La méthode Lean ou Toyota dans le réseau de la santé

2010/12/21 | Par Maude Messier

Le 9 décembre dernier, le ministre de la Santé et des Services sociaux, Yves Bolduc, annonçait un plan de réduction de 730 millions $ dans les dépenses administratives du réseau de la santé d’ici 2013-2014. Compressions qui n’ont pas manqué de faire grincer des dents dans les milieux syndicaux.

« Le réseau de la santé n’est pas une chaîne de montage! On n’assemble pas des voitures! », s’insurge la présidente de l’Alliance du personnel professionnel et technique de la santé et des services sociaux (APTS), Dominique Verreault, en entrevue à l’aut’journal.

Et l’incidence sur la qualité des services?

Si Yves Bolduc soutient que ces compressions ont pour objectif d’accroître la performance et l’efficience du réseau sans toutefois porter atteint à la dispensation des services, la présidente de l’APTS se demande bien « à qui le ministre va réussir à faire avaler cette couleuvre?».

Elle rappelle que la Loi 100, loi d’exécution du budget Bachand, impose déjà des coupures de 100 millions $ au réseau public, notamment dans la formation et le perfectionnement, le transport et la publicité.

« La formation, c’est primordial pour les professionnels de la santé qui doivent conjuguer avec des outils et des méthodes de travail constamment en évolution », explique la présidente du syndicat qui représente plus de 27 000 professionnels et techniciens répartis dans une centaine de titres d’emplois. Elle indique aussi que les coupures dans les frais de transport se répercutent nécessairement en une réduction des services à domicile.

« C’est donc absolument faux de faire croire à la population qu’on peut couper autant dans le réseau de la santé sans que les services n’en souffrent, c’est inimaginable! »

Des 730 millions $, le ministre prévoit réduire de 100 millions $ les dépenses liées à l’administration et au soutien, notamment grâce à la politique d’attrition, un départ à la retraite sur deux n’étant pas remplacé.

« Qu’on ne remplace pas les cadres, c’est une affaire. Mais qui va faire le travail du personnel de soutien qui ne sera plus là? Les brancardiers, l’entretien ménager, les préposées, les réceptionnistes, les cuisiniers? Le travail ne disparaîtra pas par magie », s’inquiète Mme Verreault.

À son avis, ce que le ministre qualifie d’optimisation des services de soutien se traduit plutôt par une charge plus importante pour les professionnels, plus de « paperasseries », et donc, moins de temps consacré aux patients.


Des êtres humains, pas de la ferraille!

Le recours à la rationalisation selon la méthode Lean, une méthode productiviste empruntée à l’industrie automobile aussi connue sous le nom de la « méthode Toyota », irrite au plus haut point. « Le citron est déjà compressé au maximum; il n’y a plus de jus là! »

Dominique Verreault explique que des barèmes rigides régissent les interventions des professionnels avec les patients, un système lourd et inadéquat découlant directement de cette gestion productiviste. Des gestionnaires d’établissements vont même jusqu’à imposer une limite au nombre de rencontres pour traiter un patient, en physiothérapie par exemple.

« Ce n’est pas comme ça que ça marche. Nous sommes dans des relations d’aide avec des hommes et des femmes qui souffrent, on n’est pas sur une chaîne de montage », s’indigne-t-elle tout en reconnaissant que tout n’est pas parfait et qu’il y a certes place à l’amélioration.

« On peut revoir les façons de faire et améliorer la dispensation des services, mais certainement pas de cette manière inconcevable et irréaliste. »

Le ministre se borne à répéter que ces nouvelles compressions visent à améliorer l’efficience dans la dispensation des services et qu’elles se réaliseront « dans le respect de nos employés et de nos professionnels. »

Un point de vue que ne partage pas l’APTS. « Les professionnels ne sont plus capables. On note une nette progression des absences de maladie, qui sont aussi plus longues. C’est le signe évident que quelque chose ne va pas. »

Elle précise également que la fuite vers le privé est une réalité préoccupante chez les professionnels. « La rétention du personnel, c’est aussi un enjeu majeur pour les professionnels. Le réseau de la santé n’offre pas des conditions de travail attirantes; l’attrait du privé se fait donc sentir. »

Les horaires difficiles, l’impossibilité d’accomplir leur travail au meilleur de leur compétence en raison de critères d’efficience aberrants et l’absence de conciliation travail-famille sont tout autant de facteurs qui poussent de nombreux professionnels à aller vers les agences ou encore à ouvrir une clinique dans le privé.

« Ce n’est pas des farces, il y a des employeurs qui imposent par exemple aux travailleurs sociaux une limite de 45 minutes par rencontre, peu importe la situation et la détresse de la personne. »

Pour Mme Verreault, il faut repenser le réseau de la santé et des services sociaux d’une façon plus sociale. À son avis, le vent de privatisation qui souffle sur le Québec a de quoi inquiéter.

« Quand les solutions sont là, qu’on sait que le privé coûte plus cher et qu’il n’a rien d’avantageux à offrir, à part le profit pour les amis, on a de quoi se questionner. C’est quoi l’intérêt de donner autant de place au privé? La question de la volonté politique se pose certainement. »


Vers une nouvelle mouvance sociale?

Tant sur la question de la santé, de l’éducation que des services publics et de l’équité sociale, l’APTS estime que la course effrénée à l’équilibre budgétaire est de bien mauvais augure pour les Québécois.

« Quand on pense aux frais collatéraux en santé que nous devons désormais assumer, la taxe santé, les diminutions d’impôts pour les plus riches, c’est clair que ça ne va pas. »

C’est d’ailleurs dans l’optique de créer un pendant social que les grandes organisations syndicales et les fédérations étudiantes ont formé, le 5 novembre dernier, l’Alliance sociale, dont l’APTS est l’un des membres constituants.

« On sent un mouvement social au Québec depuis un an et demi qui se met en branle. Plusieurs coalitions ont vu le jour, dont la Coalition contre la tarification. L’Alliance sociale, actuellement formées de syndicats, souhaite rallier différents acteurs sociaux de tous les milieux pour faire front commun contre le gouvernement et la droite qui déferle présentement. »

Mme Verreault confirme que des discussions sont en cours avec différentes organisations en vue d’un important rassemblement dès février prochain, soit avant le dépôt du prochain budget provincial.

Opposées à la stratégie fiscale du gouvernement de Jean Charest qu’elle juge injuste et inéquitable et aux mesures rétrogrades telles que la franchise santé, les coupures dans les services publics et les programmes sociaux et les compressions budgétaires inadéquates, les organisations membres de l’Alliance sociale rencontreront prochainement le ministre des Finances dans le cadre des consultations prébudgétaires. Elles comptent présenter des mesures alternatives concrètes pour solutionner les problèmes économiques et sociaux, dont l’ajout d’un 4e palier d’imposition pour ceux dont les revenus annuels excèdent les 127 000 $.

L’Alliance sociale a d’ailleurs entamé la semaine dernière une tournée des régions sous le thème « Un autre Québec est possible! » pour interpeller les députés afin d’obtenir un changement de cap budgétaire. Une série d’actions sont à prévoir d’ici le printemps prochain.