L’ARMÉE SILENCIEUSE

2010/11/18 | Par Ginette Leroux

Sélection officielle dans la section Un certain regard au Festival de Cannes, Grand Prix du Festival International du Film Black de Montréal, L’armée silencieuse de Jean van de Velde est un plaidoyer à la défense des enfants soldats, otages d’un conflit armé fratricide dans leur pays.



Abu, l’enfant soldat

Le film du cinéaste néerlandais raconte l’histoire d’Abu, un Ougandais de neuf ans. Il ne fréquente pas l’école, car il doit aider sa mère aux champs et à la maison car, en plus de travailler à l’extérieur du foyer, elle s’occupe de son mari paraplégique. Son grand ami Thomas vit seul avec son père, un hollandais de 40 ans cuisinier et propriétaire de son restaurant, depuis la mort tragique de sa mère.

Un jour, une razzia au village place Abu dans une situation extrême : les rebelles lui ordonnent de tuer son père s’il veut avoir la vie sauve. En dépit du geste posé, l’enfant pétrifié se voit contraint de suivre l’armée insurrectionnelle.

Sous la férule d’Obeke, le chef des rebelles, et d’autres enfants de son âge forcés d’apprendre le maniement des armes, Abu n’aura d’autre choix que de subir, à son tour, la formation d’enfant soldat.

Pendant ce temps, le père de Thomas s’inquiète de la grande tristesse de son fils qui a perdu son meilleur ami. Malgré les dangers auxquels ils s’exposent dans une région contrôlée par les rebelles, le père et le fils partent à sa recherche.



Appelez-moi papa! 

Les sévices infligés aux enfants récalcitrants, les mesures de représailles pour les empêcher de se solidariser et les manipulations machiavéliques d’Obeke sont des scènes profondément troublantes.

Aucune scène n’est gratuite chez Van de Velde. Particulièrement puissante, celle où le chef des insurgés finaude en laissant croire aux nouveaux arrivés qu’ils ont été choisis par l’armée de libération, se définissant lui-même comme l’autorité parentale qui saura les protéger. « Call me daddy! », insiste-t-il. « Daddy, Daddy, Daddy… », scandent les petits soldats, tétanisés.

À ce propos, le réalisateur rappelle que ces enfants ne carburent pas à la drogue contrairement à ceux de Sierra Léone ou à d’autres pays africains. Leur silence n’est obtenu que par la pression psychologique exercée sur eux.

Résultat d’une longue recherche appuyée, entre autres, sur l’expertise de War Child, une organisation humanitaire internationale qui s’occupe des enfants affectés par la guerre, le scénario foisonne de répliques justes et poignantes.

« Vos soldats en Irak ont 17 et 18 ans, des enfants aussi, la simple chose est que nos enfants vieillissent plus vite que les vôtres », réplique stoïquement le seigneur de la guerre lors d’une rencontre avec le père de Thomas qui réclame la libération d’Abu en invoquant sa jeunesse et sa fragilité d’enfant. Ces paroles ironiques ne laissent aucun doute sur les positions inflexibles du dirigeant assoiffé de vengeance.



Des acteurs internationaux

De facture classique, ce drame social réunit, en plus d’un groupe d’acteurs internationaux, professionnels et inexpérimentés, quarante enfants d’origine sud-africaine transportés en avion sur les lieux de tournage en Ouganda.

L’acteur néerlandais Marco Borsato joue le rôle du père d’Abou aux côtés des excellents Andrew Kintu (Abu) et Siebe Schoneveld (Thomas). Engagé, Borsato, qui est aussi chanteur, milite au sein de War Child International.



Complicité canadienne

« La complicité des Blancs occidentaux, qu’ils soient russes ou allemands, quant à l’utilisation des enfants pour la guerre est manifeste, dira Jean van de Velde, lors de la présentation de son film à Montréal en septembre dernier. Le Canada est le 7e pays du monde à acheter, à même les fonds de retraite de ses citoyens, des armes et des mines qui concourent à la durabilité de ces guerres. »

Soulignons que mines et grenades sont colorées de dessins pour attirer les enfants. Les kalachnikovs, fabriquées en Russie et vendues au bas prix de 150$, sont légères et facilement manipulables par des enfants capables de les monter et de les démonter en 15 minutes, les yeux fermés. Voilà d’autres affirmations particulièrement convaincantes qui s’ajoutent aux décisions politiques qui laissent pantois.



Briser l’indifférence

« Il y a deux armées silencieuses, celle des enfants qu’on force à faire la guerre et celle de ceux qui regardent le film et qui restent bouche bée devant ces horreurs », conclut le cinéaste engagé, interpellant au passage chacun des spectateurs.

Distribué par K-Films Amérique, L'armée silencieuse sera sur nos écrans à compter du 19 novembre en version originale néerlandaise, anglaise et swahili, sous-titrée en français.