Coûts de la santé : deux rapports contradictoires

2010/09/16 | Par Pierre Dubuc

Radio-Canada, Le Devoir, The Globe and Mail et plusieurs autres grands médias ont fait leur manchette cette semaine avec les résultats d’une recherche selon lesquels les Canadiens payeraient 30% trop cher leurs médicaments.

Mais le journal La Presse n’a pas daigné consacrer à cette recherche ne serait-ce qu’un entrefilet. Son chroniqueur Claude Picher a plutôt choisi de monter en épingle une étude de l’OCDE qui recommandait au Canada de faire une plus grande place au privé pour réduire ses coûts en santé.

Pourtant, l’étude de Marc-André Gagnon et Guillaume Hébert, réalisé avec la collaboration du CCPA et de l’IRIS, offre une toute autre alternative. Intitulée « Argumentaire économique pour une régime universel d’assurance-médicaments (Coûts et bénéfice d’une couverture publique pour tous) », elle montre qu’un régime universel public permettrait d’économiser près de 11 milliards de dollars par année, soit une diminution de 43% du coût total.

La différence de traitement s’explique en partie par le biais idéologique de La Presse en faveur du privé, mais surtout, lorsqu’on prend connaissance de l’étude sur les médicaments, par les intérêts particuliers des propriétaires de Gesca, la filiale de Power Corporation. Examinons cela d’un peu plus près.


Le rôle obscur des compagnies d’assurance

Les chercheurs Gagnon et Hébert rappellent que le Canada a dépensé 25,4 milliards de dollars en médicaments d’ordonnance en 2009 et que le coût des médicaments a augmenté de plus de 10% par année depuis 1985. Il constitue un facteur important de l’augmentation du total des dépenses en santé.

Qui dit régime privé de médicaments dit assurance privée. Au Canada, 45% à peine des dépenses en médicaments proviennent de fonds publics, ce qui place le Canada au deuxième rang parmi les pays de l’OCDE, derrière les États-Unis, pour la participation des assureurs privés aux dépenses en médicaments.

La grande majorité des régimes privés sont fournis par les employeurs et couvrent quelque 16 millions de personnes, soit environ la moitié de la population du Canada. Les primes de ces régimes ont grimpé de 15% par année dans les années 2000, soit beaucoup plus que les hausses des coûts des médicaments (8%), nous apprend l’étude de Gagnon et Hébert.

La raison de cette flambée des primes est simple, expliquent-ils. La plupart des régimes privés sont gérés par des compagnies d’assurance dont la rémunération est basée habituellement sur un pourcentage des dépenses. Par conséquent, il existe un incitatif financier non pas à essayer d’enrayer l’augmentation des coûts, mais plutôt à les faire grimper.

En outre, soulignent-ils, les formulaires des régimes privés d’assurance-médicaments acceptent de couvrir tous les nouveaux médicaments coûteux, même s’ils ne sont pas plus bénéfiques pour les patients que les médicaments existants et moins chers.

Il est aussi clair, soutiennent-ils, que l’assurance privée est moins efficiente sur le plan des frais d’administration. Les frais administratifs des régimes publics en Ontario et au Québec ont été estimés à 2% tandis qu’ils atteignent 8% dans le cas des régimes privés. Si la couverture était fournie par un régime universel d’assurance-médicaments, les coûts épargnés pourraient atteindre 560 millions par année.

De plus, les régimes privés d’assurance reçoivent des subventions à caractère fiscal de l’ordre de 10% de leurs dépenses. Chaque année, un programme universel d’assurance-maladie permettrait de récupérer quelque 933 millions de dollars en subventions à caractère fiscal.

Les régimes privés d’assurance-médicaments paient aussi leurs médicaments plus cher que les régimes publics, particulièrement dans le cas des médicaments génériques, parce que les régimes publics ont un plus grand pouvoir de négociation. Les régimes privés paient habituellement 7% de plus pour les médicaments génériques et 10% de plus pour les médicaments de marque non brevetés.

Il s’ensuit, concluent-ils, que le prix de détail des médicaments d’ordonnance affichés au Canada sont parmi les plus élevés des pays de l’OCDE et que les Canadiens paient 30% plus cher que la moyenne de l’OCDE.

C’est sans compter le fait, comme l’a révélé une enquête de Statistique Canada, que 24% des Canadiens n’ont pas d’assurance-médicaments et que 8% admettent qu’ils n’ont pas fait remplir au moins une ordonnance au cours des 12 derniers mois en raison du coût des médicaments.

Les auteurs ont également analysé les retombées des différentes politiques industrielles reliées à l’industrie pharmaceutique pour en conclure que cet argument ne tient pas la route.


Claude Picher choisit son camp

Revenons maintenant à Claude Picher. Pourquoi n’a-t-il pas fait part des résultats de cette étude aux lecteurs de La Presse? Est-ce parce que son patron, la famille Desmarais, est propriétaire, par l’entremise de Power Corporation, des plus grandes compagnies d’assurances au Canada : la Great-West Lifeco, la London Life et Canada Life?

D’autre part, Claude Picher sait pertinemment bien qu’il sera bien vu de son patron s’il sert de courroie de transmission des idées de l’OCDE sur la réforme du système de santé, c’est-à-dire la suppression des réglementations interdisant la couverture privée des services de base, la suppression de l’interdiction des contrats mixtes public-privé pour les médecins et l’introduction d’une participation financière des patients

C’est ce qu’il le fait servilement dans son article « Santé : coup de semonce de l’OCDE », publié dans La Presse du 14 septembre.

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