La technologie MiMo

2010/07/09 | Par Camille Beaulieu

Rouyn-Noranda- Le hasard fait parfois bien les choses ! L'implantation d'Abicom Inc. d'Amos premier fournisseur de l'Internet haute vitesse en milieux ruraux d'Abitibi tombe pile avec l'entrée en vigueur début juillet du règlement modifiant la loi sur la protection du consommateur de services fournis à distance.

Cellulaires, télésurveillance ou Internet, les commerçants n'ont plus la partie si belle. Un simple avis suffit le plus souvent pour rompre un contrat, que le fournisseur ne peut plus tripoter ni reconduire à son gré.

Télébec et Xplornet, les principaux exploiteurs de l'Internet rural depuis dix ans dans cette région sont dorénavant confrontés à une population excédée des modems tortues téléphoniques, des hautes vitesses frelatées et des satellites ruineux. L'arrivée d'Abicom signifie que cette population possèdera bientôt une alternative.

Le hasard est ironique, aussi. C'est depuis les locaux et avec l'appui (non exclusif) de la municipalité de Rouyn-Noranda qu'Abicom annonce qu'elle desservira les rangs et les 14 villages des 8 000 ruraux de cette MRC.

La municipalité de Rouyn-Noranda n'avait manifesté que dédain en 2005 pour la coopérative de ces jeunes fous d'Amos et pour leur technologie vulnérable aux indiscrétions, comme on déconsidérait alors le WiFi. Télébec il est vrai promettait la haute vitesses dans les deux années à venir. Or, les années sont venues. Les années sont venues plusieurs fois même. Mais pas la haute vitesse.

Martin Catudal, le responsable d'Abicom, est un rescapé de cette petite coopérative WiFi morte de l'hostilité, des élus régionaux. Sa nouvelle entreprise utilise une toute nouvelle technologie: MiMo (entrée multiples, sorties multiples) qui permettra, assure-t-il, de couvrir rentablement, jusqu'au dernier rang, un territoire de 60 kilomètres autour de Rouyn-Noranda.

Abicom est une entreprise typique de l'Abitibi. Sa direction et son capital sont d'Amos. René Gingras, le vice-président, ancien député du comté fédéral d'Abitibi au début des années 1980, est un homme d'affaire qu'on dit très heureux. Abicom aurait passé entente avec Radio Nord pour partager une antenne émettrice à Rouyn-Noranda et investi beaucoup déjà dans un centre de service à la sortie sud de Rouyn-Noranda.

Abicom alimentera rangs et villages avec un débit de 2 Mbps (deux millions de bits par seconde) à 39,95$. Un prix et une vitesse ridicules à des urbains qui, par leur câblodistributeur et pour un prix comparable, surfent à 5 Mbps, téléphone et télévision inclus.

Quoique insuffisants, ces deux Mbps représentent le ticket d'entrés dans le XXIème siècle pour des ruraux cantonnés depuis dix ans aux 26 000 bits puis aux 56 000 bits/seconde du modem téléphonique, ou, à un lien satellitaire dispendieux et souvent en panne. MiMo est une technique de réseaux sans fil permettant des transferts de données plus loin et plus vite que la technologie WiFi.


Raz le bol

Personne, vraisemblablement, à l'hôtel de ville de Rouyn-Noranda ou à la conférence régionale des élus d'Abitibi-Témiscamingue (CRÉ) n'est familier de MiMo. Personne pourtant ne décrie ouvertement le projet cette fois-ci, tellement le trop plein de rancoeur rurale se traduit par des compulsions de goudron et de plumes, de jacquerie, voire de recours collectif.

Robert Proulx, président de Xitell, une entreprise d’ingénierie de Trois-Rivières qui fait aussi dans l'Internet rural, diagnostiquait l'hiver dernier « une agressivité incroyable dans les milieux ruraux » de tout le Québec.

Les résidants ruraux de la MRC de Rouyn-Noranda sortiront sans doute bientôt de l’infopauvreté, c’est à dire de l’incapacité à obtenir une desserte Internet à haute vitesse à coût décent. Rien de la dépense somptuaire.

Partout ailleurs le coût d'implantation par village équivaut en gros à un kilomètre d'asphalte. Des MRC tirent même avantage de leur réseau. Papineau, Pontiac et la Vallée de la Gatineau, qui sont partenaires, touchent 25% des revenus. TGVNet en Mauricie reçoit 300 000$ par année.

Une décennie après la généralisation de cette technologie en milieux urbains, de 700 000 à 800 000 Québécois ruraux dans 300 communautés tout particulièrement d'Abitibi, Outaouais, Estrie, Mauricie et Gaspésie (1), n'en attendent pas moins encore impatiemment Godot et la haute vitesse Internet. Seule la proximité d'un hôpital, une clinique ou un CLSC (47 %) influence davantage, à en croire un sondage effectué en février dernier, les intentions de migration des citoyens urbains.

Conséquence de cette gabegie, en tête des leaders mondiaux des technologies de l’information en 2 000, le Canada traîne au 22e rang des pays développés dix dans plus tard. Les universités Oxford de Grande-Bretagne et Oviedo d’Espagne constatent que nous flemmardons au 57ième rang mondial pour la qualité de la bande passante, tandis que l’OCDE s’étonne qu’Internet haute vitesses coûte 55 fois plus cher ici qu’au Japon.

Que pas un seul média national n'ait effectué depuis dix ans de compte-rendu exhaustif de ce tour de passe-passe de nos dirigeants et des géants de la téléphonie, de la câblodistribution et de l'Internet satellitaire aux dépens de centaines de milliers de familles est tristement révélateur de l'état du journalisme au Québec.


1) Groupe de travail sur les collectivités rurales branchées du ministère des Affaires municipales et des Régions