Le mythe des écoles à charte

2010/11/18 | Par Pierre Dubuc

Dans l’édition du 11 novembre 2010 de la New York Review of Books, Mme Diane Ravitch lance une salve de missiles sol-air sur le film « Waiting for Superman » du réalisateur Davis Guggenheim.
 
Dans un article intitulé The Myth of Charter Schools (Le Mythe des écoles à charte), l’ex sous-ministre de l’Éducation sous l’administration de George W. Bush écrit qu’elle n’a jamais vu un documentaire lancé avec un tel battage publicitaire.

Le film de Davis Guggenheim – ce dernier par ailleurs récipiendaire d’un Oscar pour son film sur l’environnement mettant en vedette Al Gore – s’est mérité des critiques élogieuses dans les grands médias écrits, a fait l’objet de deux reportages à l’émission The Oprah Winfrey Show et d’une entrevue au réseau NBC avec le président Obama.
Au Québec, les critiques de cinéma de La Presse et du Devoir ont aveuglément emboîté le pas à leurs collègues américains.

Rappelons que Mme Ravitch est l’auteure de The Death and Life of the Great American School System, dans lequel elle explique sa volte-face complète à l’égard du programme de réformes qu’elle a déjà parrainé.

Mme Ravitch résume ainsi l’essentiel du message du film : Le système public d’éducation américain est en faillite. Le sous-financement n’est pas en cause. Au contraire, l’école publique dépense déjà trop d’argent. Les piètres résultats aux examens seraient causés par un trop grand nombre de mauvais enseignants, protégés par de puissants syndicats. Les résultats seraient meilleurs s’il s’avérait possible de congédier les mauvais profs et de mieux rémunérer les bons profs. La solution miracle : Les écoles à charte, dont la plupart sont financées par le gouvernement, mais gérées et contrôlées par des organismes privés, dont certains à but lucratif.

De façon conséquente, les deux héros du film sont Michelle Rhee et Geoffrey Canada. La première était directrice du réseau public d’éducation de la ville de Washington. Elle s’est forgé une réputation nationale en fermant des écoles et en congédiant des profs. Le second est responsable de deux écoles à charte à Harlem qui, à cause de l’abondance de leurs ressources, font l’envie de toutes les autres écoles du district.

Mme Ravitch ne manque pas de mettre en lumière le mépris affiché par le réalisateur Davis Guggenheim à l’égard de l’école publique. Dans le film, Guggenheim se félicite d’avoir pu fréquenter l’école élitiste privée Sidwell Friends où sont inscrites les filles du président Obama.

Elle souligne que Guggenheim n’a présenté aucune école publique de haut rendement, ni de profs ou de directions de ces écoles. Pourtant, rappelle-t-elle, l’évaluation la plus complète menée à ce jour concernant les écoles à charte a démontré que 17% d’entre elles affichaient des résultats supérieurs à ceux des écoles publiques, 37% des résultats inférieurs à celles-ci et dans 46% des cas, les résultats scolaires des écoles à charte et des écoles publiques s’équivalaient.

Mme Ravitch ne manque pas de faire remarquer que Michelle Rhee était enseignante de l’Education Alternatives Inc. de Baltimore, une des premières écoles à but lucratif.

Puis l’ex sous-ministre passe sous la loupe le rendement des écoles à charte dirigées par Geoffrey Canada. Elle révèle que son organisme, Harlem Children’s Zone, gère un actif de plus de 200 millions et que M. Canada touche un salaire annuel de plus de 400 000 $, grâce à la générosité des fondations privées qui soutiennent le projet.

Malgré de telles ressources, les résultats scolaires n’ont rien de mirobolants. Aux tests d’évaluation de 2010 de l’État, plus de 60% des élèves de 4e année d’une des écoles et 50% des élèves de l’autre n’atteignaient pas le niveau « proficient » (compétent) dans la compréhension de textes.

Pour mettre fin au mythe du grand succès des écoles de Geoffrey Canada, elle révèle qu’il a congédié une classe entière d’élèves parce que leurs résultats scolaires n’étaient pas satisfaisants aux yeux du conseil d’administration de son organisme.

Diane Ravitch s’emploie à dégonfler la thèse centrale du programme de réforme des écoles aux États-Unis, selon laquelle l’enseignant est le pivot le plus important de la réussite de l’élève. Elle cite différentes études qui évaluent l’importance du prof à une moyenne se situant entre 10% et 20% du rendement global de l’élève.

Bien entendu, l’enseignant est le plus important facteur au sein de l’école. Mais la réussite ou l’échec de l’élève s’explique principalement par des causes extérieures à l’école, comme le revenu familial.

Rien, dans le film de Guggenheim, ne fait référence aux enfants dont la disponibilité des parents n’est pas adéquate, pour une raison ou une autre. Pas un mot sur les enfants qui éprouvent des problèmes d’apprentissage ou encore sur les enfants de langue maternelle autre que l’anglais.

Mme Ravitch rappelle que l’instigateur des écoles à charte était Albert Shanker, président de l’American Federation of Teachers de 1974 à 1997. En 1988, il avait eu l’idée qu’un groupe de profs puisse, avec l’accord de leurs collègues, ouvrir une petite école spécialement conçue pour les décrocheurs. Une école qui travaillerait main dans la main avec l’école publique pour motiver les décrocheurs potentiels au moyen de programmes spéciaux.

Mais, en 1993, lorsque M. Shanker s’est rendu compte que des organismes à but lucratif s’étaient emparés de son idée pour promouvoir leur programme de privatisation, il a condamné l’idée même des écoles à charte.

Mme Ravitch fait ressortir les liens incestueux entre les gestionnaires de hedge funds milliardaires qui « arrosent » de dollars les candidats aux élections locales et d’État pour qu’ils fassent la promotion des écoles à charte.

Des liens qui se vérifient jusqu’à la Maison Blanche où l’administration Obama collabore étroitement avec les Fondations Gates, Broad et Dell pour faire la promotion des écoles à charte.

Dans Waiting for Superman, on compte quelques références rapides à la Finlande, dont les élèves sont au premier rang du classement mondial de la réussite scolaire.

Diane Ravitch se fait un malin plaisir de souligner que le film omet de mentionner que, contrairement à ce dont Guggenheim fait la promotion, tous les enseignants finlandais sont syndiqués, qu’on évalue rarement les élèves, qu’on investit énormément dans la préparation, le soutien et la rétention des profs, qu’il y a un curriculum commun pour l’ensemble du pays, qui ne se limite pas à la lecture et aux mathématiques, mais qui comprend les arts, les sciences, l’histoire, les langues étrangères, en somme tout ce qu’il faut pour assurer une bonne éducation et former de bons citoyens.


Dossier: Éducation: le modèle américain



BillComment les fondations américaines sont en train de déstructurer le réseau scolaire américain >>
par Pierre Dubuc




EducationDes modifications à la Loi de l’instruction publique lourdes de conséquences >>
par Pierre Dubuc




SupermanUne grande campagne aux États-Unis en faveur des écoles privées et de la paye au mérite pour les profs qui déferlera bientôt au Québec >>
par Pierre Dubuc




bonsLe modèle québécois importé aux États-Unis >>
par Pierre Dubuc




bons Une affaire de vision et non de gestion >>
par Pierre Dubuc




bons Une critique du film Waiting for Superman >>
par Pierre Dubuc