Les compteurs d’eau résidentiels: une fausse « bonne idée »

2010/11/02 | Par Pierre J. Hamel

Selon les résultats d’un sondage diffusés dans Le Devoir du mardi le 26 octobre 2010, soucieux de limiter le gaspillage, 54 % des répondants estiment que le gouvernement devrait facturer l'eau aux ménages en fonction de la quantité utilisée.

Cela paraît être simple et plein de bon sens mais, malheureusement, c’est une mauvaise idée, une fausse « bonne idée » : un compteur pour économiser l’eau, ça ne marche tout simplement pas. Et en plus, c’est cher et c’est injuste, sans compter les effets pervers.

Il suffit d’y réfléchir par deux fois pour s’en convaincre et pratiquement tous les groupes écologistes québécois rejettent les compteurs d’eau, de même que presque toutes les municipalités québécoises; la seule exception des dernières années, c’est la presque-québécoise municipalité d’Hawkesbury où la question a été soulevée en 2008-2009 et où on a choisi d’installer des compteurs — on a appris depuis que le conseil municipal avait « choisi » les compteurs parce que c’était la condition (idéologiquement) imposée par le gouvernement ontarien pour l’obtention d’une subvention pour l’agrandissement de l’usine d’épuration des eaux usées.

Les compteurs contre le gaspillage, ça marche ou non? Pour mesurer le véritable impact de la tarification sur la consommation, il faut observer côte à côte deux groupes de ménages, idéalement des ménages socio-économiquement comparables, habitant des logements similaires dans la même ville, les uns avec un compteur d’eau, les autres sans : on constate alors qu’il n’y a aucune différence statistiquement significative.

En fait, à Paris (1995 : 63 800 logements) comme à Pointe-aux-Trembles (1962-1971, 367 compteurs), il n’y a pas vraiment de différence : ceux qui ont un compteur consomment un tout petit peu plus (!!) mais l’écart est ridicule et non significatif.

C’est malheureux pour tous ceux qui croyaient avoir trouvé une solution magique contre le gaspillage et, j’en conviens, c’est peut-être difficile à croire, mais c’est comme ça.

Il est vrai que lors de l’introduction de compteurs, on constate que les volumes diminuent de 10, 15 ou même 20%, subitement; mais, au fil des ans, ils ont généralement tendance à augmenter pour revenir pratiquement aux niveaux d'origine; à moins que l'installation n'ait donné lieu à une importante campagne de sensibilisation des citoyens, une campagne efficace qui perdure et se renouvelle régulièrement.

Car, dans ces cas, ce qui est le principal outil de diminution de la consommation d'eau, ce n'est pas le compteur, mais bien toute la propagande qui entoure l'opération d'installation. Les compteurs d’eau font assurément autant d’effet qu’un coup d’épée dans l’eau : c’est spectaculaire, ça éclabousse, mais tout revient rapidement à la normale.

En réalité, les différences de consommation durables s’expliquent d’abord et avant tout par des facteurs structurels : les ménages ont un jardin ou pas (arrosage ou non), la tuyauterie, la robinetterie, la douche (avec pommeau de douche économisateur), la baignoire (format tombeau ou sabot), les toilettes (18 ou 4 litres à chaque utilisation), les appareils électroménagers (lave-vaisselle, lave-linge) sont plus ou moins récents et plus ou moins économes, de façon mécanique, chaque fois qu’on les utilise.

On estime généralement que le « vrai » prix de l’eau à Montréal tourne autour de 0,50 $ le mètre cube (frais variables et frais fixes), soit cinq centièmes de sou le litre. À raison d’environ 250 litres par personne par jour, le coût quotidien pour un Montréalais moyen se situe donc autour de 0,12 ou 0,13 $ (soit environ 45 $ par personne par année).


Si on suppose que la seule chose qui intéresse les gens, c’est leur intérêt personnel, comment peut-on espérer motiver quelqu’un à économiser l’eau avec de tels coûts?

On chercherait à le convaincre de changer ses comportements pour restreindre sa consommation - disons de 20 %, ce qui n’est pas rien - et en échange, on lui promettrait une fabuleuse épargne de 2 ½ sous par jour (9 $ par année). On ne convaincra pas grand monde d’économiser l’eau à ce prix là, ni même au quadruple de ce prix.

En Arizona, une eau beaucoup plus chère qu’ici n’empêche pas une consommation très importante pour entretenir les pelouses résidentielles et d’innombrables golfs. Quelqu’un qui laisse couler l’eau d’un boyau d’arrosage pendant une heure consomme environ un mètre cube; en demandant de payer la totalité des coûts, on lui exigerait la fabuleuse somme de 0,50$ pour laver sa voiture ou pour arroser son entrée de garage : est-ce que beaucoup renonceraient? La demande d’eau est « inélastique », c’est à dire peu ou pas sensible au prix.

Les compteurs résidentiels sont non seulement inutiles, mais ils sont coûteux. Entre l’achat de l’appareil, l’installation, la facturation et les huissiers pour faire payer les récalcitrants, en moyenne, un compteur coûte annuellement autant que l’eau consommée par une personne. Ce n’est pas très efficient.

Même si on admettait qu’il faut que chacun assume le vrai prix en fonction de ce qu’il en coûte pour lui fournir l’eau, il ne serait pas approprié de payer pour l’eau selon la consommation car à peine 2 % des coûts varient selon les volumes consommés : 98 % des coûts concernent les infrastructures (conduites souterraines et usines de filtration et d’assainissement qu’il faut construire, entretenir et réhabiliter).

Peu importe sa consommation, chacun bénéficie pareillement de l’existence du réseau d’aqueduc qui garantit également la protection contre les incendies.

Donc, logiquement, le coût du réseau devrait être assumé également par tous les ménages par un abonnement, un impôt forfaitaire, comme une cotisation au club, ou plus simplement (et plus équitablement), par l’impôt foncier général.

Payer les services d’eaux (potable, usées et pluviales) en fonction du nombre de mètres cube d’eau potable consommés, ce serait comme payer pour les trottoirs selon le nombre de pas. Les compteurs sont une très mauvaise application du principe utilisateur-payeur si cher aux néolibéraux.

Par ailleurs, comme pour toute tarification, se pose la question classique à laquelle chacun répond selon ses choix politiques : est-il juste et équitable que tous paient selon leur consommation, peu importe leur capacité de payer ? Ou n’est-il pas souhaitable, comme le pensent la majorité des Québécois, que les plus riches paient (un peu) plus ?

Finalement, l’introduction de compteurs d’eau entraîne des effets déplorables sur la santé car l’eau est vitale pour l’alimentation et l’hygiène. On peut difficilement mener des campagnes d’hygiène publique qui font la promotion du lavage des mains fréquent et à grande eau tout en insistant pour économiser l’eau; les expériences étrangères démontrent que certains ménages pauvres réduisent leur consommation en-deçà du minimum vital et cela se traduit par des coûts de santé largement supérieurs aux maigres économies découlant d’une consommation rationnée.

L’octroi d’un volume minimum per capita gratuit n’est pas une solution réaliste car cela exigerait la création d’un registre de population constamment tenu à jour : bonjour les économies !


Pierre J. Hamel, INRS-Urbanisation, Culture et Société 1


Bookmark