Le mur

2010/11/22 | Par Claude Vaillancourt

Trois événements importants, sans lien apparent, qui se sont déroulés dans des mondes à part, révèlent clairement comme la politique se fait aujourd’hui. C’est-à-dire, dans l’indifférence devant toute réaction des populations. Et avec le sentiment de la part des gouvernants de remplir une mission plus haute : celle de combler les désirs de la classe financière.

Au dernier G20 à Séoul, 183 organisations de la société civile de 42 pays, représentant collectivement plus de 200 millions de personnes ont demandé aux dirigeants du G20 de mettre en place une taxe sur les transactions financières qui rapporterait entre 300 et 900 milliards de dollars par années, tout en atténuant la folie spéculative.

Cette demande était l’aboutissement d’une vaste campagne entreprise au Royaume-Uni l’hiver dernier au profit de cette mesure que l’on a habilement qualifiée de «taxe Robin des Bois». L’initiative, qui a fait boule de neige et reçu des appuis partout dans le monde, est venue se heurter, lors du G20 de Toronto en juin dernier, au non catégorique du gouvernement Harper, maladivement rébarbatif à toute forme de taxe.

Les invités réunis à Séoul, enlisés dans leur guerre monétaire, ont cette fois à peine jeté un regard sur cette proposition, qui s’est pourtant gagnée de nouveaux appuis. Et cela malgré le fait que la plupart de pays du G20 font face à des déficits considérables et imposent à leur population d’étouffants budgets d’austérité.

Le refus de prendre des mesures contraignantes contre le secteur financier, grand responsable d’une crise qui n’en finit plus, tient à la fois de la dénégation et d’un mépris pour toute solution qui ne viendrait pas ou n’aurait pas l’appui des banquiers et des spéculateurs.

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En octobre dernier, la France a vécu une agitation sociale sans pareille, provoquée par une réforme des retraite, défendue avec acharnement par le gouvernement de Nicolas Sarkozy : des millions de manifestants ont envahi les rues pendant plusieurs jours, les transports ont été perturbés, de nombreuses stations d’essence ont été fermées.

Dans les médias du Québec, on a réduit la portée de ces manifestations en qualifiant les Français d’enfants gâtés qui n’acceptaient pas de travailler deux années de plus avant de prendre leur retraite, alors que la situation financière contraignante de la France aurait dû ramener tout le monde à la raison.

Pourtant, les manifestants en appelaient surtout à une meilleure répartition de la richesse et à un plus grand respect de la démocratie (seuls les patrons ont été réellement consultés avant d’entreprendre la réforme).

Ils s’inquiétaient des manœuvres de diversion contre les Roms entreprises par le gouvernement, de la place disproportionnée qu’occupe la sphère financière au sein de leur société.

Tant d’énergie déployée, tant de demandes bien ciblées et bien articulées n’ont donné lieu qu’à une fin de non recevoir. Dans la confusion, le gouvernement a bel et bien adopté sa loi sur la réforme des retraites, sans tenir compte des demandes qui lui avaient été adressées.

Au Québec, le gouvernement Charest ne cesse quant à lui de subir les désaveux de la population. Ce qui ne l’empêche pas de rester imperturbable et de refuser d’entendre ce qu’on lui demande avec une obstination hautaine et insolente.

Il n’y aura pas de commission d’enquête sur l’industrie de la construction et pas de moratoire sur les gaz de schiste, nous répète-t-on. L’impopulaire budget Bachand et ses mesures d’austérité ne seront pas remises en cause. Ce gouvernement a même adopté, sans broncher et dans le mépris de l’opposition, une loi qui permet aux citoyens les plus riches d’échapper à l’école française.

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Dans ces trois situations pourtant dissemblables, on constate à quel point les gouvernants se font un point d’honneur de ne pas répondre aux demandes populaires, de ne pas en tenir compte.

Il en va de leur orgueil et de leur crédibilité : céder aux revendications populaires devient un signe de faiblesse, un manque de leadership. La démocratie représentative est alors le prétexte pour ne pas flancher.

Ces gens qui nous gouvernent n’ont-ils pas été élus par le peuple, par des millions d’électeurs consentants, qui vaudront toujours plus que toutes ces organisations qui s’opposent à eux? Cela ne leur donne-t-il pas tous les droits, y compris de prendre des mesures à l’encontre des intérêts collectifs et qui ne se trouvaient pas dans leur programme électoral?

En fait, on a bâti un mur entre les gouvernants et les populations. Un mur tellement étanche que lorsque les populations proposent des solutions autres aux problèmes contemporains que celles soufflées aux élus par les grands de la finances, celles-ci paraissent tellement inattendues, irrecevables, irréalistes qu’il ne reste plus qu’à les rejeter sans en discuter.

Les maladies de notre démocratie — le lobbying intensif des entreprises, le financement hors contrôle des partis politiques, les jeux de portes tournantes entre les ministères et les conseils d’administration des compagnies — la débarrassent de ses devoirs les plus évidents.

Principalement, écouter et rendre des comptes. Derrière le mur, derrières leurs portes et fenêtres insonorisées, constamment rassurés par leurs amis patrons, heureux de leurs dénis et de leurs vaniteuses démonstrations de fermeté, nos gouvernements développent leur faculté de nuire dans une grande raideur dogmatique.

Dans ce contexte particulier, imaginez l’ampleur de la victoire si les Québécois arrivaient à faire céder Jean Charest, ou mieux, à obtenir sa démission…