L'armée nationale afghane : Solution ou piège?

2010/11/10 | Par Normand Beaudet

Le Canada restera jusqu'en 2011 en Afghanistan, mais diminuera son implication dans les opérations offensives affirme maintenant le gouvernement Harper.

Les soldats canadiens s'investiront dans le développement de l'armée afghane à Kaboul, la formation et le coaching des soldats qui prendront en charge les missions.

C'est un peu le retour à la case de départ. On souhaite maintenant qu'un autre pays de l'OTAN, prenne le relais des opérations offensives à Kadahar.

La question de l'Armée Nationale afghane est particulièrement délicate. Dans ce pays, cette institution s'est désintégrée au cours des années 1980 et 90. Des factions ethniques l'avaient instrumentalisé pour fomenter des coups d'état (1973 et 1978) et réprimer la population.

Reformée en partie à l'ère de la guerre contre l'armée Rouge, elle fut complètement démantelée par la suite.

Les affinités régionales, culturelles et sociales ont toujours dominé chez les militaires afghans, beaucoup plus que le sentiment d'identité national. La tendance générale a toujours été d'affecter les militaires aussi loin que possible de leur lieu d'origine pour s'assurer d'une obéissance fonctionnelle. Autrement, l'allégeance était difficile à maintenir.

La milice tribale défendant les proches a toujours été un ascendant plus puissant sur ces peuples, qu'une armée nationale luttant contre une agression externe. Un fait normal, dans ce pays proie de la criminalité et des guerres perpétuelles.

Après la chute des talibans, on estime que les effectifs fonctionnels de ces milices souvent privées ou tribales tournaient entre 100 000 et 200 000 combattants.

Suite à des ententes avec l'Alliance du Nord qui luttait contre les talibans, la logique fut de construire l'armée nationale sur la base de milices déjà en fonction. Dans de nombreux cas, l'intégration de ces miliciens à l'armée n'est que bien théorique, les allégeances vont toujours au chef de clan, aux commandant originaires des régions auxquelles on s'identifie ou au parti politique de notre famille.

On a officiellement remobilisé l'armée nationale afghane en mars 2003. En janvier 2006, après pratiquement 3 ans, seulement 25 000 militaires avaient été regroupés.

On explique cet échec par les conditions, la paie, la langue unique et les officiers trop liés aux clans tajik du ministre de la défense.

Malgré l'investissement – 2 milliards de $ US seulement par les États-Unis en équipements militaires, en infrastructures et en soutien - n'a réussi à mobiliser qu'un nombre marginal de soldats composé à plus de 50 % d'hommes de main des chefs de guerre de la région de Kaboul.

D'ailleurs, la majorité des militaires haut gradés ont obtenu leur gallons à cause de leur influence et de leur capacité à mobiliser des combattants qui leur sont fidèles.

Compte tenu de l'extrême volatilité de la situation politique du pays, ces officiers supérieurs continuent souvent à payer eux-mêmes leurs anciens hommes de main. Ces soldats d'origines ethniques souvent peu diversifiés sont souvent soutenus de diverses façons par leur patrons non-militaires afin de conserver les allégeances. Bien difficile pour les officier occidentaux d'opérer efficacement dans un tel contexte.

Il est difficile de parler de façon précise de démographie en Afghanistan. Les autorités n'ont ni les ressources financières, ni les conditions de paix essentielles à la conduite de recensements dignes de ce nom.

Le pays, rongé par des décennies de guerre et d'importants flots de réfugiés et de combattants à la frontière pakistanaise ne connaît pas de répits.

L'ethnie pachtoune, particulièrement affectée par ces réalités compterait une quinzaine de millions de personnes; soit entre 40 et 60 % de l'imprécise population du pays.

Nous sommes donc devant une situation où des ethnies minoritaires sont assistées par une coalition internationale dans le développement d'une armée nationale, qui ne peut pas représenter significativement une majorité ethnique.

Une stratégie qui semble une véritable recette pour la catastrophe puisque la seule cause efficace de ralliement de ces forces est la haine des talibans, les factions radicales religieuses de l'ethnie majoritaire pachtoune.

Donc, les soldats canadiens travailleront à entraîner une armée, construite en catastrophe, sur un noyau composé de combattants tribaux et destinée à exclure la majorité ethnique de la région.

