L’objectif non déclaré des Legault-Facal: détruire le Parti Québécois

2010/10/25 | Par Pierre Dubuc

Devant les caméras de télévision, les députés péquistes minimisaient l’impact éventuel de la création d’un mouvement – voire d’un nouveau parti – par le duo François Legault et Joseph Facal. Mais, en privé, dans les couloirs du dernier Conseil national, ils n’hésitaient pas à reconnaître qu’ils faisaient face à une tentative de destruction du Parti Québécois.

Aucun des députés qui s’étaient entretenus avec François Legault au cours des dernières semaines ne qualifie ses intentions de « simple jasette » comme Mme Marois l’a fait. « Il est très sérieux. Il se sent investi d’une mission », nous confie l’un d’eux sous le couvert de l’anonymat.

Bien qu’il affirme à ses anciens collègues « être aussi souverainiste que vous », Legault invoque l’urgence de la situation pour aller de l’avant avec son mouvement/parti. Quel sera son programme? Il identifie, nous dit-on, les priorités suivantes. Premièrement, investir un milliard dans les universités. Deuxièmement, augmenter substantiellement les frais de scolarités. Ensuite, s’attaquer à la générosité des programmes des congés parentaux et des garderies à 7$ qui seraient, selon lui, des « aberrations ».


Un lancement perturbé

Prévu au départ pour la mi-octobre, le lancement du (ou des) manifeste(s) du mouvement Legault-Facal a été reporté à la mi-novembre. Il semble bien que les révélations sur les intentions des Legault-Facal – dévoilées en primeur par l’aut’journal dans un article sur son site Internet le 24 septembre et reprises par la suite par les grands médias – ont perturbé le plan de match initial.

Des libéraux notoires comme Charles Sirois et Benoît Pelletier auraient été du voyage, mais les réactions à leur implication dans ce mouvement/parti – et sans doute des pressions exercées par des bonzes du Parti libéral – les auraient fait reculer.

Pour donner plus de crédibilité à leur démarche, les Legault-Facal doivent recruter quelques figures connues du camp fédéraliste. Comme l’écrivait, dans un éditorial le 8 octobre intitulé « Un véritable parti national », André Pratte – qui appuie évidemment une telle initiative – « il ne peut évidemment pas y avoir de coalition si des représentants d'un des camps refusent d'embarquer. Il serait très dommage que ce projet original ne puisse se concrétiser parce qu'aucune personnalité fédéraliste n'aura eu l'audace de saisir la main que tendent certains souverainistes ».


Unir trois courants

Pour que leur opération réussisse, Legault et Facal doivent coaliser trois courants de droite. Il y a le courant adéquiste, puisant ses racines dans l’ancienne clientèle créditiste, représenté par le Réseau Liberté Québec qui regroupait en fin de semaine dernière plus de 450 personnes à Québec. D’ailleurs, plusieurs anciens adéquistes comme Éric Caire et Marc Picard se sont dit prêts à se rallier à François Legault.

Un deuxième courant est celui de ce que nous pourrions qualifier de la droite identitaire avec des représentants comme l’historien Éric Bédard et Mathieu Bock-Côté qui ont également comme caractéristique d’être des négationnistes de la Révolution tranquille. Il n’est pas évident que François Legault partage leurs idées, mais Joseph Facal, qui couche dans le même lit identitaire que Bédard et Bock-Côté, pourrait facilement jouer le rôle d’intermédiaire.

Enfin, il y a le « club politique » informel de la droite au sein même du Parti Québécois. Pour le moment, tous vont nier être intéressés par l’initiative Legault-Facal et réaffirmer leur soutien indéfectible à Mme Marois. Mais nous verrons ce qu’il en sera lorsque le mouvement sera officiellement lancé avec grand battage médiatique et sondages favorables à l’appui.

Il est clair que, pour avoir une chance de réussite, le projet Legault-Facal doit pouvoir rallier, en plus des députés adéquistes, des députés du Parti Québécois et, possiblement, quelques députés libéraux dégoûtés par la gestion de Jean Charest. Dans l’histoire du Québec, tout nouveau parti politique aspirant au pouvoir est né d’une scission d’un parti existant.


La situation vue d’Ottawa

Pour comprendre les événements en cours, il faut regarder la scène politique québécoise par la lorgnette fédérale. Si les indépendantistes québécois jugent trop timide l’approche de la question nationale par Mme Marois, le Canada anglais voit les choses d’un angle complètement différent.

Les éditorialistes et les commentateurs politiques de la presse canadienne-anglaise constatent avec grande inquiétude la dégénérescence du Parti libéral. Le départ de Jean Charest avant le prochain rendez-vous électoral est loin d’être acquis et ne règlerait pas nécessairement les choses, d’autant plus qu’aucun remplaçant crédible ne pointe à l’horizon.

