Quel avenir pour les cégeps en région?

2010/11/05 | Par Maude Messier

Dans la foulée des Rencontres des partenaires en éducation, le ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport organisera des rencontres dans les différentes régions du Québec pour discuter de la formation professionnelle et technique « en vue d'offrir une main-d'œuvre qualifiée et mieux adaptée aux réalités du marché du travail ».

Le président de la Fédération des enseignantes et enseignants de cégep-CSQ (FEC), Mario Beauchemin, s’explique mal la nécessité d’une série de rencontres consacrée à l’arrimage de la formation professionnelle et technique au monde du travail.

« Les problèmes sont bien connus du ministère et des acteurs du milieu, il n’y a rien de nouveau. C’est quoi la pertinence de cette rencontre? », questionne-t-il en entrevue avec l’aut’journal, déclarant que ces rencontres ont des airs « d’une opération de relations publiques où tout est déjà canné d’avance ».


Problématiques régionales pressantes

Il serait plus opportun à son avis de profiter de cette fenêtre de discussion pour amorcer une réflexion sur les problématiques régionales des collèges, notamment en ce qui a trait aux petites cohortes. « Les baisses d’effectifs tendent à fragiliser les programmes, tout comme les collèges tant certains cas. »

Il fait valoir que les cégeps en région sont particulièrement affectés par le dédoublement de nombreux programmes d’enseignement. Il cite en exemple le programme « Techniques d’animation 3D et de synthèse d’images » offert au Cégep de Matane, dans trois cégeps de Québec et dans quatre collèges de Montréal. Pourtant, pour l’année 2007, seulement 27 étudiants ont obtenu leur diplôme dans cette formation technique dans tout le Québec.

M. Beauchemin propose que ces programmes spécialisés soient traités en « créneaux particuliers », spécifiques à un établissement collégial, ce qui permettrait de maximiser les effectifs pour en assurer la viabilité.

« Il faut revoir la carte des programmes dans une perspective globale, pour l’ensemble du Québec et développer des créneaux particuliers pour encourager le développement régional et assurer la pérennité des collèges en régions », explique le dirigeant syndical.

À son avis, une telle reconfiguration contribuerait à améliorer le rayonnement régional. À cet effet, le programme « Techniques de communication dans les médias », offert exclusivement au Cégep de Jonquière, constitue un bel exemple de réussite.

Léo Bureau-Blouin, président de la Fédération étudiante collégiale du Québec (FECQ), se dit également en faveur du développement des créneaux d’excellence pour favoriser le développement des programmes d’études en fonction des besoins spécifiques des régions.

« On trouve ça intéressant pour attirer des étudiants d’ailleurs au Québec et redynamiser les régions. Surtout que l’exode des jeunes dans plusieurs régions est problématique », soutient-il.

Le plus aberrant à son avis, c’est que bien des jeunes quittent vers les grands centres pour étudier dans des programmes pourtant déjà offerts dans leur région, « une concurrence insensée », déplore la FECQ.

Certains établissements d’enseignement collégial se font concurrence sur des programmes spécifiques qui arrivent pourtant à peine à réunir le nombre d’étudiants minimal requis. « Tu ne peux pas offrir le même programme dans quatre établissements dans une région qui est déjà affectée par l’exode de ses jeunes. C’est sûr qu’aucun ne sera viable », explique M. Bureau-Blouin, qui fait valoir que cette concurrence a des fondements politiques et économiques.

Selon lui, les administrations des cégeps tiennent mordicus à aux « spécificités » des programmes offerts par leur établissement de façon à augmenter le nombre d’étudiants, pierre d’assise de leur financement.


Financement inadéquat

Une concurrence nocive, promue par le gouvernement sous le couvert de l’émulation et de la performance des cégeps, qui découle d’un système de financement sans vision globale du réseau de formation collégiale.

« Ça accentue les disparités régionales et génère des coûts supplémentaires. Le système de financement actuel ne permet pas de développement solide et force le ministère à boudiner à droite et à gauche, à financer à la pièce, explique Léo Bureau-Blouin. Nous, on veut une vision d’ensemble du réseau collégial dans une perspective régionale. »

Une position partagée par la FEC, qui déplore que le gouvernement ne fasse preuve d’« absolument aucun leadership dans ce dossier ». Les politiques de financement actuelles accordent beaucoup de pouvoir aux directions des établissements d’enseignement, qui tiennent mordicus à cette autonomie, et la décentralisation de la gestion des collèges crée des distorsions énormes selon Mario Beauchemin.

Il affirme que la Fédération des cégeps, agent négociateur patronal du réseau collégial, fait la promotion d’un « modèle américain où la direction générale est maître de l’établissement et où la notoriété de l’institution prime sur tout. Un modèle qui favorise le développement de petites royautés, contradictoire avec un réseau de formation collégial à l’échelle du Québec. »

Or, rien de tout cela ne fera l’objet de discussions à l’occasion des Rencontres des partenaires en éducation, la ministre priorisant l’arrimage entre les programmes de formation et le marché du travail.

Tant du côté de la FEC que de la FECQ, tous s’entendent pour dire que les programmes de formation professionnelle et technique doivent être adaptés et mis en phase avec les exigences du monde du travail, tout en gardant un œil sur l’intrusion du secteur privé dans la sphère d’enseignement afin de préserver l’indépendance de la formation collégiale.

En ce sens, mettre l’accent sur la formation continue, lieu privilégié du perfectionnement orienté vers le marché du travail, au détriment de la formation technique uniquement dans le but de satisfaire les exigences et les besoins des entreprises serait une grave erreur.

« La formation générale du réseau collégial est une spécificité du réseau québécois. Nombre d’études ont démontré que c’est d’ailleurs un élément apprécié par les chefs d’entreprises qui contribue à l’excellence des travailleurs, précise Mario Beauchemin. Pourtant, c’est régulièrement remis en question et attaqué de toute part, comme en 2004 dans le cadre de la Commission Reid. »

Pourtant, la Fédération des cégeps considère la formation continue au collégial comme un « élément indispensable pour accroître le taux d’emploi au Québec ».

L’évolution des services de formation offerts par les cégeps dans le but de «conserver une main-d’œuvre qualifiée qui saura répondre le plus adéquatement possible aux besoins du marché du travail » était d’ailleurs au cœur des réflexions du congrès de la Fédération qui s’est tenu en octobre dernier, tout juste avant le début des Rencontres des partenaires en éducation.


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