Le Bloc québécois fête 20 ans de résistance

2010/08/13 | Par Pierre Dubuc

Pour saluer les vingt ans de vie politique de Gilles Duceppe, nous publions à nouveau ce texte paru le 26 mars dernier.


« Nous résistons aux tentatives du Canada de ravaler le Québec au rang de province comme les autres. Voilà ce que nous sommes : des résistants! C’est ce que disait un grand Québécois, un grand souverainiste – Pierre Vadeboncoeur – à propos du Bloc et il avait mille fois raison. Pour le moment, nous sommes des résistants. Mais les résistants d’hier seront les vainqueurs de demain. »

C’est par ces mots que Gilles Duceppe, le chef du Bloc québécois, clôturait le Conseil général de son parti, tenu à l’occasion du 20e anniversaire de cette formation politique. C’est l’emploi de cette belle expression de « résistants », qui décrit admirablement bien le rôle joué par le Bloc à Ottawa, qui a offusqué les Lawrence Cannon, Michael Ignatieff et autres ténors fédéralistes.

L’utilisation du mot « résistant » leur rappelait sans doute trop ces paroles – «Ce soir ici, et tout au long de ma route, je me trouvais dans une atmosphère du même genre que celle de la Libération…» –prononcées par le général de Gaulle sur le balcon de l’Hôtel de Ville avant son célèbre « Vive le Québec libre ».

Le premier ministre Lester B. Pearson, à l’époque, et les politiciens actuels n’aiment pas être comparés à une armée d’occupation. Mais tous s’entendent comme larrons en foire pour multiplier les obstacles légaux et constitutionnels afin de contrer l’accession du Québec à l’indépendance nationale.

Plus encore, au lendemain du référendum de 1995, Stephen Harper a déposé un projet de loi prônant la partition du territoire québécois dans l’éventualité d’une victoire du camp souverainiste. Quant à Michael Ignatieff, il a salué l’imposition de la Loi des mesures de Guerre par Pierre Elliott Trudeau en 1970 et il affirme que les Québécois devraient se réjouir de la Conquête britannique parce qu’elle leur aurait apporté la démocratie.

Qui est assez naïf pour croire que ces habitués des coups fourrés – love-in de 1995, scandale des commandites, etc. – ne seraient pas tentés par un coup de force en cas de victoire du Oui lors d’un prochain référendum? Comme le veut l’adage : « C’est toujours la classe dominante qui met la baïonnette à l’ordre du jour ».

Pour empêcher une éventuelle dérive en ce sens, nous n’avons qu’une riposte : la mobilisation populaire la plus large possible. Et la seule véritable base organisationnelle en mesure d’orchestrer ce déploiement est le mouvement syndical. Nous en avons eu une nouvelle démonstration le 20 mars dernier avec la manifestation de 75 000 personnes du Front commun dans les rues de Montréal.

Est-ce la fréquentation régulière des fédéralistes « purs et durs » à Ottawa? Est-ce parce qu’ils voient à l’œuvre de près la machine fédérale? Toujours est-il que le Bloc québécois semble avoir mieux compris cette donnée élémentaire de notre lutte de libération que son parti frère à Québec. Sa trajectoire depuis sa fondation, il y a vingt ans, est remarquable à cet égard. D’un regroupement nationaliste de députés conservateurs – rappelons que le Bloc est une scission du Parti progressiste-conservateur – il a évolué en un parti nationaliste où les forces social-démocrates sont fort bien représentées.

Le Bloc et son chef ont tissé des liens serrés avec le mouvement syndical et bon nombre de ses députés en sont issus. Mentionnons, outre son chef Gilles Duceppe, les Pierre Paquette, Luc Desnoyers, Francine Lalonde, Yves Lessard. Et il ne semble pas que cette proximité avec le mouvement syndical ait été un boulet; le Bloc a remporté les six élections auxquelles il a participé.

La présence du Bloc à Ottawa a pour effet de complètement enrayer la vie politique canadienne en empêchant la formation d’un gouvernement majoritaire. Pendant des décennies, libéraux et conservateurs se sont succédés au pouvoir, les conservateurs faisant alliance avec les nationalistes québécois pour y parvenir. C’est seulement avec l’appui de Maurice Duplessis que John Diefenbaker a pu former un gouvernement majoritaire, tout comme Brian Mulroney n’aurait pu être élu sans le concours de René Lévesque, lorsque celui-ci a troqué la souveraineté pour le « beau risque ».

