Assurance-emploi : les gouvernements empochent, les chômeurs écopent

2010/09/15 | Par Maude Messier

Aux yeux du gouvernement fédéral, la crise économique n’est plus qu’une ombre du passé. « Nous ne sommes plus en récession », déclarait le ministre des Finances, Jim Flaherty, en conférence de presse la semaine dernière.

Confirmant que les mesures de bonification des prestations d’assurance-emploi mises en place pour répondre aux mises à pied massives prenaient fin le 11 septembre, il annonçait du même coup une hausse prochaine du taux de cotisation au régime.

La recommandation de l’Office de financement de l’assurance-emploi du Canada (OFAEC) en faveur d’une hausse maximale du taux de cotisation pour « renflouer » la caisse du régime secoue bien des organisations, tant patronales que syndicales.

Le taux de cotisation se situe actuellement à 1,73$ par 100$ gagnés pour les travailleurs. La hausse maximale étant fixée à 0,15$ par 100$, le taux de cotisation pourrait donc atteindre 1,88$ dès janvier prochain.


Un faux débat sur le dos des chômeurs

Si plusieurs estiment que le moment est mal choisi pour imposer aux travailleurs et aux employeurs cette hausse et que la situation risque de mettre en péril la reprise économique, le Conseil national des chômeurs et chômeuses n’est pas de cet avis et dénonce plutôt le « faux débat » entourant la question du régime d’assurance-emploi.

Rencontré par l’aut’journal, le porte-parole de l’organisation, Pierre Céré, précise que plusieurs économistes estiment que le taux de cotisation médian devrait se situer entre 2,20$ et 2,40$ pour assurer une bonne couverture aux travailleurs, améliorer l’accessibilité du régime et assurer sa pérennité.

« Alors, 1,88$, ce n’est pas la fin du monde. Si le taux doit être relevé, qu’il le soit… mais qu’on donne la couverture à laquelle les travailleurs ont droit. C’est ça le vrai débat: protéger les travailleurs comme il se doit. »

Il déplore que les gouvernements successifs aient manipulé à des fins politiques et idéologiques le régime d’assurance-emploi. « Les libéraux créaient artificiellement des surplus dans la caisse en restreignant la couverture et l’accessibilité du régime. Les conservateurs, eux, maintiennent le taux trop bas pour créer volontairement un déficit. »

D’après les chiffres fournis par le Conseil national des chômeurs et chômeuses, seulement 49,8% des chômeurs cotisants sont admissibles à l’assurance-emploi. Chez les travailleurs saisonniers, la proportion des salariés admissibles n’est que de 71,8% et chute à 19,4% pour les travailleurs à temps partiel.

« La réforme de 1996 a exclu une grande partie des travailleurs du régime d’assurance-emploi, spécialement les statuts précaires. Les jeunes, les travailleurs saisonniers et à temps partiel, victimes de ces mesures restrictives, sont pourtant les plus directement affectés par la crise économique. »


Au bon vouloir des gouvernements

Pour Pierre Céré, il faut remonter à la réforme Axworthy et aux compressions structurelles majeures de 1996 effectuées par le gouvernement libéral dans le régime d’assurance-emploi.

Le taux de cotisation fixé à 2,95$ et les importantes compressions minant l’accessibilité et la couverture du régime ont eu pour effet de générer des surplus considérables de façon artificielle, sommes que s’est approprié impunément le gouvernement.

« Ces sommes colossales appartenaient pourtant à la caisse d’assurance-emploi et elles ont été utilisées à d’autres fin. Autrement dit, ils ont instauré une nouvelle forme d’impôt, payé par les cotisants. » Une imposition inéquitable considérant que le salaire maximum assurable est de 43 000$, ce qui revient à dire que les fortunés ne paient pas leur juste part.

Syndicats et groupes sociaux ont mené pendant plusieurs années une lutte acharnée pour faire reconnaître que le détournement des surplus de la caisse constituait en fait un « vol de la caisse d’assurance-emploi ». Ils ont été déboutés par un jugement de la Cour suprême en 2008. « Ce jugement a conforté le gouvernement dans ses actes et a, en quelque sorte, légalisé et légitimé le procédé. »

Or, même après le jugement de la Cour suprême, « la Commission de l’assurance-emploi, un organisme tripartite où sont représentés les travailleurs, les employeurs et l’État, comptabilisait la dette de l’État envers la caisse d’assurance-emploi quant à l’utilisation des surplus cumulatifs à d’autres fins, dette qui s’élevait à 57,2 milliards au 31 mars 2009 d’après les données mêmes de la Commission », explique Pierre Céré.

Pour remédier à la situation, le gouvernement conservateur exécute une manœuvre plus « odieuse » et plus « insidieuse » encore, aux dires de M. Céré. La partie 24 de la loi d’exécution du budget fédéral adoptée au printemps dernier modifie la Loi sur lassurance-emploi.

« (…) par la création, parmi les comptes du Canada, dun nouveau compte intitulé Compte des opérations de lassurance-emploi et par la fermeture du Compte dassurance-emploi ainsi que sa suppression des comptes du Canada. »

« En gros, ils ont fermé la shop et l’ont réouverte de l’autre côté de la rue sous un autre nom, en prenant soin d’annuler la dette de 57 milliards au compte effacé. C’est fantastique!, ironise Pierre Céré. Comme si ce n’était pas assez, le gouvernement impose un déficit de partance au nouveau compte de 10 milliards $. »

Pierre Céré est d’avis que la création artificielle du déficit de la « nouvelle » caisse d’assurance-emploi s’apparente à un mécanisme de propagande pour « préparer l’opinion publique à toutes sortes de choses et légitimer toutes sortes d’actions ». Il estime que cette propension à installer un climat de crise est inquiétante parce qu’elle crée un sentiment de panique.

Dans cette perspective, il s’en prend aux détracteurs du régime d’assurance-emploi qui s’horripilent du fait que celui-ci accuse un déficit de 879 millions pour l’exercice 2008-2009.

« C’est la première fois en quinze ans qu’il y a un déficit. Ce qui n’est vraiment pas grand-chose, toute proportion gardée dans l’ensemble du budget fédéral. C’est normal, ces chiffres s’inscrivent au coeur de la crise économique. »

Stratégie politique ou campagne de désinformation, l’assurance-emploi demeure assurément un dossier chaud qui soulève beaucoup de grogne, « mais qui ne se traduit malheureusement pas par une grande mobilisation, se désole le porte-parole du Conseil national des chômeurs et chômeuses. Une chance que le Québec est là pour se battre sur ce front, avec le Bloc Québécois en appui politique, parce que sinon, ce ne serait pas beau! »

Si aucune procédure judiciaire n’est encore entamée quant à la manipulation législative des conservateurs et la « disparition » de la dette de 57,2 milliards $, il semblerait que des discussions soient en cours quant à d’éventuels recours juridiques d’après les informations obtenues par l’aut’journal.


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