Le gaz de schiste au Québec : Vers un nouveau Far Ouest

2010/08/18 | Par Lucie Sauvé et al

En réponse à notre article (i) dénonçant les risques et les problèmes associés au développement gazier au Québec, le président de la compagnie Questerre Energy – qui se hâte à forer dans nos terres avec une précipitation injustifiable – déplore que notre discours se fonde sur de « vieux mythes provenant des groupes de pression politiques américains » (Le Soleil et Le Devoir, 6 août 2010).

Étonnant ! Car il faut bien se rendre compte au contraire que les mythes persistants des groupes de pression les plus influents dans cette affaire – à la solde des compagnies pétrolières et gazières – soutiennent justement la précipitation d’un développement à risques qui ne profite qu’à une minorité, bénéficiaire de complicités politico-économiques.

Mais les choses évoluent. Avec le constat alarmant des multiples problèmes générés par la récente activité gazière aux États-Unis (ii) de nouvelles voix se font entendre, dont celle du Sénat de l’État de New York qui demande un moratoire sur toute exploration et exploitation, tant qu’on n’aura pas fait le bilan des dégâts, des risques et des possibilités d’amélioration des pratiques. (iii)

Au Québec, il devient pour le moins extrêmement urgent de disposer des rapports de caractérisation de chacun des sites avant l’ouverture des chantiers et d’obtenir des études qui montreraient avec rigueur que l’activité gazière dans la vallée du Saint-Laurent ne présente pas les mêmes risques de contamination et d’accidents que dans les structures géologiques semblables du nord des États-Unis.

Les chiffres fournis dans l’Opinion du représentant de Questerre Energy – en pleine campagne de promotion – nous laissent perplexes : manque de précisions et absence de mise en contexte.

Par exemple, lorsqu’il affirme que l'exploitation du gaz de schiste au Québec prélèvera beaucoup moins d’eau que l'industrie des pâtes et papiers et autres activités, le calcul est-il basé sur l’ensemble des puits ? Combien et sur quelle période ? Et que signifie cette quantité d’eau dans une région comme la Montérégie, où les niveaux d’eau sont au plus bas ? La comparaison à de pires problèmes d’usage privé de ressources communes n’est certes pas un argument convaincant.

Par ailleurs, comment le « simple citoyen » peut-il interpréter l’énoncé suivant : « Les produits chimiques sont fortement dilués … ont une concentration de moins de 0,005% », alors que la vidéo promotionnelle de Questerre parle de 0,5% (soit 100 fois plus) et que le MRNF annonce 0,6%?

Or lorsqu’on multiplie 0,5 (ou moins, si vous insistez !) par 10 millions de litres d’eau par fracturation, par 8 fracturations et plus par puits et par un certain nombre de puits par municipalité ou région, on obtient une quantité inquiétante d’une soupe chimique dont les promoteurs ont tout avantage à banaliser la composition (en ne présentant entre autres qu’une liste de produits génériques).

Lorsque le président de Questerre Energy écrit  « Plusieurs milliers de puits sont forés chaque année au Canada de façon sécuritaire et responsable », sans doute passe-t-il sous silence les inquiétudes soulevées en Alberta et en Colombie Britannique (iv), de même que l’analyse intitulée Energy Strategy – The Utica Shale Gas Play (v) qui décrit les risques financiers pour les investisseurs potentiels, risques associés à des explosions de puits, des explosions et des feux dans les infrastructures de collecte de gaz, des bris mécaniques avec fuites de gaz, des déversements, ainsi que des accidents impliquant des personnes ou causant des dommages à l’environnement.

Peut-être aussi monsieur le président ne connaît-il pas l’enquête que poursuit l’EPA (vi), ni les rapports inquiétants de l’État de New York (vii) et de la Ville de New-York (viii), qui ne sont pourtant pas … des groupes environnementaux.

