Stagiaires postdoctoraux dans les universités : des travailleurs de seconde classe?

2010/11/03 | Par Maude Messier

Depuis mai dernier, l’Alliance de la fonction publique du Canada (AFPC) mène une intense campagne pour faire reconnaître le droit à la syndicalisation des quelque 300 stagiaires postdoctoraux de l’UQAM.

« L’UQAM, c’est notre point départ. Après, on vise la plupart des universités au Québec», déclare en entrevue à l’aut’journal Mathieu Dumont, responsable du service de la syndicalisation à l’AFPC.

Sans statut

« Il faut savoir que les stagiaires postdoctoraux sont dans un vide juridique qui les maintient dans la précarité », soutient Mathieu Dumont.

Rémunérés à même les bourses octroyées par les organismes subventionnaires, ils ne sont pas considérés par les universités comme des salariés au sens du Code du travail et ne bénéficient donc pas des normes minimales du travail.

D’après Joanie Messier et Thioro Gueye, respectivement responsable de campagne et conseillère syndicale à l’AFPC, les sommes gagnées annuellement par les stagiaires postdoctoraux varient grandement en fonction du domaine d’étude, se situant entre 20 000$ et 50 000$.

Elles insistent sur le fait que les « postdocs » passent souvent plusieurs années à travailler pour l’université, passant d’un contrat à l’autre. « C’est leur travail, leur gagne pain; pas un passe-temps pendant leurs études. »

Âgés en moyenne entre 30 et 40 ans, ils ont généralement une vie professionnelle bien entamée et bien souvent, une famille. Or, les 2 000 stagiaires postdoctoraux à travers le Québec n’ont pas droit à l’assurance-emploi, au régime d’assurance parentale, ils ne cotisent pas à la Régie des rentes du Québec et ils ne sont pas protégés par la CSST. Une situation qui ne les avantage en rien.

La syndicalisation est d’ailleurs leur initiative. « Ce sont eux qui ont approché le SÉTUE [syndicat local de l’AFPC qui représente les étudiants employés de l’UQAM] parce qu’ils voyaient bien que des auxiliaires de recherche et d’enseignement de même que les professionnels de recherche avaient des conditions de travail meilleures que les leurs », précise Mathieu Dumont.

La prétention de l’AFPC est à l’effet que les stagiaires postdoctoraux doivent être reconnus à titre de salariés. Ce n’est pas la première fois que le syndicat se mesure à une telle démonstration et Mathieu Dumont est confiant.

« Ils ont un horaire déterminé par l’université, ils doivent se soumettre à des protocoles de recherche qui s’apparentent à des contrats de travail, ils ne travaillent que pour un seul employeur, leurs outils de travail leur sont fournis par ce même employeur et le produit de leur travail appartient à l’université. Pour nous, c’est clair, ce ne sont pas de véritables travailleurs autonomes, mais bien des salariés. »

En bout de piste, c’est la Commission des relations du travail qui tranchera sur leur statut.

Atypiques et laissés pour compte

La campagne de l’AFPC ramène à l’avant plan toute la question des travailleurs atypiques, une question délicate pour le mouvement syndical. Un malaise qui se fait d’ailleurs sentir dans le dossier des stagiaires postdoctoraux, des travailleurs laissés pour compte pendant une vingtaine d’années.

« C’est plate à dire, mais c’est comme si personne n’avait réalisé qu’ils existaient. Nous, on a rencontré les gens, monté le dossier et mené la lutte pour la reconnaissance de ces travailleurs », confie Mathieu Dumont à l’aut’journal.

À son avis, l’AFPC est la mieux placée pour représenter ces travailleurs et négocier leurs conditions de travail. « On a beaucoup d’expertise avec les travailleurs atypiques en milieu universitaire et on connaît bien le dossier. »

Il souligne que son organisation a investit temps, ressources et énergie sans lésiner pour mener à terme cette campagne. Travailleurs solitaires et dispersés dans les différents départements, rejoindre chacun des stagiaires postdoctoraux un à un n’aura pas été chose facile, comme en témoignent Joanie Messier et Thioro Gueye.

L’AFPC préconise une approche individuelle pour solliciter ces travailleurs qui craignent bien souvent des représailles. « C’est important de discuter avec chacun d’entre eux, de répondre à leurs questions. Les bourses sont déterminantes pour leur avenir professionnel et elles sont octroyées souvent sur recommandation. La crainte de représailles génère beaucoup de stress. »

Parallèlement à la campagne de terrain, l’AFPC s’afférait aussi à préparer la portion légale du dossier. L’expérience de syndicalisation de quelque 600 stagiaires postdoctoraux en Ontario (McMaster University, University of Toronto et University of Western Ontario) aura requis au total trois années de démarches légales.


Nouvelle expertise syndicale

Si l’AFPC a choisi l’UQAM comme point de départ d’une vaste campagne à mener dans tout le Québec, c’est notamment qu’elle y a fait ses premiers pas dans le secteur universitaire avec la reconnaissance à titre de salariés des auxiliaires d’enseignement et de recherche ainsi que leur syndicalisation.

Sept ans plus tard, l’AFPC représente maintenant plus de 20 000 membres dans le secteur universitaire. « Nous avons investi un champ libre : les travailleurs laissés pour compte, les atypiques. On a développé une solide expertise pour les représenter et pour négocier leurs conventions collectives. »

Pour Mathieu Dumont, c’est d’abord et avant tout un besoin réel de toute une catégorie de travailleurs qui est à la base du « succès » de l’AFPC dans le secteur universitaire.

« On répond à une demande. C’est la précarité qui pousse ces travailleurs à vouloir se syndiquer. Visiblement, il semble qu’on ait bien compris les enjeux et qu’on fasse bien notre travail. »

En ce qui concerne la suite des choses, une audience devant la CRT est prévue au cours du mois de novembre d’après le syndicat, « on devrait au moins être fixé sur l’agenda à ce moment-là. »


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