Au-delà de la Commission Bastarache

2010/09/20 | Par Victor-Lévy Beaulieu

La Commission Bastarache ne serait que ce cirque pitoyable dont a parlé Marc Bellemare, et la chose, bien que scandaleuse, pourrait être considérée comme un fait divers dans notre société : on en oublierait bien vite les tenants et les aboutissants.

Mais ce n’est pas le cas, la Commission Bastarache me paraissant être plutôt la cerise sur le sundae du démantèlement de nos institutions. Aucune société, surtout quand elle est aussi fragile que la nôtre, ne peut se permettre le luxe d’institutions qui n’en sont plus vraiment. C’est là la grande leçon qu’on peut tirer dès maintenant de la Commission Bastarache : la légitimité de l’institution politique et celle de l’institution judiciaire ne sont plus que des mots dépouillés de tout sens.

Ce n’est pas le seul fait du gouvernement actuel et du Parti libéral : le Parti québécois ne valait guère mieux quand il était au pouvoir, et les choses ne se sont guère améliorées depuis que Pauline Marois en est la cheftaine. Le 2 septembre dernier, elle donnait une autre fois toute la mesure de son incompétence en répondant aux journalistes qui l’interviewaient sur son silence par-devers les travaux de la Commission Bastarache :

« J’ai fait du travail de terrain, je me suis attelée à revoir mon organisation afin qu’elle soit prête pour la rentrée parlementaire. »

Elle a ajouté que pour elle, Marc Bellemare et Jean Charest ne se livraient « qu’à une joute d’image », preuve, si besoin était encore d’en trouver une, de son manque affligeant de jugement. Les membres du Parti québécois, et en premier lieu ceux de son establishment, auraient dû être indignés de tels propos. Mais le Parti québécois n’a plus rien à voir avec le projet de l’indépendance qui l’a fait naître : il est devenu le parti de ceux que l’idée de souveraineté a enrichis et rendus bourgeois. Et les bourgeois, comme on sait depuis Jacques Brel, plus ils deviennent vieux et plus ils deviennent bêtes !

Avec la Révolution tranquille, le syndicalisme a forcé l’institution politique à reconnaitre les droits des travailleurs et ceux de ce qu’on appelle le petit peuple. Le syndicalisme est lui aussi devenu une institution qui a abandonné ses idéaux pour mieux devenir un pouvoir d’argent. Dans les bilans annuels de nos centrales syndicales, l’argent qu’on y gère prend maintenant presque toute la place : on n’y parle pour ainsi dire pas de tous ces travailleurs laissés pour compte, notamment ceux qu’on appelle autonomes et qui se font exploiter impunément. Comme me l’a déjà dit un représentant syndical : « Ça demanderait trop de travail. »

Que certains syndicats vivent désormais de la corruption, rien là de bien étonnant. Qu’ils aient partie liée avec l’institution politique, rien là d’étonnant non plus. Et ils ne sont pas les seuls à ramer dans cette galère. Au dernier congrès de l’Union des municipalités du Québec, un fait important est passé inaperçu dans presque tous nos médias : on y a voté à l’unanimité une résolution demandant au gouvernement de ne pas tenir de commission d’enquête sur la construction. Et pourquoi donc, croyez-vous ? Parce qu’une commission d’enquête sur la construction serait descendue jusqu’aux instances municipales et qu’on y aurait sans doute appris pourquoi nos infrastructures routières nous coûtent jusqu’à 40% de plus qu’en Ontario et qu’aux États-Unis ! En guise de récompense de son appui au gouvernement, l’Union des municipalités lui demande aujourd’hui de prolonger son programme d’infrastructures. Si ce n’est pas là de la corruption, je me demande bien ce que c’est !

Pour tout dire, le Québec de la Révolution tranquille, fondé sur la solidarité, est bien mort. Un Québec corporatiste lui a succédé, chacun travaillant pour sa chacune au détriment s’il le faut du bien commun. L’Union des producteurs agricoles le démontre chaque jour en faisant tout ce qu’elle peut pour empêcher l’émergence d’une agriculture alternative et écologique parce qu’elle est un monopole et n’entend pas le partager. Qu’elle marche bras dessus bras dessous avec l’institution politique corrompue, quelle importance si le cochon, grassement subventionné, se porte bien !

Quant à l’Église chrétienne, elle a tué elle-même le dieu qu’elle prétendait servir en se substituant à ces vendeurs pourris du Temple que le Christ a dû pourtant chasser à grands coups de fouet.

On aurait donc intérêt à relire Nietzsche, notamment ces deux paragraphes parmi tant d’autres qu’il a écrits sur la corruption :

« On prétend que pour compenser en quelque sorte le reproche de superstition et de relâchement aux époques de corruption, les mœurs sont plus douces et que, comparée aux époques anciennes, plus croyantes et plus fortes, la cruauté était en diminution… Je ne reconnais qu’une chose, c’est que la cruauté s’affine maintenant et que les formes qu’elle revêtait anciennement lui sont dorénavant contraires : la blessure et le supplice, cependant, au moyen de la parole et du regard, atteignent, en temps de corruption, leur développement complet. Les hommes de la corruption sont spirituels et calomniateurs ; ils savent qu’il y a d’autres façons d’assassinat que par le poignard et la surprise, ils savent aussi que l’on croit tout ce qui est bien dit.

« Lorsque la décomposition a atteint son apogée, la corruptibilité et la trahison sont les plus fréquentes : car l’amour de l’ego qui vient d’être découvert est maintenant beaucoup plus puissant que l’amour de la vieille patrie, usée et rabâchée. L’avenir est alors si incertain qu’il faut vivre au jour le jour ; un état d’âme qui donne jeu facile à tous les séducteurs – car on ne se laisse séduire et corrompre que pour « un jour » et l’on se réserve l’avenir et la vertu. »

Pour échapper au démantèlement systématique de nos institutions, il faudrait non seulement que se fasse entendre la parole citoyenne, mais que celle-ci devienne un formidable mouvement d’union et de solidarité et chasse du Temple québécois avant qu’il ne s’effondre tous ceux-là qui besognent à sa décomposition. Le parti de l’Union citoyenne, il est grand temps qu’on s’y mette, de préférence avec chacun un fouet à neuf nœuds au bout du bras !


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