Visite des lockoutés du Journal de Montréal à Rimouski

2010/12/21 | Par Julie Lefebvre

Le SEECR (Syndicat des enseignantes et enseignants du Cégep de Rimouski) accueillait Mme Luce Grégoire et M. Jean-Marie Bertrand, deux employés en lockout du Journal de Montréal, le 30 novembre dernier. Le conflit dure maintenant depuis plus de 699 jours. L’employeur, le groupe Quebecor Média, est impliqué dans les domaines de la télédistribution, la téléphonie, l’accès Internet, l’édition de journaux, de magazines et de livres, en plus de la vente et de la distribution de produits culturels.

Cet empire tentaculaire bat ses propres records en matière de conflit de travail. On se souvient que le lockout de Vidéotron (2002-2003) a duré treize mois, alors que celui du Journal de Québec (2007-2008) a mis plus de quatorze mois à se régler.


Un conflit qui perdure

Le 24 janvier 2009, après la suspension d’une période de négociation intensive, les dirigeants du Journal de Montréal mettent l’entreprise sous clé, y refusant ainsi l’accès à ses 253 employées et employés.

Il n’y a pas eu de discussion, de négociation ou d’offre de la partie patronale avant octobre 2010. L’offre patronale soumise exigeait une diminution de 80 % des effectifs. Le nombre de journalistes serait passé de 65 à 17, alors que celui des cadres serait resté à 25.

La sélection des 50 employées et employés qui seraient restés à l’emploi de Quebecor n’aurait pas tenu compte de l’ancienneté. Ceux qui auraient été licenciés auraient dû s’engager à ne pas travailler pour la concurrence pendant six mois, à fermer définitivement Rue Frontenac et à ne pas lancer un nouveau quotidien concurrentiel. Enfin, on leur demandait de signer une quittance et un renoncement de poursuite contre Quebecor.

Par son offre, PK Péladeau se met à dos les syndicats, mais aussi des employées et employés fidèles dont certains étaient des membres fondateurs du Journal de Montréal avec Péladeau père. Lors de l’Assemblée générale du 12 octobre 2010, les 200 employées et employés en lockout présents ont rejeté l’offre patronale à 89,3 %. Ce vote massif leur a redonné un regain d’espoir. Cette résistance s’inscrit dans une lutte sociale plus globale, pour la démocratie, la liberté de presse et le droit d’association.


Liberté d’information

Pourtant, après bientôt deux ans, le Journal de Montréal est encore publié et semble toujours aussi populaire. M. Bertrand apporte un bémol à cette interprétation en précisant que le dénombrement des lectrices et lecteurs ne fait pas référence aux abonnés, mais aux copies distribuées. Or, le Journal de Montréal est distribué gratuitement dans plusieurs commerces.

Dans sa forme actuelle, les textes du Journal de Montréal proviennent des cadres, des pigistes et de l’agence QMI. « Péladeau a fait la preuve qu’il peut faire un journal sans journalistes », affirme cyniquement M. Bertrand, qui estime que l’agence de presse interne QMI, créée à la veille du conflit (automne 2008), a pour but principal d’étatiser les briseurs de grève sans qu’il y ait la possibilité de les contrer.

Le fonctionnement de cette agence permet aux médias de Quebecor de reprendre les contenus diffusés dans toute autre filiale de ce groupe. Si on se limite au domaine « médias de l’information écrits », Quebecor Media1 regroupe :

- Osprey Media : une vingtaine de quotidiens et 34 journaux non quotidiens, de même que des guides d’achats, des magazines et d’autres publications;

- Corporation Sun Media : huit grands quotidiens urbains, sept quotidiens gratuits et neuf quotidiens locaux en Ontario et dans l’ouest du Canada. À ces publications s’ajoutent également quelque 150 hebdomadaires, guides d’achat et autres publications spécialisées;

- la filiale Bowes Publishers Limited qui compte près de 200 quotidiens locaux, hebdomadaires régionaux et publications spécialisées dans plusieurs provinces canadiennes incluant la division Journaux régionaux du Québec, qui édite une cinquantaine d’hebdomadaires.

