Superman bientôt dans une école près de chez vous

2010/10/08 | Par Pierre Dubuc

Une campagne d’une ampleur sans précédent est présentement au cours aux États-Unis pour changer radicalement le système d’éducation. Elle s’appuie principalement sur le documentaire « Waiting for Superman », produit par le réalisateur Davis Guggenheim qui a remporté un Oscar en 2007 pour son documentaire « Une vérité qui dérange » mettant en vedette Al Gore.

Le documentaire fait la promotion des écoles à charte et de la paye au mérite pour les enseignants, avec la possibilité de congédier les profs jugés « incompétents ». Il s’inscrit parfaitement dans le cadre de la campagne de l’administration Obama avec le programme « Race to the top » qui rend conditionnelle l’aide fédérale à l’instauration d’une concurrence entre les écoles.

Une des vedettes du film est Michelle Rhee, responsable de l’éducation à Washington. M. Rhee est devenue une vedette nationale en fermant des douzaines d’écoles et en licenciant plus de 1 000 enseignants.

Mme Rhee était candidate aux primaires du Parti Démocrate à Washington, mais elle a mordu la poussière, en bonne partie parce que l’American Federation of Teachers a investi un million de dollars pour la faire battre.

Il est .évident que cette campagne, menée sous des allures « progressistes », va déferler un jour sur le Québec. Déjà, le ministère de l’Éducation vient d’en promulguer un volet avec la loi 88, modifiant la Loi de l’instruction publique. Il est désormais stipulé que les commissions scolaires doivent signer avec le ministère des « conventions de partenariat » qui prévoient « des orientations, des buts fixés et des objectifs mesurables ».

Dans son livre The Death and Life of the Great American School System, l’ex-sous-ministre de l’Éducation Diane Ravitch fait une critique impitoyable des orientations de cette réforme. Dans deux articles précédents, nous avons présenté sa critique de l’évaluation des écoles selon le programme No Child LeftBehind et du rôle des fondations, comme celle de Bill Gates.

Examinons maintenant le phénomène des écoles à charte, la version américaine de nos écoles privées. Dans un autre article, nous voyons que le mouvement en faveur des écoles privées aux États-Unis a d’abord pris la forme des bons d’études.


L’origine des écoles à charte

Selon Diane Ravitch, le coup d’envoi du mouvement en faveur des écoles à charte date de la publication au début des années 1990 de Politics, Markets and America’s Schools par John E. Chubb et Terry M. Moe.

Dans ce livre, les auteurs affirment que l’école publique est incapable de se réformer parce que l’institution est prisonnière de différents groupes d’intérêt, tels les syndicats d’enseignants, les associations d’administrateurs et des directions d’école, voire même les éditeurs de livres scolaires et les services de préparation de tests d’évaluation, de même que plusieurs autres « bénéficiaires du statu quo ».

Selon Chubb et Moe, la seule façon de provoquer un changement était l’introduction d’un système de libre choix de l’école. Déjà, les bons d’études avaient représenté une première tentative en ce sens, mais avec un succès très mitigé.

Le système proposé par Chubb et Moe est simple. Tout groupe ou organisation peut faire la demande d’une charte lui octroyant le droit de diriger une école. Parmi les détenteurs de chartes, on retrouve des agences de services sociaux, des universités, des groupes d’enseignants, des philanthropes, des gérants de hedge-funds, des entreprises à but lucratif, des entreprises de gestion d’écoles à charte, des groupes communautaires, de simples individus.

La charte accorde à l’organisation une période de temps – habituellement cinq ans – pour rencontrer ses objectifs de performance en échange d’une autonomie quasi complète, l’État se contentant d’imposer un certain nombre de règles minimales. Dans certains États – comme la Californie – l’école publique peut se transformer en école à charte.


Une idée appuyée par la droite et une certaine « gauche »

Au départ, l’idée des écoles à charte a été lancée en 1988 par Ray Budde, un enseignant du Massachusetts, qui proposait que des équipes de profs puissent prendre en charge des écoles. La même année, Albert Shanker, le président de la Fédération américaine des enseignants, y allait d’un projet similaire. Son objectif était de permettre des projets innovateurs par des enseignants pour les élèves laissés pour compte.

En fait, au départ, l’idée bénéficie d’appuis en provenance de tous les horizons politiques. Certains, à gauche, y voient une façon de contrer les bons d’étude. Des profs pensent qu’elles pourraient aider les élèves non motivés et freiner le décrochage scolaire.

