CSST: des millions pour des expertises médicales !

2010/11/26 | Par Micheline Pelletier

L’auteur est coordonnatrice de l’Aide aux Travailleurs Accidentés- ATA

Des représentants d’associations patronales font présentement des pressions dans le but de restreindre les indemnités accordées aux accidentés du travail. Pourtant l’article premier de la Loi sur les accidents du travail et des maladies professionnelles vise l’indemnisation des travailleurs accidentés.

Si la plupart des réclamations des travailleurs sont acceptées, ces derniers reçoivent cependant d’immenses pressions pour ne pas déclarer un accident ou pour un retour prématuré au travail. Cette semaine encore, nous avons reçu un appel d’un travailleur qui ne savait quoi penser d’un « deal » proposé par son employeur : obtenir une rapide consolidation de son médecin avec mention que l’accident n’a laissé aucunes séquelles contre la promesse que lui, l’employeur, ne contestera pas l’accident.

Pourquoi ces pressions? Dès qu’un accident du travail survient, toute une escouade se met en branle pour soit disant réduire les coûts reliés à l’indemnisation des lésions professionnelles. Des contestations fusent alors de toutes parts : contestation de l’accident et surtout contestations des rapports médicaux comme si les médecins des travailleurs étaient naturellement incompétents ou même malhonnêtes. Ces démarches impliquent des millions de dollars annuellement. Un malheureux accident conduira donc à un procès devant la Commission des lésions professionnelles (CLP).

Le travailleur dans tout cela ? Pour faire un triste parallèle, un travailleur accidenté se retrouve à jouer le rôle d’un bien personnel qu’on assure en cas de dommages, un peu comme une automobile. Il ne débourse aucune prime mais en cas d’accident il n’a rien à dire. On établit les dommages le plus rapidement possible et on évalue les coûts de l’impact de « l’accident de parcours ». Si les séquelles sont trop importantes, on le « comprime au maximum » avec toutes les répercussions sur sa vie personnelle, familiale et bien sûr professionnelle et on l’oublie… business as usual… Les sentiments sont mis de côté, seule la facture fera l’objet de discussions entre la CSST et la partie patronale. Les employeurs « bons pères de famille » se font de plus en plus rares.

Si quelques accidents du travail « spectaculaires » font parfois la manchette, la plupart font peu de bruit. On oublie vite la douleur de celui qui a eu le bras arraché, de celle qui a eu les doigts tranchés, de celui qui a subit un choc post-traumatique pour avoir écrasé accidentellement son compagnon de travail ou qui a été amputé d’une jambe suite à une chute, de ceux défigurés par les brûlures ou qui ont reçu un arbre sur le dos et qui demeurent avec l’échine brisée à jamais.

L’arbitrage médical instauré en 1985 vise à trancher entre l’opinion du médecin du travailleur et ceux de la CSST et/ou de l’employeur. Plus de 10 000 demandes d’avis médicaux sont adressés au Bureau d’évaluation médical (BÉM) annuellement. L’an dernier, la CLP, a infirmé près de 70% des avis des médecins du BÉM contestés qui ont fait l’objet d’une décision. Comment autant de médecins spécialistes peuvent-ils se tromper ?

Le rôle de ces médecins experts n’est pas de soigner, mais simplement d’évaluer et les rendez-vous s’obtiennent dans les 2 ou 3 semaines. Le travailleur est obligé de s’y présenter sous peine de se voir retirer ses prestations. Ce système d’évaluation est d’autant plus frustrant pour les travailleurs, que l’obtention d’un rendez-vous avec un médecin spécialiste dans le but d’obtenir des soins prendra des mois.

Le stress relié à ces examens et les mouvements forcés rapportés par de nombreux travailleurs retardent la guérison. La démarche contribue également à stigmatiser les travailleurs ; le recours aux expertises entretient le mythe du travailleur accidenté fraudeur et profiteur.

À qui ce système profite-t-il vraiment ? Pour chaque accidenté, il peut y avoir jusqu’à trois ou quatre avis d’experts (parfois plus) pour en arriver souvent à la conclusion que la question médicale est résolue depuis longtemps et ce à l’encontre de l’avis du médecin du travailleur. Le système d’indemnisation suite à une lésion professionnelle est donc financé non seulement par les cotisations des employeurs mais aussi par la santé physique et psychologique des travailleurs.

Bien que reconnus aptes au travail par la CSST, de nombreux accidentés se retrouvent exclus du marché du travail parce que considérés « à risque » par les employeurs.

Improductifs les travailleurs accidentés ? Pourtant, leurs accidents donnent du travail à toute une armée d’intervenants médicaux et juridiques. Ils consomment des quantités astronomiques de médicaments, brûlent des milliers de litres de pétrole pour se rendre à des expertises médicales souvent à des centaines de kilomètres de chez-eux (frais remboursés au taux de 14 cents et demi le kilomètre !). À eux seuls, ils font virer un pan entier de notre économie. Pas surprenant qu’ils soient si épuisés.

Finalement un accident du travail se résume pour les uns à une réduction maximale des indemnités et pour les autres à la possibilité d’accéder à des retombées économiques. Au plus fort la poche comme dirait ma mère.

Les accidentés n’ont aucune chance dans ce combat inégal parce qu’ils entrent en scène justement au moment où ils viennent de s’infliger des blessures parfois très graves. Parce que suite à un accident du travail, la vie bascule. Finie la paie qui entre régulièrement pour payer les factures, réduite la vie sociale, fragile la santé, ébranlé l’équilibre familiale et parfois remise en question la vie.

Bref, pendant qu’ils sont occupés à se remettre des conséquences de leur accident, on scelle le sort des accidentés en coulisse.

Dans son étude sur Les effets du processus sur la santé des personnes victimes de lésions professionnelles, déposée en 2005, Madame Katherine Lippel, conclut que (…) Les coûts de la représentation et des expertises médicales rendent illusoires l’accès à la justice pour bon nombre de travailleurs accidentés… les employeurs et la CSST ont bien plus les moyens que les travailleurs ; alors cette absence d’appui nuit de manière systémique aux travailleurs accidentés et prive du droit à une défense pleine et entière.

Il existe au Québec quelques rares associations qui offrent des services aux non syndiqués. Elles n’ont malheureusement pas les moyens d’embaucher des avocats qui pourraient plaider les dossiers et permettre aux travailleurs d’avoir un véritable accès à la justice. L’admissibilité à la l’aide juridique étant très restreinte, de nombreux travailleurs doivent donc se présenter seuls en cour et faire face à la « grosse machine ».

À ce sujet, les recommandations d’un rapport de la Commission de l’économie et du travail déposé en décembre 2006 soulignait, entre autres, le manque de soutien aux travailleurs accidentés et suggérait l’évaluation de … « l’opportunité de développer un programme de soutien financier aux organisations qui viennent en aide aux travailleurs accidentés non syndiqués, comme il en existe dans d’autres provinces du Canada. »

Des modifications à la loi sur les accidents du travail sont en gestation suite à la création d’un groupe de travail par la CSST. Les choses changeront-elles pour le mieux ? Qui protégera les intérêts des travailleurs ? Certainement pas le Conseil du patronat du Québec qui vient de proposer la réduction des indemnités.

Le climat de corruption qui met actuellement en scène les « grands » de notre monde politique laisse bien peu de place aux débats sociaux. Place à la gestion des post it, aux allégations et aux mises en demeure. Une nouvelle commission d’enquête en vue ? Ainsi vont les sous qui pourraient servir à construire une société juste et équitable et ainsi réduire l’exclusion sociale.