À ceux-ci s’ajoutent :

- TVA Publications Inc. : une vingtaine de magazines;

- Groupe TVA : 5 chaînes;

- Canoe.ca : une douzaine de portails Internet.

Si toutes les salles de rédaction de ces filiales subissent la même cure que celle projetée pour le Journal de Montréal, on peut douter de la diversité et de la pertinence de l’information diffusée dans ces médias à l’avenir.

En faisant disparaître la provenance des textes et des nouvelles, l’agence QMI a pour effet de « blanchir l’information ». Dans le même esprit, le Syndicat des travailleurs de l’information du Journal de Montréal estime que la crédibilité de cette agence est incomparable à celle de la Presse canadienne. La situation est particulièrement inquiétante si l’on considère que Quebecor Media est le plus important éditeur de journaux au pays.


Problème de législation

En 2009, la CRT (Commission des Relations de Travail) a jugé que l’emploi de l’agence QMI contrevenait à la convention collective des employées et employés du Journal de Montréal, mais non au Code du travail.

En fait, la loi antibriseurs de grève, datant de 1978, n’est plus adaptée aux nouvelles conditions des travailleuses et travailleurs de l’information.

Dans cet esprit, la CRT a statué que Quebecor avait engagé des briseurs de grève lors du lockout du Journal de Québec. Toutefois, cette décision a été révoquée par la Cour supérieure, qui a ramené la définition d’« établissement » à sa plus simple expression, négligeant ainsi toute forme de travail effectué à l’extérieur du bâtiment de l’employeur.

Ce jugement, qui a été porté en Cour d’appel, peut avoir de lourdes conséquences dans le milieu des communications, mais aussi dans plusieurs autres domaines. On peut facilement imaginer que celui de l’éducation n’est pas à l’abri si l’on considère le développement des télécommunications et de l’enseignement à distance. L’avènement d’Internet favorise le travail à distance. La notion traditionnelle d’établissement de l’employeur perd alors tout son sens.

Le 22 septembre, une motion a été déposée à l’Assemblée nationale demandant d’étudier la possibilité de moderniser le Code du travail, particulièrement en ce qui a trait aux dispositions antibriseurs de grève afin de tenir compte de l’impact des nouvelles technologies. Celle-ci a été adoptée à l’unanimité, mais le processus semble très lent pour les lockoutés.

Le 3 décembre, le Parti Québécois a déposé un projet de loi en matière de relations de travail pour moderniser la loi antibriseurs de grève. Celui-ci est actuellement à l’étude. Dans cet esprit, la campagne de boycott de la CSN vise à mettre des pressions sur le gouvernement pour accélérer le processus.

Jusqu’à présent, la CSN compte plus de 26 700 signatures à sa pétition. Lors de la journée du 30 novembre, plus de 220 signatures ont été recueillies au Cégep de Rimouski. Il est toujours possible de signer la pétition en se rendant sur le site Web de la CSN.

À la veille de la manifestation du 4 décembre, nos invités ont souligné que le mouvement de solidarité envers leur cause était grandement apprécié. La soixantaine d’organismes ayant déjà donné leur appui au boycott du Journal de Montréal prouve bien que ce conflit, qui remet en cause le droit à l’information, dépasse largement le cadre d’un conflit de travail habituel.

Pour plus d’information sur le sujet,
vous pouvez consulter la revue de presse du conflit sur le site de Rue Frontenac :

http://www.journaldujournal.ca/Revue-de-presse/.


Campagne de boycott du Journal de Montréal

Nous vous invitons fortement à signer la pétition de la CSN revendiquant, entre autres, l’actualisation de la loi antibriseur de grève. Une copie papier de la pétition est disponible au bureau du syndicat (B-210). Vous pouvez également consulter le siteinternet de la CSN