De l’autre côté du spectre politique, les conservateurs l’envisagent comme un moyen pour déréglementer le système d’éducation publique et y introduire la concurrence. Des entrepreneurs y flairent une porte d’accès au riche marché de l’éducation. Des groupes ethniques y décèlent un refuge permettant l’enseignement de leur héritage culturel sans référence à la culture civique commune.

Finalement, l’idée est kidnappée par la droite. En 1993, la Heritage Foundation met sur pied une organisation – le Center for Education Reform – qui, tambour battant, mène la bataille pour les écoles à charte à travers le pays.

Mais une certaine « gauche » en fait également son cheval de bataille. En 1994, le Congrès américain, sous l’impulsion du président Clinton, adopte un programme octroyant des dollars fédéraux pour le développement d’écoles à charte.

Le Democratic Leadership Council (DLC) avait fait sienne cette idée, y voyant une façon ingénieuse de libérer les écoles des « bureaucraties ossifiées ». Le DLC est le courant au sein du Parti démocrate qui avait appuyé le candidat Clinton en l’enjoignant de prendre ses distances avec les positions de gauche des années 1960 et 1970 du Parti. Le DLC servira d’inspiration et de modèle au New Labour de Tony Blair.


Les conditions du succès

En 2009, selon le Center for Education Reform, il y avait 4 600 écoles à charte dans quarante États, regroupant plus de 1,4 million d’élèves.

Plus de 60% de ces écoles se retrouvaient dans six États : la Californie, l’Arizona, le Texas, la Floride, le Michigan et l’Ohio. À la Nouvelle-Orléans, plus de 55% des élèves fréquentaient une école à charte parce qu’au lendemain de l’ouragan Katrina, on a reconstruit le système scolaire avec des écoles à charte.

Avec les écoles à charte, raconte Diane Ravitch, il y a des histoires d’horreur et des succès. Certaines ont fait faillite, comme la California Charter Academy. Une faillite qui a touché 60 écoles et 6 000 étudiants. Dans certaines écoles de Pennsylvanie, des administrateurs ont été pris la main dans le sac, pour avoir placé des membres de leurs familles sur la liste de paye ou avoir créé des entreprises privées qui vendaient des services à leurs écoles.

Le plus grand succès est celui du programme KIPP (Knowledge Is Power Program), porté aux nues dans le film « Waiting for Superman ». Diane Ravitch analyse les causes de cette réussite. Premièrement, les élèves sont choisis au moyen d’une loterie. Mais il est prouvé que seuls les parents les plus motivés inscrivent leurs enfants à la loterie.

La présence en classe est plus longue (9 heures et demie par jour). Il y a classe le samedi et pendant trois semaines au cours de l’été. En tout, cela représente 60% de plus de temps de classe que dans une école publique normale.

Les écoles à charte reçoivent une aide financière additionnelle de leurs commanditaires corporatifs ou des fondations. Cela leur permet un meilleur ratio profs/élèves, des ordinateurs portables pour chaque élève et davantage d’activités parascolaires.

Plusieurs écoles adoptent des règles disciplinaires si strictes qu’elles seraient contestées devant les tribunaux si elles étaient appliquées dans les écoles publiques. Elles peuvent donc exclure les éléments perturbateurs.

Cependant, différentes études répertoriées par Diane Ravitch démontrent qu’il n’y a pas de différence significative dans les résultats scolaires des élèves des écoles à charte et des écoles publiques qui ont le même profil racial ou ethnique et les mêmes caractéristiques sociales. Parfois même, les écoles publiques réussissent mieux!


Un système à deux vitesses… avec ses conséquences

Au terme de son analyse des écoles à charte, Mme Ravitch en tire la conclusion qui s’impose et que nous connaissons bien au Québec avec la présence d’un important réseau d’écoles privées. Si la croissance des écoles à charte se poursuit aux États-Unis, on assistera à la création d’un système à deux vitesses.

Si tel est le cas, écrit-elle, on peut prédire sans se tromper que les futures études « prouveront » le succès des écoles à charte et l’échec des écoles régulières, parce que les écoles publiques auront un nombre disproportionné de parents non motivés et d’élèves en difficulté.

Puis, elle soulève des questions fort pertinentes. Quelles leçons les écoles publiques doivent-tirer des écoles à charte? Doivent elles créer leurs propres écoles sélectives pour retenir les élèves les plus motivés? (C’est le cas au Québec avec les écoles dites « internationales ».)

Et la conclusion va de soi. Plus il y aura d’écoles à charte, plus le dilemme d’éduquer TOUS les élèves se posera. La réponse apportée déterminera le sort de l’école publique.

À suivre.



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