guerrier. Son saxophone se promène où il semble n’avoir aucun repère avec adresse et force. Mais dans cette exploration, on doit dire qu’il est le seul à savoir vraiment ce qu’il fait.

Car c’était presque n’importe quoi par moment. La deuxième pièce fut ratée, aucune compréhension entre les trois performeurs et pendant dix minutes d’improvisation, ils n’ont pas su se trouver.

Quelques personnes avaient déjà quitté après le premier morceau, mais les déplacements furent massifs après le deuxième et les huées se sont fait entendre. Et c’est là que sans micro, droit et arrogant, que John Zorn a crié du fond de la scène « si vous croyez que ceci n’est pas de la musique, fichez le camp d’ici ».

Le public est chaotique, il applaudit, il est choqué, il crie, il part. Déterminés, les musiciens reprennent, cette fois-ci comme liés par le rejet et la colère, dans une pièce très intéressante. Zorn faisait hurler son saxophone. La quatrième - et dernière pièce avant le rappel – fut également assez réussie. Laurie Anderson était toutefois un peu nerveuse, cherchant trop à combler par moment, tandis que Reed s’égarait en distorsion, encore mais un peu mou, las semblait-il, ailleurs.

Toutefois le projet restait intéressant parce qu’il réunissait les trois esprits, l’équilibre ou le déséquilibre tenait à la présence des trois. Présences fortes même pour Lou Reed en bermuda assis courbé sur sa chaise. Le spectacle fut court, en partie à cause de l’atmosphère, mais les applaudissements ont tout de même obtenu un rappel, par contre peu accompli.

En invitant le public à vivre cette expérience à la salle Wilfrid-Pelletier, le FIJM est devenu, peut-être malgré lui, un lieu d’audace et de controverse. S’il est vrai que le public était mal averti, une partie de la confusion venait du lieu, du type de spectacle qu’on y présente généralement et du prix exorbitant de ses billets.

Il aurait été plus honnête de la part du festival de présenter un projet aussi expérimental dans une salle plus petite, plus underground aussi, dans un cadre à l’égal de la proposition et non du prestige de ses performeurs.

Mais quel est ce public qui veut à tout prix cloisonner des artistes dans une certaine partie de leur travail, surtout quand il s’agit d’artistes d’avant-garde?

Lou Reed innovait à l’époque de Velvet Underground, et ce spectacle, surtout dans ce contexte, se place dans cette même démarche. Reste que le public est aussi sincère quoiqu’il en soit, et qu’il a le droit d’être exigeant, et la réponse de Zorn avait tout de l’insulte. Mais on ne défonce des portes en faisant plaisir à tout le monde, l’ouverture, la découverte et le décloisonnement à son prix. Et oui, c’était de la musique.