À propos d’un documentaire présenté à Zone Doc

2010/08/17 | Par Roméo Bouchard

L’auteur est coordonnateur de l’ouvrage collectif L’éolien, pour qui souffle le vent? (Écosociété)


Le documentaire de Louise Leroux sur l’éolien en Gaspésie, présenté pour la deuxième fois à Zone Doc vendredi le 13 août dernier, loin d’être le document «courageux et positif» salué par Jacques Godbout, n’est pas autre chose qu’un pamphlet de propagande en faveur des promoteurs qui ont fait main-basse sur le développement éolien du Québec et ne reculent devant rien pour discréditer tous ceux qui osent dénoncer l’arnaque qu’a constitué ce développement jusqu’à présent.

En effet, ce document donne la parole sans contrepartie aux promoteurs, il occulte délibérément des questions majeures sur le modèle actuel de développement éolien industriel en milieu habité, il discrédite de façon malhonnête les personnes et les groupes nombreux qui ont soulevé avec raison les problèmes techniques, économiques, politiques et environnementaux que pose le modèle actuel d’appel d’offres au privé sans encadrement adéquat.

Il est rare de voir Radio-Canada manquer de jugement et d’esprit critique à ce point dans une émission d’information.

Prétendre sans gêne et sans nuances, comme le fait ce documentaire, que le développement éolien, tel qu’il se réalise présentement, est un choix des Gaspésiens qui profite aux Gaspésiens et aux Québécois, c’est ignorer délibérément qu’il n’y a jamais eu de consultation de la population à ce sujet (le seul référendum connu est celui de Sainte-Luce-sur-mer), que les citoyens et les élus locaux ont été placés dans la plupart des cas sans défense devant le fait accompli, que les redevances octroyées aux communautés, après contestations répétées, ne dépassent guère 1% des profits et que ces profits iront en grande majorité en dehors du Québec, que les retombées régionales dont fait grand état le film en multipliant les images de chantiers colossaux ne dureront guère au-delà de la phase de construction, que les usines installées au Québec se limitent aux composantes extérieures et nous laissent dépendants des grands turbiniers étrangers.

Les retombées actuelles de ce développement selon le modèle libéral «tout au privé» ne sont guère qu’un écran de fumée pour des régions en quête d’emploi; elles n’ont surtout rien à voir avec ce qu’on aurait pu en tirer pour financer nos programmes sociaux et relancer un développement régional qui perdure au-delà de la construction des parcs, à condition qu’on le réalise nous-mêmes, via Hydro-Québec, en partenariat avec les communautés locales, au lieu de le privatiser, à la façon de Duplessis et Taschereau.

Et on nous annonce le même modèle pour l’exploitation irresponsable du gaz et du pétrole le long et dans le Saint-Laurent.

Le film passe sous silence plusieurs rapport du BAPE qui portent un jugement sévère sur le modèle d’appel d’offres tel qu’il s’applique présentement.

L’image qui est donnée des opposants, par des procédés journalistiques bien connus, est malhonnête et blessante. Le traitement fait à M. Chaumel est tout simplement indigne, quand on sait qu’il a été celui qui a généreusement donné à tous le cours d’Éolien 101 sur les éléments techniques, économiques, politiques et environnementaux de base à connaître dans un projet éolien, alors que nos politiciens avaient livré la population pieds et mains liés aux promoteurs et à leurs prospecteurs de vent, et pendant que d’autres universitaires tentaient d’endormir les citoyens avec l’argent d’Hydro-Québec.

Silence également sur les travaux remarquables réalisés par plusieurs groupes, comme le Conseil de l’environnement et la Coopérative de Développement de la région.

J’ai moi-même publié avec plusieurs partenaires parfaitement crédibles un ouvrage de vulgarisation sur l’ensemble du dossier qui va bien au-delà du syndrome «pas dans ma cour » (L’éolien, pour qui souffle le vent, Écosociété) : Mme Leroux ne nous a jamais même rencontrés.

Elle n’en a que pour M. Lefrançois, qui est un grossier propagandiste des promoteurs et à qui elle laisse dire sans contrepartie que l’appel d’offres est un «chef-d’œuvre», et pour un monsieur Évangéliste du Centre éolien, qui est une créature des promoteurs.

D’ailleurs, il y a eu tant de cupidité, d’hypocrisie, d’improvisation et d’empressement malsain dans ce développement que la plupart des projets acceptés dans le deuxième appel d’offres sont en panne, en raison soit des problèmes d’approvisionnement en turbines, soit de difficultés de financement, soit de problèmes d’acceptabilité sociale, tant et si bien qu’il devient impossible de les rentabiliser au prix soumissionné.

Quant aux projets communautaires, ils ne verront sans doute jamais le jour car le modèle n’est pas fait pour eux. Les responsables de cette débandade, contrairement à ce que prétend le film, ne sont pas les citoyens mais les politiciens irresponsables et les promoteurs cupides.

En médiatisant ainsi ce documentaire malhonnête, Radio-Canada porte un coup dur à tous ceux qui ont tenté de faire la lumière sur ce qui se cache derrière ce développement pourtant souhaitable et prometteur au Québec.


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