Recours collectifs contre les syndicats (3)

2010/10/07 | Par Maude Messier

En 2001, l’Alliance des professeurs de Montréal a tenu une grève illégale de trois jours pour faire pression sur le gouvernement dans le dossier de l’équité salariale. Une mésentente sur l’évaluation des emplois et la reconnaissance du temps de travail à l’extérieur de l’école sont au cœur du litige.

Alain Marois, président de l’Alliance des professeurs de Montréal, se rappelle que le Conseil des services essentiels est intervenu dans le dossier relativement au plan d’action du syndicat avant même que le vote de grève ne soit pris.

« Des moyens de pression tels que le refus des profs de donner des devoirs aux élèves et de cesser de noter les absences ont été déclarés illégaux. C’était absurde et ridicule. Dans les faits, c’est ça qui a mis le feu aux poudres. »

Avant même d’avoir mis le pied dehors, les membres de l’exécutif syndical ont été avisés qu’ils s’exposaient à une condamnation pour outrage au tribunal, écopant d’une amende de 50 000 dollars au total. « Signé de la main du juge Gomery d’ailleurs! », ironise le dirigeant syndical.

Un recours collectif subséquemment déposé contre l’Alliance réclame des compensations s’élevant 30 millions de dollars pour les pertes financières encourues par les parents des 100 000 élèves affectés par les trois journées de grève.

« C’est hallucinant! Imaginez, si on s’était ramassé réellement avec une facture de 30 millions, on aurait eu des gros problèmes, c’est évident. On a bien fait notre travail pour ne pas en arriver là. » Ce qui sauvé le syndicat, c’est à la fois l’ineptie des réclamations, mais surtout la mobilisation et les efforts investis pour informer les parents d’élèves.

« On a d’abord fait réduire le nombre de personnes visées par le recours. Par exemple, les parents des étudiants du secondaire et ceux à l’éducation aux adultes n’avaient pas à être compensés, ce qui représentait près de 30 000 personnes.»

Pour se prévaloir des compensations, les individus concernés doivent s’inscrire au recours collectif. « On a mobilisé notre monde, dehors, dans le froid, pour informer les parents et faire signer des désistements symboliques. On a obtenu 11 000 signatures. »

En bout de ligne, seulement une centaine de personnes s’y sont inscrites. « Ça démontre bien toute l’absurdité de la judiciarisation de ce conflit de travail. »

Un règlement est survenu au printemps 2003. « Ça nous a finalement coûté 9 000 dollars en dédommagement, plutôt que 30 millions. Mais ce qui est intéressant, c’est qu’on a dû payer les frais d’avocats puisqu’on a perdu, lesquels s’élevaient à 450 000 dollars! C’est aberrant. La loi est faite pour protéger les citoyens, mais ce n’est pas vraiment eux qui en bénéficient dans ce cas-là. »

Pour Alain Marois, il faudrait « revoir les lois qui encadrent les recours collectifs parce que les objectifs premiers sont détournés ». Il juge que ce type de recours collectifs s’apparentent aux poursuites bâillons (SLAP) contre les syndicats qui minent les moyens d’actions et effritent le rapport de force.

« Dans ce dossier-là, il y a eu des recours contre l’Alliance dans le cadre normal des relations de travail auxquels nous nous sommes pliés. Le recours collectif, c’était carrément abusif et déraisonnable, une tentative pour museler les syndicats. »

Si cette histoire a permis à l’Alliance des professeurs de Montréal de mettre le dossier de l’équité salariale en avant plan, de faire connaître leurs revendications et de mobiliser leurs troupes, le recours aurait toutefois pu avoir des conséquences désastreuses pour l’organisation.

« Chose certaine, ça a indigné nos membres. Encore aujourd’hui, on se fait servir ça comme argument. Tout à coup, c’était dramatique que les enfants manquent trois jours d’école alors qu’ils s’absentent souvent pour plein d’autres raisons dans l’année. Mais ça, c’est pas grave! »


Dossier : Recours collectifs contre les syndicats



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