On s’ennuie d’un Maître chez-nous à la Danny Williams

2010/09/03 | Par Pierre Dubuc

On a entendu, au cours des dernières années, de savants experts prétendre que l’économie du Québec avait quitté l’âge de l’exploitation des ressources naturelles pour faire son entrée dans l’économie du savoir. Mais l’actualité nous invite à une réévaluation de ces prémisses avec, d’une part, la crise de l’industrie forestière et, d’autre part, les projets de mise en exploitation de l’uranium et du gaz de schiste.

Premier constat : l’exploitation des immenses ressources naturelles du Québec constitue toujours l’assise principale de l’économie du Québec. Deuxième constat, le modèle colonial d’exploitation des ressources naturelles est à revoir de fond en comble.

Les réactions des gouvernements de Terre-Neuve et du Québec devant les fermetures d’usines d’AbitibiBowater illustrent bien les deux attitudes possibles.

Pendant que le premier ministre terre-neuvien Danny Williams tient tête à Bay Street, au gouvernement Harper et à la presse torontoise et justifie son expropriation des installations d’AbitibiBowater à Terre-Neuve, le gouvernement du Québec reste bien assis sur ses deux mains quand la papetière ferme définitivement ses usines de Gatineau et de Dolbeau-Mistassini, mettant à pied 550 travailleurs.

Danny Williams jure qu’il n’entend aucunement rembourser le gouvernement fédéral qui vient d’accepter de verser 150 millions à AbitibiBowater après avoir été poursuivi en vertu du chapitre 11 de l’accord de libre-échange (ALENA).

À Québec, le ministre des Finances Raymond Bachand avait pourtant juré, il y a quelques années, lorsqu’il était responsable du ministère du Développement économique, qu’il n’acceptait la fermeture de l’usine de Donnacona qu’en échange de la promesse de la compagnie de maintenir ses activités aux usines de Dolbeau et de Grand-Mère.

Rappelons qu’il autorisait alors AbitibiBowater à se désengager de son obligation d’exploiter de façon continue l’usine de Donnacona jusqu’en 2011. Une obligation contractée en 1998 en échange d’un investissement de 36 millions de dollars par la Société de développement industriel du Québec dans l’usine pour sa modernisation.

Apostrophé aujourd’hui par le National Post, Danny Williams vient de répliquer avec une lettre ouverte dans laquelle il rappelle qu’Abitibi, qui a engrangé des millions en profits depuis 100 ans dans sa province, a mis à pied des centaines de travailleurs « sans même leur verser la paye de séparation à laquelle ils avaient droit. »

Devant son parlement, Danny Williams avait justifié l’expropriation des droits de coupe et de l’utilisation des ressources hydro-électriques en disant qu’AbitibiBowater « avait renié l’esprit de l’entente de 1905 qui cédait ces droits à l’ancêtre de la papetière en échange de sa contribution au développement économique au profit des habitants de la province ».

À Québec, le gouvernement a alloué une garantie de prêts de 120 millions de dollars à AbitibiBowater, qui venait de verser à son président John Weaver une prime de départ de 17 millions $ et un salaire de 7,5 millions $ pour seulement 7 mois et demi de travail.

Dans son édition du 30 août, le Globe and Mail demande en éditorial au gouvernement Harper de se faire rembourser par Terre-Neuve. Il lui suggère de recourir à un article oublié de la Constitution de 1867 sur les pouvoirs à la disposition du gouvernement fédéral en matière de commerce.

Cependant, afin d’éviter un affrontement fédéral-provincial, il recommande à Ottawa de référer la question à la Cour suprême pour un avis juridique sur la constitutionnalité de cette loi.

L’affaire est importante à plus d’un égard. Elle illustre bien les limites imposées à l’exercice de la démocratie et à la souveraineté du peuple par les traités de libre-échange. Dans le cas de l’ALENA, AbitibiBowater a poursuivi le gouvernement fédéral parce que les provinces ne sont pas liées par l’accord.

Cependant, comme le souligne l’éditorial du Globe, les négociations en cours pour un accord de libre-échange entre le Canada et l’Europe visent explicitement à ce que les provinces soient signataires de l’accord.

On voit mal comment le gouvernement Charest qui se fait le promoteur d’une telle entente défendra les intérêts et la souveraineté du Québec face au gouvernement fédéral et aux pratiques des multinationales impliquées dans l’exploitation des ressources naturelles.

Rappelons qu’au cours des trois dernières années, le Québec a figuré en tête du classement mondial établi par les dirigeants de l’industrie minière comme l’endroit le plus favorable aux compagnies, selon une enquête de l’Institut Fraser. Le Rapport du vérificateur général a d’ailleurs révélé que le Québec versait plus en subventions et en allègements fiscaux aux entreprises minières qu’il n’en retirait en redevances.

C’est la même loi sur les mines qui régira l’exploitation future du gaz de schiste. Comme dans le cas de l’uranium, le gouvernement refuse le moratoire demandé par la population et les audiences promises du BAPE n’empêcheront pas le gouvernement d’accorder à des firmes étrangères des droits d’exploration et d’exploitation qui ne pourront être résiliés.

Soulignons, au passage, que le scénario de l’exploitation du gaz de schiste ressemble en tous points à celui des éoliennes. Un développement chaotique, des contrats accordés à des entreprises étrangères, des retombées et des redevances insignifiantes pour la population du Québec.

Pourtant, le Québec a connu au cours de la Révolution tranquille un autre modèle de développement avec la nationalisation de l’électricité sous le slogan « Maîtres chez nous ». Mais, même dans ce secteur, le gouvernement Charest s’est employé à troquer l’intérêt public pour des intérêts privés. Il a obligé Hydro-Québec à confier le secteur éolien et la construction de petits barrages sur les rivières du Québec à l’entreprise privée. Le gouvernement a aussi forcé Hydro-Québec à céder à l’entreprise Pétrolia ses droits de prospection de gaz et de pétrole sur l’île d’Anticosti et le golfe Saint-Laurent.

L’exemple des petits barrages illustre à merveille la façon de faire du gouvernement Charest. Le gouvernement vient de conclure une entente pour la vente d’électricité au Vermont au prix de 6 cents le kilowatt/heure, alors qu’il accepte de payer 7,5 cents le kilowatt/heure aux producteurs privés de petits barrages.

Des révélations du député Amir Khadir ont démontré que la firme d’ingénierie Axor, qui s’est vue octroyer l’exploitation de petits barrages sur trois rivières, contribuait illégalement par le biais de prête-noms à la caisse électorale du Parti libéral. Les petits barrages sont une planche à billets pour le parti de Jean Charest.

Malheureusement, bien que toutes ces politiques soient coiffées du slogan de « l’indépendance énergétique », nous sommes loin du « Maître chez nous! ». En fait, mis à part Amir Khadir et le député péquiste Jean-Martin Aussant, qui s’est prononcé en faveur de la nationalisation du gaz de schiste – tout en reconnaissant que ce n’était pas la politique de son parti – nous ne voyons pas d’émules de Danny Williams poindre à l’horizon. Le Québec mérite mieux.

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