On voit donc avec effroi le Parti Québécois accéder au pouvoir avec la menace d’un nouveau référendum. Mme Marois a beau être hésitante, ne pas s’engager à tenir nécessairement un référendum, il n’en reste pas moins qu’aux yeux du Canada anglais la menace demeure. Et elle est inacceptable.

La solution est donc de marginaliser, voire de détruire, le Parti Québécois. Un parti de droite, l’ADQ, a démontré aux élections de 2007 qu’il pouvait damer le pion au Parti Québécois en devenant l’Opposition officielle. Une option d’autant plus attrayante que le Parti Québécois, sous la gouverne de Mme Marois, a adopté la même ligne de conduite que celle d’André Boisclair : ne pas faire de vagues et attendre que le pouvoir lui tombe entre les mains en vertu de la soi-disant règle de l’alternance.


Le tandem Pierre-Karl Péladeau/Stephen Harper

Pour parvenir à leurs fins, les fédéralistes peuvent compter sur un allié de taille en la personne de Pierre-Karl Péladeau, le pdg de Quebecor.

Dans le portrait que lui consacre le dernier numéro du magazine L’Actualité (Pierre-Karl Péladeau, l’homme le plus redoutable du Québec?), l’ex premier ministre Bernard Landry se dit convaincu que PKP est un souverainiste. Nous serions plutôt de l’avis de Brian Mulroney, président du conseil de Quebecor et parrain d’un des enfants du couple PKP/Julie Snyder, qui décrit PKP comme « un conservateur avec un petit ‘‘c’’ » et un « Québécois très fier qui voit un rôle pour le Québec au Canada et en Amérique du Nord ».

En fait, PKP voit surtout un rôle pour son empire au Canada et en Amérique du Nord. Il est propriétaire au Canada anglais de Sun Media et il s’apprête à mettre sur pied une nouvelle chaîne de télévision sur le modèle de Fox News, le réseau américain de droite qui fait la promotion du mouvement Tea Party.

La mise sur pied de ce réseau se fait en étroite collaboration avec Stephen Harper avec lequel PKP a eu de nombreuses rencontres, selon L’Actualité, dont au moins une à la résidence officielle du premier ministre au 24 Sussex pour un souper officiel. Julie Snyder était également au nombre des « femmes d’exception » invitées par Laureen Harper, l’épouse du premier ministre, à un brunch avec les conjointes des dirigeants du G20 – dont Michelle Obama – au sommet de la tour du CN.

L’alliance entre des nationalistes conservateurs québécois et des Conservateurs du reste du Canada n’est pas nouvelle. C’est l’alliance entre Duplessis et Diefenbaker qui a permis l’élection du gouvernement de ce dernier en 1959, tout comme c’est l’alliance entre les péquistes et les Conservateurs qui a conduit Brian Mulroney au pouvoir en 1984 à la faveur de la politique du « beau risque » de René Lévesque.

De toute évidence, PKP s’inspire du baron de la presse Rupert Murdoch – ancien marxiste comme lui – qui a bouleversé la politique australienne, anglaise et américaine avec des médias engagés politiquement et agressifs comme Fox News.

Déjà, il a été prouvé que les radio-poubelles de Québec sont à l’origine des succès électoraux de l’ADQ. Facile d’imaginer ce que des médias écrits comme le Journal de Québec et le Journal de Montréal et des chaînes de télévision comme celles du réseau TVA pourraient accomplir en soutien à un nouveau parti de droite, nationaliste, mais non indépendantiste.

C’est dans cette perspective qu’il faut comprendre l’acharnement de PKP à détruire le syndicat du Journal de Montréal. Car la convergence – raison officielle invoquée par PKP – n’explique pas tout. Sinon, une convention collective semblable à celle signée par le syndicat au journal La Presse aurait pu être présentée aux journalistes du Journal de Montréal.

PKP veut se débarrasser du syndicat pour avoir les mains libres afin de dicter une ligne de conduite à la salle de presse. Il veut changer la face du Québec. Il juge que le Parti libéral n’est pas assez à droite comme le démontre la série « Le Québec dans le rouge » et sa campagne contre le budget du ministre Raymond Bachand, traité de menteur par le Journal de Montréal.

PKP prépare avec minutie le regroupement de la droite et la fondation d’un nouveau parti. En plus de Joseph Facal, il a ouvert les pages de ses publications à Éric Bédard et à Mathieu Bock-Côté. Il a publié en page frontispice du Journal de Montréal les résultats d’un sondage qui donnait 30% des voix à un nouveau parti avec comme titre « Legault séduit le Québec » et une magnifique photo de ce dernier.

La création d’un nouveau parti ayant pour objectif la destruction du Parti Québécois est en marche. Aux indépendantistes et aux sociaux-démocrates de préparer la riposte !


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