Question miracles, vive le Frère André !

2010/11/25 | Par Michel Rioux

On avait pu croire, mais à tort, avoir tout entendu en provenance de cette mouvance fort active qui prend de plus en plus une forme tentaculaire et qu’on désigne, en se gardant une petite gêne car il serait sans doute malséant, en l’occurrence, de livrer le fond de notre pensée, sous le nom de droite.

La plus récente illustration de ce délire vient de cette filière alimentée par l’Institut économique de Montréal (IÉDM) et qui a ses ramifications à la Chambre de commerce, au Conseil du patronat et dans les médias, en particulier ceux de Pierre-Karl Péladeau.

Le 1er novembre, l’IÉDM remettait un prix à Annie Dufour, journaliste au réseau TVA de M. Péladeau. « Mme Dufour s'est distinguée par une série de reportages dans le cadre du projet Le Québec dans le rouge. Elle a su attirer l'attention des Québécois sur l'endettement élevé de la province et elle a permis à la population de prendre conscience du coût réel des programmes gouvernementaux. L'IÉDM est fier de féliciter le travail de Mme Dufour… », lit-on dans le communiqué.

L’IÉDM, qui milite activement pour le démantèlement de l’État québécois, récompense une journaliste qui se fait le relais de cette entreprise de démolition.

Dans le Journal de Montréal et le Journal de Québec sévissent entre autres Daniel Audet, vice-président du Conseil du patronat et administrateur de l’IÉDM, et Nathalie Elgrably-Lévy. Au National Post, chronique Ezra Isaac Levant, qui se décrit lui-même comme un militant d’extrême droite.

C’est celui-là même qui a été invité pour réchauffer la foule rassemblée à Québec par le Réseau Liberté-Québec et les radios poubelles du lieu.

D’ailleurs si, pour être conséquentes avec elles-mêmes, les personnes qui ont participé à cette rencontre avaient dû déchirer leur carte d’assurance-maladie avant d’entrer dans la salle, il y a fort à parier que l’assistance aurait fondu de moitié. Minimum.

S’ils ne sont pas nombreux, ces thuriféraires de la droite peuvent cependant faire illusion, comme l’huile à la surface de l’eau.

Mais revenons à madame Elgrably-Lévy. Dans un écrit récent, elle soutient sans rire qu’au « Québec, tout comme dans plusieurs pays à travers le monde, le capitalisme a reculé au cours des cinquante dernières années au profit de la social-démocratie ». Rien de moins.

Elle en veut pour preuve que « pour pouvoir accuser le capitalisme d’avoir causé nos déboires économiques, encore faudrait-il que ce système ait été prédominant dans nos sociétés ». À croire que Maxime Bernier a raison de clamer qu’on vit sous la coupe de gouvernements socialistes !

Et d’ajouter que « partout le secteur public déraille, et on prétend que c’est le libre marché qui est en crise !? Voyons donc ! » Et de conclure que « la crise est bien réelle, mais elle est celle de l’interventionnisme. La faillite des États, c’est l’expression du fiasco de l’État-providence et du keynésianisme ».

Pour n’être pas en reste, Elgrably-Lévy assène l’argument final : « La force syndicale est plus présente et plus puissante que jamais. » Les connaissant, je suis sûr que Claudette Carbonneau, Réjean Parent et Michel Arsenault se sont étouffés en prenant leur café.

Comme cette personne enseigne aux HEC, on est tenté de penser, comme Duplessis, qu’il y en a qui ne portent pas l’instruction. C’est d’ailleurs un dangereux gauchiste, Warren Buffett pour ne pas le nommer, qui a écrit récemment à Uncle Sam pour le remercier d’avoir, avec de l’argent public bien sûr, sauvé le système capitaliste en volant au secours des banques et de grandes entreprises comme GM et AIG.


La Cour des miracles

Dans la religion, les miracles ne font de tort à personne, surtout à celles qui y croient. Mais c’est un mot qui écorche désormais mes oreilles – surtout celle de gauche –, depuis que ce qu’on nous présentait comme des miracles s’est transformé en débâcles pour lesquelles ont casqué les petites gens.

Qui se souvient aujourd’hui de ce miracle néo-zélandais, dont Claude Picher se faisait le chantre dans les années 1980 ? Après avoir frôlé le gouffre avec son bad trip néolibéral, ce pays, tout éclopé, est revenu sagement à des politiques inspirées par la social-démocratie.

C’est l’Islande qui nous a par la suite été présentée comme la terre sainte miraculeuse. Dans cette île, la population et le gouvernement ont littéralement pris une brosse en laissant les banques faire des folies spéculatives, jusqu’à ce que tout s’écroule en fumée. Et ce fut la gueule de bois en 2008. En 2010, la dette du pays atteint 140 % du PIB.

Et que dire du dernier miracle en lice, dont la balloune vient d’éclater, le miracle irlandais ! Après qu’elle eut connu une croissance factice entreprise avec une réduction des dépenses publiques de 20 % et une baisse draconienne des charges fiscales des riches et des entreprises, l’Europe et le Fonds monétaire international ont dû, il y a quelques semaines, imposer à l’Irlande une transfusion d’euros sans laquelle c’était la faillite.

Un autre miracle néolibéral qui aura fait des victimes chez les moins bien nantis. Imaginez ! Pour se refaire une santé, le gouvernement irlandais vient de réduire… le salaire minimum ! On connaît le sens de l’humour des Belges. Mais on se pince en lisant ce qu’écrivait un analyste du lieu il y a quelques années. « L’Irlande est un modèle en matière de redressement économique. C’est pourquoi nous y revenons, tellement ce pays nous paraît… exemplatif… » On appelle cela un belgicisme.

En matière de miracles, je préfère encore ceux du frère André !