Éducation: le Québec prend le virage américain

2010/09/29 | Par Pierre Dubuc

Depuis plusieurs années, les gouvernements successifs à Québec veulent imposer aux commissions scolaires des obligations de résultats chiffrables. 

Un pas important dans cette direction a été franchi avec la loi 88 qui apporte d’importantes modifications à la Loi de l’instruction publique. Il y est stipulé que les commissions scolaires doivent signer avec le ministère des « conventions de partenariat » qui prévoient « des orientations, des buts fixés et des objectifs mesurables ».

Chaque établissement devra donc signer avec la commission scolaire un contrat annuel dans le but de contribuer à l’atteinte des buts fixés et des objectifs mesurables établis par cette convention de partenariat.


Des objectifs mesurables

Cette contribution de l’établissement s’articule autour de cinq objectifs : l’augmentation du taux de diplomation et de qualifications, l’amélioration de la maîtrise de la langue française et l’amélioration de la persévérance scolaire et de la réussite des EHDAA, l’amélioration de l’environnement sain et sécuritaire dans les établissements et l’augmentation du nombre d’élèves de moins de 20 ans en formation professionnelle.

En ce qui concerne la diplomation et la qualification avant l’âge de 20 ans, des objectifs précis ont été fixés. Ainsi, le taux doit passer de 2010 à 2020 de 76% à 86% pour la c.s. des Patriotes, de 60% à 73% pour la c.s. Marie-Victorin et de 66% à 79% pour la c.s. de la Vallée-des-Tisserands.

Bien entendu, ces objectifs globaux vont se répercuter en objectifs précis pour chaque établissement. Qu’arrivera-t-il si des établissements n’atteignent pas les buts visés? Ce n’est pas encore clair. Mais un coup d’œil à ce qui se vit aux États-Unis – d’où ce modèle éducatif est importé – nous permet d’entrevoir la suite des choses.


No Child Left Behind

Dans son livre The Death and Life of the Great American School System, Diane Ravitch décrit et fait le bilan de la grande réforme du système d’éducation américain dans le cadre du programme No Child Left Behind du président George W. Bush.

Mme Ravitch, qui a été associée de très près à ce plan, rappelle que, trois jours à peine après son assermentation en 2001, George W. Bush avait réuni à la Maison Blanche plus de cinq cents enseignantes et enseignants pour leur présenter son plan.

Le programme No Child Left Behind, tel qu’il sera adopté par le Congrès américain, s’articulait autour des points suivants :

  1. Les États doivent choisir leurs propres tests d’évaluation et adopter trois niveaux de performance (de base, compétent et avancé). À chaque État de définir ce qu’il entendait par « compétent ».

  2. Toutes les écoles publiques recevant des fonds fédéraux doivent faire passer des tests d’évaluation à tous leurs élèves de la 3e à la 8e année en anglais et en mathématiques et ventiler les résultats par le statut, la race, le groupe ethnique, les revenus, les élèves en difficulté et ceux dont la compétence est limitée en anglais. Le but était que la situation de chaque sous-groupe ne soit pas noyée dans la moyenne générale.

  3. Tous les États doivent produire des échéanciers démontrant comment 100% de leurs élèves vont être de niveau « compétent » en anglais et en mathématiques en 2014.

  4. Toutes les écoles doivent enregistrer des progrès annuels constants pour chaque sous-groupe dans le cadre de l’objectif de 100% pour 2014.

  5. Toute école dont les progrès seront inadéquats pour les différents sous-groupes sera cataloguée comme école ayant besoin de s’améliorer.

La première année où l’objectif ne sera pas atteint, l’école sera mise sous observation. La deuxième année, elle devra offrir à tous ses étudiants le droit d’être transféré vers une école plus performante, le transport étant défrayé à même les fonds fédéraux.

La troisième année, l’école devra offrir des services de tutorat gratuits aux élèves en difficulté à faibles revenus, payés à même les fonds fédéraux. La quatrième année, l’école devra prendre une action correctrice, qui pourra prendre la forme de changements apportés au curriculum ou à la composition du personnel. La journée de classe pourra également être allongée. Si elle échoue une cinquième année, l’école sera « restructurée ».

  1. Les écoles devant faire l’objet d’une restructuration ont cinq options : a) se transformer en école à charte (école privée); b) remplacer la direction et l’équipe d’enseignants; c) remettre la gestion de l’école à des firmes privées; d) faire passer l’école sous le contrôle direct de l’État; e) toute autre restructuration de la gouvernance de l’école.


Un bilan catastrophique

Diane Ravitch raconte qu’elle a appuyé le NCLB jusqu’au 30 novembre 2006. Ce jour-là, des études présentées, dans le cadre d’une conférence à l’American Enterprise Institute, ont démontré que le programme ne fonctionnait pas.

Les choix offerts étaient boudés. Les parents et les élèves ne voulaient pas quitter leur école de quartier, même si le gouvernement fédéral leur offrait le transport gratuit vers une école plus performante. Moins de 5% des élèves éligibles, dans certains cas moins de 1%, avaient fait ce choix. Ils voulaient plutôt que leur école de quartier s’améliore.

Bien que plus de 2 000 compagnies privées offrant des services de tutorat virent le jour, moins de 20% des élèves éligibles s’inscrivirent, même si c’était gratuit et accessible. Les élèves en difficulté ne voulaient pas d’une journée de classe plus longue.

L’objectif de 100% d’élèves « compétents » en 2014 plaçait des milliers d’écoles devant le risque d’être privatisées ou fermées. En 2007-2008, plus de 30 000 écoles, soit 35,6% de toutes les écoles publiques, n’avaient pas atteint leur objectif de « progrès annuel adéquat ». Plus on approche de 2014, plus ce nombre sera important.

Plus important encore peut-être, les tests d’évaluation sont devenus une obsession. Comme seules les connaissances en anglais et en mathématiques sont évaluées, les autres matières comme l’histoire, la géographie, les sciences, les arts, sont délaissées. Dans le mois précédent l’évaluation, elles sont carrément mises de côté dans plusieurs écoles.

Les élèves, a constaté Diane Ravitch, deviennent très bons pour répondre à des tests multichoix – d’autant plus que leurs enseignants les préparent avec les tests des années précédentes – mais ils sont souvent incapables de rédiger un court commentaire sur le texte qu’ils viennent de lire.

Celle qui avait été une des chevilles ouvrières de la mise en place du programme No Child Left Behind est devenue, confesse-t-elle, une de ses plus ardentes critiques.

« Le NCLB, écrit-elle, est basé sur de fausses prémisses sur la façon d’améliorer le système d’éducation. Il postule que les résultats médiocres des élèves sont le fait de directeurs et de professeurs paresseux qu’il faut motiver en les menaçant de la perte de leur emploi. Plus naïvement encore, on présume que de bons résultats aux tests standardisés sont synonymes d’une bonne éducation. Mais une bonne éducation ne peut être atteinte par une stratégie d’évaluation des élèves, de culpabilisation des profs et de fermetures d’écoles. »


Dossier: Éducation: le modèle américain



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