Élections en Haïti

2010/12/21 | Par Réseau de solidarité Canada-Haïti

Madame la Députée,

Monsieur le Député,

Nous vous écrivons pour vous exhorter à considérer d’un œil critique le fait que le gouvernement du Canada finance et avalise les élections du 28 novembre en Haïti.

Le ministre des Affaires étrangères, Lawrence Cannon, légitime ces élections. Lors d’une conférence de presse hier après-midi, il estimait « … essentiel que les acteurs politiques haïtiens… démontrent un ferme engagement envers… l’intégrité du processus électoral. »

Le ministre dit que le Canada facilitera le dépouillement judiciaire et appuiera un deuxième tour de scrutin à la présidence. Les conditions de ce tour restent à préciser. Ainsi, va-t-on respecter l’exigence constitutionnelle d’Haïti qui limite le nombre des candidats du deuxième tour aux deux candidats ayant reçu le plus de votes au premier tour? Dans les coulisses du pouvoir, on se livre présentement en Haïti à de furieuses discussions sur cette question et sur d’autres détails.

Force est d’admettre que l’appui soutenu accordé à ce processus électoral raté est aux antipodes du tollé quasi général constaté par les Canadiens au téléjournal ou dans les rapports à la radio et dans les journaux. Comme on l’a dit au bulletin national de nouvelles de CBC Radio One, il s’agit d’un « cas assez flagrant de fraude électorale ».

Selon un autre rapport à la radio de la CBC, « Ces élections sont une imposture. L’ONU le sait, le gouvernement des É.-U. le sait, le gouvernement du Canada le sait. Et pourtant, ici nous parlons à qui mieux mieux de dépouillement judiciaire. » (David Gutnick, The Sunday Edition, 12 décembre 2010)

Lundi soir à la CBC, The World At Six rapportait que « Par le passé, les É.-U. et le Canada ont été accusés d’ingérence dans les élections d’Haïti, voire d’orchestration de coups d’État. Cette fois-ci, ils appuient tous deux la décision d’Haïti de procéder à un dépouillement judiciaire du scrutin à la présidence alors que des observateurs soulignent que cela ne règle en rien le problème majeur : le scrutin lui-même. »

À notre connaissance, personne au Parlement du Canada ne conteste la légitimité de ce processus électoral frauduleux. Les députés ont plutôt discuté hier soir de la façon de le réchapper.

Nous vous le rappelons, bien des voix se sont élevées en Haïti et ailleurs pour dire que la tenue d’élections devait répondre aux priorités d’Haïti plutôt qu’à celles de bailleurs de fonds étrangers. La communauté internationale devrait plutôt se préoccuper et s’occuper des urgences liées à la situation humanitaire et à la santé publique.

Nous exhortons le Canada à ne pas appuyer un quelconque dépouillement du scrutin du 28 novembre, ni la tenue d’un deuxième tour fondé sur des résultats frauduleux. Ainsi que l’a précisé l’Institut pour la justice et la démocratie en Haïti, à l’instar de plusieurs, des élections justes supposent les prémisses suivantes :

  • La fin de l’interdiction de participer aux élections imposée à des partis politiques, notamment le Fanmi Lavalas de l’ex-président en exil Jean-Bertrand Aristide.

  • La mise en place d’installations adéquates pour l’inscription et le vote.

  • La création d’une nouvelle commission électorale qui soit représentative.

Nous notons que le débat tenu au Parlement le 13 décembre sur les élections du 28 novembre n’a fait état d’aucune de ces lacunes – pourtant des plus sérieuses.

Nous vous exhortons également à rejeter toute suggestion de lier l’aide internationale en Haïti à ces résultats électoraux ou à d’autres. Les élections du 28 novembre ont été hâtées et financées par des puissances étrangères, dont le Canada. Les victimes du séisme et de la crise de choléra en cours ne doivent pas payer le prix des sottises de ceux qui n’ont pas voulu suivre le sage conseil que la réconciliation nationale et un plan de reconstruction étaient des prémisses essentielles à la tenue d’élections valables.

Le Canada a fait trop peu pour lutter contre l’épidémie de choléra introduite en Haïti par des militaires de la mission onusienne. Pis encore, on n’a versé qu’une fraction des fonds de contrepartie promis par le gouvernement pour les secours d’urgence à la suite du séisme. Le Canada a trop donné à des organismes policiers et carcéraux, et donné trop peu à des ministères et organismes sociaux d’Haïti.

Comme l’a expliqué le prestigieux organisme mondial de santé Partners In Health, les secours et la reconstruction en Haïti exigent le soutien d’organismes publics chargés de fournir l’eau potable et les services de santé et d’éducation; la construction de logements et d’autres infrastructures d’importance vitale; et la promotion du développement agricole. Nous vous demandons de remettre en question l’approche défaillante adoptée par le Canada jusqu’ici. Le peuple haïtien a besoin d’une aide adéquate et d’une aide plus importante; il n’a pas besoin que l’on manipule sa souveraineté politique et sa démocratie.

Au nom d’Haiti Solidarity BC (membre du Réseau de solidarité Canada-Haïti),

Roger Annis, Bill Burgess, Stuart Hammond et Melanie Spence


Pour en savoir plus sur les liens Canada-Haïti et sur le Réseau de solidarité Canada-Haïti, voir : www.canadahaitiaction.ca.