La population pachtoune combinée du Pakistan et de l'Afghanistan, terreau évidemment fertile pour les talibans, tournerait autour de 40 millions de personnes.

Tant que les combats se poursuivent, malgré l'origine pachtoune du président, cette communauté ethnique est totalement exclue de tout processus politique significatif et de toute intégration fonctionnelle aux structures de sécurité du pays, en premier lieu l'armée.

C'est cette réalité qui force les autorités politique du pays à vouloir négocier avec l'ennemie, les talibans.

C'est pour cette raison que plusieurs hauts dirigeants au sein de l'OTAN affirment depuis pas moins de deux ans qu'il n'y aura pas de solution militaire à la problématique des talibans dans la région.

Certains prônent ouvertement l'abandon du focus sur l'Armée Nationale, une peine perdue, et une réorientation vers la consolidation de milices locales de résistance aux talibans.

Dans un contexte où on estime à 10 % le taux de désertion des militaires de l'armée nationale, quittant avec leur formation et leur équipement militaire, il y a de quoi à être méfiant.

On estime que 30 % des armes fournies par les puissances occidentales à l'Armée et à la police seraient introuvables. On est encore incapable d'identifier les destinataires de 135 000 armes légères livrés par les forces de la coalition occidentale à l'armée.

Plusieurs militaires se demandent s’ils ne forment pas et n'équipent pas les combattants rebelles contre qui ils auront à combattre par la suite.

Pourtant les efforts de recrutement se poursuivent à la vitesse grand «V». On ne sait pas exactement par quelle magie les effectifs ont cru à 50 000 au cours des 24 derniers mois.

On sait qu'à la fin du règne de Georges Bush, une nouvelle avalanche de dollars, soit un soutien d'une valeur de plus de 2 milliards de dollars en équipements militaires, a enseveli les responsables du développement de l'Armée Nationale Afghane.

La course au recrutement est en cours avec les annonces de départ des occidentaux. Cette course, par la force des choses, exclura à toutes fins pratiques totalement les pachtounes. Le défis jusqu'en 2009 fut de « stabiliser » un seuil minimum de 70 000 soldats.

Les nouvelles prospectives avec le retrait de l'armée américaine d'Irak, et l'adoption par le président Obama de l'Afghanistan comme une priorité stratégique serait de faire croître cette armée jusqu'à 170 000 militaires, pour culminer à un niveau autour de 240 000.

Il y a ici lieu de se questionner. La mobilisation massive des pachtounes sera essentielle, et un tel objectif ne sera possible que par un accord de paix avec les talibans. Autrement, nous sommes face à une recette pour le désastre.

L'occident est-il en train de construire une armée à la sauvette? Une fois entraînée et équipée, risquerait-elle de tenter, par des actions génocidaires, de régler définitivement le cas des talibans et des populations pachtounes de la région? Cette question n'est pas à exclure.

Autrement, par ce vaste effort de sur-militarisation, l'occident prévoit-il pour des raisons économiques une présence militaire dans la région pour les prochaines décennies?

Il y a véritablement lieu de se demander si les actions actuellement, conduites par l'armée canadienne, constituent la voie vers une solution des conflits dans cette région. Serions-nous, au contraire, par aveuglement volontaire, en train de préparer un nouveau génocide ou une nouvelle guerre civile?

Serions-nous, par cupidité, impliqués dans l'établissement d'un nouveau régime militaire permanent dans la région?

Chose certaine, l'Afghanistan avec ses ethnies, la drogue, sa position géographique et sa tradition de guerre regroupe un grand nombre de conditions propices à un désastre. Une main de fer sera-t-elle nécessaire pour consolider l'effort de stabilisation?


Normand Beaudet
Centre de ressources sur la non-violence www.nonviolence.ca

Ne pas oublier:
Sommet populaire contre la guerre et le militarisme Pour en finir avec la guerre !
à Montréal, du 19 au 21 novembre 2010

Le Collectif Échec à la guerre organise un Sommet populaire contre la guerre et le militarisme, qui se tiendra à Montréal du 19 au 21 novembre 2010, et y convie les organismes de la société civile québécoise ainsi que tous les citoyens et toutes les citoyennes préoccupés par ces enjeux.

http://www.echecalaguerre.org/index.php?id=3


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