Réforme du système canadien des retraites

2010/12/21 | Par Michel Lizée

Michel Lizée est économiste et coordonnateur au Service aux collectivités de l’UQAM. Il est impliqué activement dans le dossier des régimes de retraite à titre de fiduciaire de deux caisses de retraite et de formateur de membres de comités de retraite.

Le ministre fédéral des Finances, Jim Flaherty, vient d’annoncer qu’au lieu de procéder à une amélioration progressive du Régime de pensions du Canada (RPC), il proposera aux ministres provinciaux des Finances les 19 et 20 décembre prochains la mise sur pied de régimes de pension agréés collectifs (RPAC).

Pourtant, en juin dernier, les ministres fédéral et provinciaux des Finances ont écarté cette option pour privilégier plutôt une amélioration du RPC et de son jumeau québécois, le Régime de rentes du Québec (RRQ).

Actuellement ces régimes assurent une rente modeste d'un peu moins que 25% du salaire moyen de carrière pour une rente maximale de 7 847$ à 60 ans ou de 11 210 $ à 65 ans en 2010.

Avec des régimes publics aussi faibles, il n'est pas surprenant qu’une personne âgée sur deux de plus de 65 ans au Québec soit suffisamment pauvre pour être admissible au Supplément de revenu garanti du gouvernement fédéral, un programme visant exclusivement les personnes âgées à faible revenu.


La pire des options

L'option proposée par le ministre Flaherty est essentiellement un régime à cotisations déterminées qui ne garantit pas de rente et qui fait porter tout le risque par les individus. Les employeurs pourraient offrir un Régime commun de pension agréé à leurs employés mais ne seraient pas obligés d'y cotiser eux-mêmes, contrairement au Régime de retraite simplifié (RRS) en vigueur depuis plusieurs années au Québec, au Manitoba et pour les entreprises sous compétence fédérale.

Chaque personne salariée qui accepterait d’y participer posséderait un compte individuel administré par une institution financière privée et choisirait ses options de placement. Les cotisations patronales, le cas échéant, et les intérêts qu’elles rapportent seraient immobilisés jusqu’à la retraite.

Aux États-Unis et au Canada, différentes formes d'épargne retraite, encouragées par des mesures fiscales avantageuses, sont en place depuis longtemps, mais elles n'ont pas permis à la majorité des personnes âgées d'échapper à la pauvreté.

Malheureusement, beaucoup de gens n'ont pas la capacité ou la volonté d'épargner assez pour assurer le maintien de leur niveau de vie après la retraite. Mais surtout, il faut constater que les principaux bénéficiaires d'un système d'épargne retraite individuelle sont des institutions financières qui chargent des frais administratifs excessifs et dont les rendements sont rarement à la hauteur de leurs promesses.


Les fonds mutuels canadiens sont trop chers et n’ont pas produit de la valeur pour leurs clients

Plusieurs études ont démontré que les frais de gestion des Régimes enregistrés d'épargne retraite (REER) au Canada sont plus élevés que dans les autres grands pays industrialisés.

D’ailleurs, certains chercheurs ont proposé de réduire les frais de gestion en confiant les fonds à l’organisme qui administre déjà le Régime de pensions du Canada où les frais annuels sont inférieurs à la moitié de 1% des actifs comparativement à plus de 2% pour la plupart des fonds mutuels sur le marché de détail.

L'ancien ministre responsable de la Régie des rentes du Québec, Sam Hamad, proposait au printemps une approche semblable avec la Régie des rentes du Québec.

Si l’objectif est de créer des bassins importants de fonds d’épargne-retraite, pourquoi ne pas au moins utiliser les fournisseurs à bas coût que sont l’Office d’investissement du RPC pour le Canada et la Régie des rentes au Québec ?

