La saga de la carte électorale

2010/11/04 | Par Paul Cliche

Paul Cliche est l’auteur du livre Pour réduire le déficit démocratique : le SCRUTIN PROPORTONNEL

Le premier ministre Charest a annoncé, le 28 octobre, que son gouvernement fera bientôt adopter une loi spéciale afin de suspendre, pour une deuxième fois en deux ans, le processus de révision de la carte électorale en cours depuis mars 2008. Il a ainsi cédé aux pressions d’un groupe formé principalement d’élus municipaux du Bas-St-Laurent où l’existence de la circonscription de Kamouraska-Témiscouata était menacée par la proposition de la Commission de la représentation électorale. On sait que les électeurs de cette dernière iront aux urnes le 29 novembre prochain pour choisir un successeur au défunt député-ministre Claude Béchard et que les libéraux font tout pour gagner.

Le processus de révision actuel de la carte est en cours depuis mars 2008. En vertu de la Loi électorale, il survient à toutes les deux élections générales. Il permet d’ajuster cette dernière à l’évolution des réalités sociodémographiques afin qu’elle respecte le principe démocratique fondamental de l’égalité du vote des électeurs et qu’elle se conforme à l’exigence de la «représentation effective» édictée par la Cour suprême. C’est en 1979 que le gouvernement Lévesque a fait adopter la réforme intégrant le déroulement de la révision de la carte à la Loi électorale. Il a confié du même coup sa responsabilité à un organisme indépendant du gouvernement et de l’Assemblée nationale, la Commission de la représentation électorale (CRÉ), qui est présidée par le directeur général des élections.

À noter que la carte électorale québécoise actuelle est la plus inégalitaire en Amérique du Nord. Dans la plupart des autres juridictions, en effet, l’écart permis en plus ou en moins de la moyenne nationale pour établir le nombre d’électeurs par circonscription est de 15%. Mais au Québec cet écart est de 25% et, de plus, il n’est pas respecté ou est sur le point d’être violé dans le tiers d’entre elles.


Une simple révision transformée en saga

Le processus de révision de la carte ressemble de plus en plus à une saga. Il a débuté en mars 2008 et a immédiatement donné lieu à une tournée de consultation dans une vingtaine de villes où plusieurs centaines de personnes et organismes ont fait connaître leurs opinions Puis, il a été suspendu indéfiniment par le gouvernement Charest à l’automne 2008 lorsque ce dernier a omis de convoquer la Commission de l’Assemblée nationale pour prendre connaissance et commenter les propositions de la CRÉ.

Redevenu majoritaire, le gouvernement libéral a présenté, à l’automne 2009, un projet de loi pour changer les critères devant présider au redécoupage de la carte. Les critères actuels ont été établis par la réforme Lévesque en 1979. Le projet de loi libéral constituait un net recul car il niait en pratique le principe de l’égalité du vote des électeurs. Il n’a pas reçu l’appui de l’opposition péquiste rendant ainsi impossible le consensus parlementaire de mise en cette matière et a finalement été retiré.

Le processus de révision a donc suivi son cours après un retard de deux ans. Les 14 et 15 septembre derniers, la Commission de l’Assemblée nationale a pris connaissance des propositions du CRÉ qui prévoyaient notamment la suppression de trois circonscriptions dans l’Est du Québec et l’ajout de trois autres dans la région métropolitaine de Montréal. Cette proposition a été violemment dénoncée par les ministres Nathalie Normandeau et Laurent Lessard qui ont même incité la CRÉ à ne pas tenir compte des critères prévus dans la loi actuelle.


Deux options inacceptables

En annonçant le recours à un moyen extraordinaire - une loi spéciale- pour suspendre de nouveau le processus de révision qui en était rendue à sa dernière étape, M. Charest a dit vouloir en arriver, d’ici la fin du printemps prochain, à un consensus des partis représentés à l’Assemblée nationale sur de nouveaux critères. Il veut ainsi éviter la suppression éventuelle de circonscriptions dans les régions à faible densité démographique. En se fixant cet objectif, il tente en quelque sorte, à notre avis, de résoudra la quadrature du cercle. C’est plus qu’un défi; c’est une gageure insensée.

Si l’on se place dans la perspective gouvernementale. il n’existe que deux choix possibles :

  • Soit que les nouveaux critères de redécoupage de la carte fassent primer carrément le facteur géographique (grandeur du territoire) sur le principe démocratique de l’égalité du vote des électeurs.

  • Soit que, pour respecter le principe de l’égalité du vote, on augmente sensiblement le nombre de circonscriptions dans les régions densément peuplées afin de pouvoir préserver celles situées dans des zones faiblement peuplées.

Les deux options nous apparaissent inacceptables. La première créerait deux classes de citoyens; le vote des électeurs de première classe (les ruraux) ayant beaucoup plus de poids que ceux des citoyens de deuxième classe (les urbains).. Elle irait ainsi à l’encontre du concept de la «représentation effective» édictée par la Cour suprême. Elle serait donc inévitablement contestée devant les tribunaux avec de bonnes chances de succès.

La deuxième option gonflerait exagérément le nombre de circonscriptions qui, à moyen terme, pourrait passer de 125 à 150. Les citoyens, qui en ont ras le bol de la politique, n’accepteraient certes pas cette dépense supplémentaire. Songeons que l’Ontario, dont la population est un tiers plus élevée que celle du Québec, ne compte que 103 députés. De plus, les défenseurs du poids politique des régions verraient ce dernier diminuer d’autant suite à l’ajout de nouvelles circonscriptions dans les couronnes de Montréal et Québec.

Dans les deux cas, on apporterait donc de fausses solutions au problème pourtant bien réel et crucial du poids politique des régions. La vraie solution consiste plutôt à s’attaquer à la racine du problème : la concentration excessive des pouvoirs à Québec. L’État québécois, un des plus centralisés au monde, doit céder une partie de ses pouvoirs et des ressources financières afférentes aux instances locales et régionales qui ont été ses créatures jusqu’ici. Seule une véritable décentralisation, permettant aux élus de prendre leurs décisions de façon autonome et pourrait assurer la survie et le développement des régions. Il s’agirait là d’un combat d’avant garde. Les personnes qui comptent sur la présence de quelques députés de plus pour atteindre cet objectif se leurrent. Elles mènent un combat d’arrière-garde voué à l’échec mais qui permet à des politiciens provinciaux de retirer des dividendes électoraux...


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