AbitibiBowater: Les travailleurs forestiers mettent le holà

2010/09/08 | Par Pierre Dubuc et Maude Messier

Les créanciers d’AbitibiBowater tiendront le 14 septembre prochain un vote crucial quant à l’avenir de l’entreprise. Placée sous la protection de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies (LACC) depuis plusieurs mois, AbitibiBowater s’active à la restructuration de ses activités.

Bien que les conventions collectives ne soient pas arrivées à échéance, des négociations de groupes ont été menées en vue de conclure des ententes dans l’éventualité où l’entreprise émergerait de la LACC.

Stéphane McLean, représentant national du Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier (SCEP-FTQ), explique qu’une «entente type» a été conclue avec les sections locales du

SCEP dans le secteur des papetières. «Une entente presque identique sera aussi effective pour les scieries. Mais du côté des travailleurs forestiers, c’est l’impasse.»

M. McLean confirme que «d’importantes concessions ont été faites par les travailleurs, notamment des baisses salariales de l’ordre de 10%, une diminution des vacances et une réduction de la masse salariale de 4% pour ne nommer que celles-là.»

Pour les travailleurs forestiers, le problème réside dans le fait que les importantes concessions exigées de leur part ne sont pas assorties d’une garantie d’emploi. «On ne va pas signer une entente sur cinq ans qui va diminuer considérablement nos conditions de travail alors qu’on n’aura peut-être même plus d’emplois dans trois ans!»


Un nouveau régime forestier litigieux

Pour le SCEP, le nouveau régime forestier québécois, dont la mise en place est prévue pour 2013, est au cœur du litige. Le régime actuel est basé sur un système de contrats d’approvisionnement et d’aménagement forestier (CAAF) permettant à son titulaire, soit une usine de transformation du bois exclusivement, de récolter un volume de bois ronds pour assurer le fonctionnement de son usine chaque année sur un territoire donné.

Or, le nouveau régime prévoit que les titulaires de CAAF auront la possibilité de donner à contrats la récolte pour une partie des volumes de bois. En d’autres mots, il pourrait ne plus y avoir de présomption du lien d’employeurs entre l’entreprise, AbitibiBowater dans ce cas-ci, et les travailleurs forestiers.

«On veut qu’AbitibiBowater s’engage à ce que ce soit nos travailleurs qui récoltent le bois sur les territoires historiques, là où on a des routes, des chemins, des camps.» Stéphane McLean explique que les négociations cheminaient vers un règlement, mais qu’AbitibiBowater refuse de s’engager sur cet aspect. «Nous, on dit qu’il n’y aura pas d’entente sans ça.»

Les négociations ont achoppé à la mi-juin et depuis, AbitibiBowater n’a pas bougé sur cette question.

Pour le vice-président du SCEP, Renaud Gagné, la volonté d’obtenir une entente satisfaisante pour les parties au 14 septembre ne semble pas trop presser AbitibiBowater.

Le fait qu’aucune entente avec les travailleurs forestiers ne survienne et que le SCEP se soit retiré des négociations devrait certainement «exciter un peu les créanciers. Ça risque de leur faire peur, de les inquiéter et ça pourrait changer leur vote. Il faudrait peut-être qu’AbitibiBowater se réveille», reconnaît-il en entrevue à l’aut’journal.

Il fait valoir que les demandes du SCEP n’ont rien d’extravagant. «On réclame que l’entreprise s’engage à faire ses propres exploitations jusqu’en 2018 et que les exploitations en territoires historiques soient faites pas nos travailleurs.»

Renaud Gagné précise que la sous-contraction aura des conséquences majeures pour les travailleurs forestiers. «Il faut comprendre que ce sont les mêmes travailleurs qui feront l’exploitation pour les sous-contractants. Le même travail, mais à des conditions moindres; ils sont perdants de A à Z.»


Rire du monde

Les négociations dites «volontaires» entre la multinationale et le SCEP sont dans un bourbier. «Volontaire est un grand mot… Disons qu’on l’a plutôt fait avec une hache au-dessus de la tête, souligne Renaud Gagné. On a fait notre bout de chemin dans ce dossier-là. Pour le moment, c’est l’impasse. On prendra les moyens qu’il faut au moment opportun.»

«On ne se cachera pas que les annonces de primes octroyés aux dirigeants ont quelque chose de vraiment choquant. Je peux vous dire que ça grogne pas mal», déplore Stéphane McLean.

Si les travailleurs ont consenti à d’importantes compressions, le SCEP indique toutefois que la colère et l’indignation sont palpables. Il y a en effet quelque chose d’indécent pour AbitibiBowater d’éreinter ses travailleurs tout en octroyant des primes de 6 millions $ à ses cadres.

Faut-il aussi rappeler que l’ancien président de la multinationale, John Waever, s’est vu versé une prime de départ de 17 millions $ en plus d’un salaire s’élevant à 7,5 millions $ pour sept mois et demi de travail?


Coup dur pour l’économie régionale

Le député de Roberval, Denis Trottier, indique que sa région est sérieusement affectée par les déboires d’AbitibiBowater, considérant que les deux tiers des emplois dépendent de la forêt.

M. Trottier et le SCEP confirment que des efforts sont actuellement investis dans un projet pour relancer la papetière de Dolbeau-Mistassini, tout comme celle de Gatineau d’ailleurs. «Compte tenu des clauses de non concurrence et des difficultés que connaît l’industrie du papier, il faut investir dans des projets différents pour lesquels il existe un marché, comme le papier hygiénique par exemple», explique le député de Roberval.

Les pertes d’emplois confirmées tout comme celles qui menacent sans cesse les travailleurs sont lourdes de conséquences pour les régions où l’industrie forestière représente un secteur d’activité névralgique de l’économie régionale, comme en Abitibi-Témiscamingue, sur la Côte-Nord et au Lac-St-Jean.

Près de 2 000 travailleurs forestiers sont concernés par ce conflit qui survient alors qu’AbitibiBowater a récemment annoncé la fermeture définitive des papetières de Gatineau et de Dolbeau-Mistassini, une mise à pied totale de 550 travailleurs.


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