Selon Keith Ambachtsheer et Rob Bauer, deux experts canadiens, globalement, les fonds mutuels domestiques ont sous-performé en générant 3,8% de moins annuellement que les régimes canadiens à prestations déterminées dans la même classe d’actifs.i

Les régimes à prestations déterminées qui garantissent une rente viagère sont un bien meilleur choix que des régimes à cotisations déterminées ou l'épargne individuelle comme le régime proposé par le ministre Flaherty.

Les actuaires qui ont comparé ces deux types de régimes ont conclu qu’avec le même niveau de cotisations, un régime à prestations déterminées peut payer des rentes 2 fois plus élevées que celles qu’on peut retirer d’un régime d’épargneii.

Plusieurs facteurs expliquent cet écart. Un régime collectif à prestations déterminées permet des placements axés sur la performance sur un cycle économique complet et profite des économies opérationnelles découlant de la taille et de la gestion commune des actifs.

Un individu n'est pas capable de diversifier ses placements suffisamment pour se protéger du risque du marché et, rendu à la retraite, il se doit de choisir des placements très conservateurs.

S'il a le malheur d'être obligé de convertir ses épargnes en revenus de retraite dans une période de mauvaise conjoncture, il perdra alors une très grande partie de l'épargne cumulée péniblement pendant sa vie active.

De plus, un régime à prestations déterminées est une forme d'assurance mutuelle qui permet de garantir une rente la vie durant quelle que soit l'espérance de vie, alors que l'individu qui doit compter sur son épargne individuelle ne sait pas pendant combien de temps cette épargne doit lui permettre de vivre.

Malheureusement, à peine 42% de la population active québécoise (la proportion au Canada est encore plus basse) participe à un régime complémentaire de retraite, encore moins à un régime à prestations déterminées, et ce pourcentage est beaucoup plus faible qu’il y a 20 ans.


Améliorer le RPC et le RRQ est la seule option qui améliorerait la sécurité du revenu à la retraite pour l’ensemble de la population active

Dans une étude récenteiii, la Régie des rentes concluait que seulement 27% de la population québécoise avait un potentiel «élevé» d’atteindre un niveau adéquat de remplacement du revenu à la retraite.

En comparaison, 38% n’avait aucune couverture, 17% un potentiel «peu élevé» et 18% un potentiel «moyen». Quand un système ne protège pas bien 73% de la population active et qu’à peine le quart s’en tire, n’est-il pas temps d’agir ?

La proposition Flaherty est essentiellement la même chose que les Régimes de retraite simplifiés (RRS) déjà en vigueur au Québec depuis une dizaine d’années et n’amènerait donc rien de nouveau.

En 2008, il existait au Québec 13 RRS couvrant 1 416 employeurs et 58 354 participants, pour un actif accumulé de 918 millions de dollarsiv, un résultat somme toute très modeste en termes de couverture et de niveau d’actifs.

Une réforme du système des pensions doit rompre avec une approche fondée sur le volontariat des employeurs qui est responsable du fait que seulement 34% des travailleurs du secteur privé ont accès à un régime complémentaire.

La proposition Flaherty nous ramène au statu quo où l’on compte sur la capacité et la volonté des individus d’épargner. Cette approche marche seulement pour les individus déjà bien nantis qui accaparent la part du lion des avantages fiscaux.

Si on veut avoir accumulé assez de droits pour vivre décemment à la retraite, il faut avoir cotisé pendant toute sa vie active et seule une approche obligatoire peut nous donner une telle assurance.

Les ministres fédéral et provinciaux des Finances avaient convenu en juin 2010 que la seule option pour améliorer la sécurité à la retraite des Canadiens et Canadiennes était une hausse progressive du Régime de pensions du Canada. Sans débat ni explication, le ministre Flaherty tente de fermer cette porte.

Pour être adoptée, une telle amélioration requiert l’accord du gouvernement fédéral et de 2/3 des provinces représentant 2/3 de la population. L’Ontario, de loin la province la plus populeuse, est en faveur d’une telle hausse.