L’auteur rappelle que notre gouvernement prépare une nouvelle loi pour « encadrer » l’industrie : « L’Association Pétrolière et Gazière du Québec participe à un task force qui associe l’industrie et le gouvernement pour développer un cadre de travail, essentiel pour un plein développement commercial » (ix) . Cela ressemble au loup qui travaille à la rédaction des lois de la bergerie.

Les divers arguments énoncés par le représentant de Questerre Energy doivent être ainsi revus et discutés un à un. Les membres du Regroupement citoyen « Mobilisation Gaz de Schiste » ont donc entrepris de nourrir un contre-argumentaire:
mobilisationgazdeschiste.blogspot.com

Nous soulignons entre autres que la Loi sur les hydrocarbures annoncée par le MRNF (loi « moderne », mais en quoi ?) n’est pas en avance sur le développement mais bien en retard, d’où la demande répétée d’un moratoire appuyée par une dizaine de MRC représentant plus de 300 000 personnes ainsi que la plupart des grands groupes environnementaux nationaux.

Nous réitérons que les activités minières se situent actuellement de fait au-dessus des lois dont elles contournent allègrement l’esprit. Entre autres, comment l’activité gazière peut-elle être compatible avec la protection du territoire agricole ou le respect du droit à un environnement sain pour les riverains ? Comment peut-on penser que la mise à disposition de nouvelles ressources en hydrocarbures pourra contribuer au développement durable ?

Nous soulignons également qu’aucune étude globale n’a été faite sur les avantages économiques de la filière du gaz de schiste, ni sur sa contribution à la réduction des gaz à effet de serre. Des hypothèses contraires sont même avancées par des chercheurs (x).

Nous rappelons que le gaz naturel est l’une des sources d’énergie dont le prix fluctue le plus, avec des hausses spectaculaires comme en 2001 et une chute des prix dans les années qui ont suivi, entre autres en raison du gaz de schiste. Nous mettons en lumière le fait que les bénéfices privés liés aux activités gazières n’incluent pas les externalités environnementales et sociales, ni à l’échelle locale ni aux échelles régionale et nationale.

Nous insistons sur l’importance de considérer l’avantage exceptionnel que nous donne notre abondante hydro-électricité comme tremplin pour développer un système d’énergies alternatives avantageux à long terme sur tous les plans – économique, social et écologique : le solaire, l’éolien, la géothermie, le biogaz, les économies d’énergie... 

Entre autres, l’efficacité énergétique permet d’augmenter les profits d’Hydro-Québec – de propriété publique – sans aucun dommage « collatéral ».  Si les filières alternatives sont actuellement coûteuses, c’est en grande partie parce qu’elles sont en concurrence directe avec des investissements publics pour les combustibles fossiles.

Malgré tout, le développement de ces filières d’avant-garde avance à un rythme étonnant dans diverses régions du monde et le Québec s’apprête à manquer le départ, engagé de façon frénétique dans sa course obsolète aux hydrocarbures.

 

Lucie Sauvé, titulaire de la Chaire de recherche du Canada en éducation relative à l’environnement, Université du Québec à Montréal

Pierre Batellier, coordonnateur développement durable et responsable pédagogique du DESS gestion et développement durable, HEC Montréal.

André Bélisle, président, Association québécoise de lutte contre la pollution atmosphérique

Johanne Béliveau, au nom du Regroupement « Mobilisation gaz de schiste »

Martine Chatelain, présidente, Eau Secours!, Coalition québécoise pour une gestion responsable de l'eau

Michel A. Duguay, professeur, Faculté des sciences et de génie, Université Laval

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ii En Pennsylvanie par exemple, 1435 violations des lois en 2,5 ans : http://conserveland.org/violationsrpt

v Energy Strategy – The Utica Shale Gas Play

vi EPA Initiates Hydraulic Fracturing Study: Agency seeks input from Science Advisory Board : http://yosemite.epa.gov/opa

vii www.dec.ny.gov/energy/58440.html

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