Rue Mordecai Richler ? Non merci !

2010/11/18 | Par Robin Philpot

L’auteur est essayiste et éditeur de Baraka Books

Rue Mordecai Richler ? Tant qu’à y être, pourquoi pas rue Donald Gordon, qui en 1962 a dit qu’il ne pouvait trouver de Canadiens français assez compétent pour être vice président du Canadien national ? Pourquoi pas une rue Jan Wong, qui a lié la tuerie du Collège Dawson au mouvement indépendantiste québécois ?

Après tout, ce sont deux autres Montréalais qui ont mérité une notoriété dans leur sphère d’activité respectif, le premier en affaires, le second comme grand reporter, notamment en Chine.

Impensable, bien sûr. Mais pourquoi alors même songer à donner à une rue de Montréal le nom d’un autre dénigreur du Québec et du peuple québécois — peut-être même le pire de tous ?

« Il faut toujours compter sur la saloperie des gens », écrivait Lise Bissonnette dans un éditorial intitulé « Comme à Salisbury, » peu après que Richler ait déclaré sur les ondes de la CBC que Le Devoir des années trente « était interchangeable avec Der Stürmer,» ce terrible torchon nazi voué à l’extermination des Juifs.

Des saloperies, Mordecai Richler en a proférées plus d’une sans jamais s’excuser même si on lui prouvait que c’était archi faux : la chanson thème de la victoire du Parti Québécois Demain nous appartient de Stéphane Venne aurait été inspirée des Jeunesses hitlériennes ou les Patriotes sous la direction de Louis-Joseph Papineau voulaient exterminer tous les Juifs et leur confisquer leurs biens. Sans parler du fait qu’il a comparé les femmes québécoises à des truies.

Que Mordecai Richler pense et dise ces choses au sujet du Québec était son droit le plus strict. Son problème, toutefois, c’était qu’il ne pouvait pas les lancer sur la place publique au Québec et ensuite les débattre librement pour la simple raison que, malgré toutes ses années passées au Québec, il ne parlait pas le français !

Il fallait donc qu’il les profère dans des contrées lointaines, profitant ainsi d’une crédulité provenant de l’ignorance. À beau mentir qui vient de loin, dit le proverbe. Il a ainsi sévi tantôt dans The Atlantic, tantôt dans The New Yorker tantôt dans The Wall Street Journal, où le droit de réplique est plutôt théorique

L’incapacité de Richler de parler français n’est pas une banalité. Elle dit beaucoup sur sa compréhension, ou incompréhension, du Québec. Rappelons que Richler a grandi à Montréal dans les années 1930 et 1940, s’exilant en Angleterre en 1952 où il est resté jusqu’en 1972.

À son retour, le Québec avait changé ! Les « Canadiens français » de sa jeunesse, qu’il méprisait selon ses propres écrits, n’acceptaient plus d’être un peuple de concierges et de serveuses invisibles. Mais lui n’a jamais accepté ce changement.

De toutes les accusations, celle de l’antisémitisme du Québec fait sans doute le plus mal. Mais là, c’est le deux poids deux mesures de Richler qui saute aux yeux. Alors que les clubs exclusifs anglais de Montréal et de Toronto excluaient nommément les Juifs et que McGill fermait ses portes aux Juifs, qui, pour faire des études supérieures, devait s’inscrire aux universités de langue française ou s’exiler aux États-Unis, Richler ne voyait que les déclarations d’un Lionel Groulx à qui il attribue la paternité du mouvement indépendantiste.

On semble vouloir concéder à Mordecai Richler le titre de « grand écrivain. » Écrivain drôle, satirique, oui, grand écrivain, peut-être pas. Je suis de l’avis que sa notoriété, surtout au Canada, il la doit principalement à ses attaques contre le Québec et que le jury n’a pas encore rendu sa décision sur la grandeur de son œuvre.

Voici donc une proposition de rechange. Si on veut honorer un écrivain de langue anglaise, donnons à une rue de Montréal le nom de Hugh Maclennan, auteur notamment de Deux solitudes et de Le matin d’une longue nuit.