Sans crier gare, le ministre fédéral affirme ne pas avoir convaincu un nombre suffisant de provinces pour pouvoir aller de l’avant, sans les nommer évidemment. Quelles sont les provinces qui s’opposaient à une amélioration du RPC ? Quelle est la position du ministre québécois des Finances, Raymond Bachand, qui a droit de vote au chapitre même si le Québec ne participe pas au RPC ?


La proposition des syndicats et des groupes de femmes, de jeunes et de retraités : doubler progressivement le taux de remplacement des régimes publics

Il reste à évaluer les scénarios d'une amélioration du RPC/RRQ. Quel niveau rente doit être garanti: passer de 25% du revenu de carrière à 35 % ? 40 % ? 50% ? Doit-on mieux couvrir la classe moyenne en augmentant le plafond assuré de 47 200 $ (qui correspond au salaire industriel moyen canadien, sans plus) à par exemple 62 500 $, le plafond actuel pour la CSST ou le Régime québécois d’assurance parentale ? À quel rythme introduire la hausse de cotisations pour tenir compte de la conjoncture économique actuelle ?

Le Congrès du travail du Canada (CTC) et, au Québec, la Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec (FTQ) avec l’appui de groupes de retraités, de femmes, de jeunes et de personnes handicapées proposent de doubler progressivement le taux de remplacement pour le RPC et le RRQ de 25 à 50% du salaire moyen de carrière.

Pour s’assurer que cette réforme soit viable à long terme et qu’elle soit à l’avantage aussi bien des jeunes que des travailleurs plus âgés, la recommandation est de le faire sur une base progressive et entièrement capitalisée.

En relevant progressivement le plafond salarial à 62 500 $ tout en doublant en même temps l’exemption au niveau des cotisations, on augmentera significativement la protection pour la classe moyenne tout en minimisant l’impact pour les entreprises et les travailleurs à salaire modeste.

Puisque la hausse de la cotisation sera moitié moins que l’augmentation de la rente, on en aura pour notre argent ! Cette proposition permettrait d’atténuer la pression sur les régimes complémentaires de retraite existants qui pourraient réduire leur couverture en fonction de l’amélioration progressive du RPC/RRQ.


Éviter que les futurs retraités soient encore plus pauvres que les retraités actuels

Si nous ne faisons rien aujourd’hui, les cohortes de travailleurs et travailleuses qui prendront leur retraite dans 20 ou 30 ans seront plus pauvres que les retraités actuels. Les ministres fédéral et provinciaux des Finances, dont le ministre Raymond Bachand, tiennent entre leurs mains la sécurité financière à la retraite des travailleurs et travailleuses aujourd’hui.

Ils ont le pouvoir de ramener sur le tapis les 19 et 20 décembre prochains l’option qu’ils privilégiaient il y a 6 mois, soit une amélioration des régimes publics pour assurer une meilleure sécurité à la retraite Vont-ils privilégier une approche reposant sur le véhicule de retraite le plus efficient, le plus sécuritaire et le moins coûteux, ou vont-ils faire un autre cadeau de Noël aux institutions financières canadiennes sur le dos de vous et moi ?


i «Losing Ground : Do Canadian mutual funds produce fair value for their customers ?» par Keith Ambachtsheer et Rob Bauer. Canadian Investment Review. Printemps 2007, p. 8.

ii Voir entre autres «Mercer Perspective on Retirement: Defined benefit plans: Still a good solution? » par Donald Fuerst. Mercer Investment Consulting, 2004 et A Better Bang for the Buck. The Economic Efficiencies of Defined Benefit Pension Plans par Beth Almeida et William B. Fornia. Washington: National Institute on Retirement Security, 2008.

iii Portrait du marché de la retraite au Québec (2e édition) par Gilbert Ouellet, Pierre Bégin et Pierre Plamondon. Régie des rentes du Québec, 2010, pp. 57-61.

iv Op. cit., pp. 28-29.