Stephen Harper a crû pouvoir rééditer l’exploit avec sa reconnaissance de la nation québécoise et l’octroi au Québec d’un siège à l’UNESCO, mais c’était sans tenir compte de la présence du Bloc québécois.

Aujourd’hui, tant les libéraux que les conservateurs savent qu’ils ne peuvent plus espérer faire suffisamment de gains au Québec pour former un gouvernement majoritaire. Alors, que faire? Ils croient avoir trouvé la recette magique dans la refonte de la carte électorale. Dans les trois derniers discours du Trône, Stephen Harper a promis un projet de loi en ce sens, mais sans jamais y donner suite. Pour l’instant.

Cette semaine, le Mowat Centre for Policy Innovation, rattaché à l’Université de Toronto, publiait une étude sur les distorsions de la carte électorale, passée presque inaperçue dans la presse francophone, mais largement commentée dans la presse anglophone.

L’évolution démographique du Canada a entraîné de graves entorses au principe fondamental de toute démocratie, la représentation selon la population. Les provinces de l’Ontario, de l’Alberta et de la Colombie-britannique, dont les populations ont crû rapidement au cours des dernières décennies, sont sous-représentées à la Chambre des communes. En fait, selon le Mowat Centre, 61% de la population canadienne est sous-représentée à Ottawa.

Comme deux dispositions de la Constitution canadienne précisent qu’une province ne peut avoir moins de députés qu’elle a de sénateurs ni moins de sièges qu’elle en avait en 1985, la solution passe par l’ajout de députés dans les provinces où la population a augmenté. Selon les calculs du Mowat Centre, il faudrait ajouter, pour respecter le principe de la représentation selon la population, 11 sièges en Ontario, 4 en Colombie-britannique et 3 en Alberta. Rappelons que, sur la base d’autres calculs, l’Ontario a déjà réclamé 21 sièges supplémentaires.

Peu importe le nombre exact de députés additionnels accordés à ces trois provinces, ce sera suffisant pour permettre la formation d’un gouvernement majoritaire sans le Québec.

La refonte de la carte électorale n’a pas encore eu lieu, mais les libéraux, les conservateurs et l’ensemble de la classe politique fédéraliste fonctionnent déjà comme si c’était chose faite. Le Québec était absent du discours du Trône et de celui du budget, tout comme il l’était aux Jeux Olympiques de Vancouver.

Quand le Québec prendra conscience de sa marginalisation au sein du Canada – résultat inévitable de la perte de son poids démographique, un facteur non réversible à court terme – il est à parier que cela provoquera une onde de choc aussi puissante que l’a été, à la fin des années 1960, la découverte du déclin du français au Québec par suite de la chute du taux de natalité des francophones et de l’anglicisation des allophones. Cela avait provoqué les émeutes à St-Léonard et l’adoption de plusieurs lois linguistiques jusqu’à l’adoption de la Charte de la langue française.

Bien entendu, des voix s’élèveront pour quémander la reconnaissance d’un statut particulier pour le Québec. Les voix de ceux qui ont déjà oublié le rejet des conditions minimales de l’entente du Lac Meech. Les voix de ceux qui n’auront pas compris que le Canada anglais n’est plus à l’heure des concessions à l’égard du Québec.

Après la Conquête, seul notre poids démographique a obligé l’Angleterre à faire des concessions sous la forme de l’Acte de Québec de 1774 pour empêcher le Québec de rallier la Révolution américaine. Plus tard, seule notre importance numérique a fait du Canada une fédération plutôt qu’un État unitaire. Maintenant que cet obstacle est en partie levée, le Canada peut se construire sans et même contre le Québec.

Nous en avons eu la preuve lors de deux votes sur un sujet d’importance capitale : la prolongation de la mission en Afghanistan. Car y a-t-il quelque chose de plus important en politique que la guerre et la paix? Le Québec, par l’intermédiaire de sa députation à Ottawa, a voté majoritairement contre. Mais cela n’empêche pas le Canada d’être en guerre, d’envoyer ses soldats – dont ceux du Québec – au combat, de dépenser en armements des milliards de dollars dont près du quart provient de la poche des Québécois.

Comme le déclarait Gilles Duceppe, le Québec résiste, grâce au Bloc québécois, aux tentatives du Canada de ravaler le Québec au rang de province comme les autres. Et nous profitons de ce 20e anniversaire, pour saluer le travail accompli par le Bloc et son chef. Mais, il est évident que rien n’arrêtera le rouleau-compresseur fédéral si nous ne remettons pas le plus rapidement possible la question de l’indépendance nationale à l’ordre du jour.


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