Ici, au Saguenay, c’est possible… d’être isolé

2010/12/22 | Par Pierre Demers

L’auteur est cinéaste et poète. Il habite Arvida

Loin de moi le désir de dénigrer systématiquement cette campagne publicitaire amorcée il y a quelques mois par un regroupement de partenaires régionaux afin d’injecter une dose de fierté saguenéenne et jeannoise à tous ceux qui (en dedans ou en dehors) croient que la région frôle le bout du monde et qu’il faut être mal pris pour y vivre plus longtemps que son adolescence.

Je le pourrais, mais je me garde un droit de retrait préventif.

Certains arguments de cette campagne tiennent difficilement la route (175 ?)(Presque toutes les régions du Québec ont leur petite compagnie de jeux vidéos, on a pas tout à fait le monopole du grand air et des grands espaces, je connais des appartements montréalais d’où on peut se rendre au travail en moins de dix minutes à pied ou en vélo sans se casser la clavicule sur la piste cyclable, la grande ville a des atouts impossibles à trouver ici, etc) et je comprends pourquoi.

On voulait y mettre le paquet sans trop nuancer. Vous savez, il se peut que des jeunes professionnels choisissent de s’installer ici sans être particulièrement mordus par les promenades en skidoo ou en VTT.

Que l’esprit de famille passe au second plan chez-eux. Que la tourtière et le fromage en crottes ne soient pour eux le nec plus ultra de la cuisine quotidienne.

Ils peuvent vouloir y vivre pour d’autres raisons, par exemple, la culture parfois naïve, la débrouillardise, la simplicité plus ou moins volontaire du monde, la spontanéité des relations, le je m’enfoutisme généralisé de certaines conventions, la douce anarchie des allers/retours et les yeux brillants de combien de blondes ou de chums du coin.


Promotion Saguenay

J’ai lu, il y a quelques semaines, dans le Journal de Québec, une pub payée par Promotion Saguenay qui sollicitait les jeunes familles à venir faire leur vie dans la région en utilisant différents arguments mal dégrossis, dont l’absence de trafic automobile et… la bonne gestion administrative de la ville (et sans doute aussi de ses élus) qui a réduit le fardeau fiscal à sa plus simple expression.

Je crois que la pub en question a été publiée dans le quotidien de Québec quelques jours après la diffusion de l’émission La Facture (3 novembre) et avant évidemment que l’ancien directeur général de la Ville reçoive le versement de 830 000$ pour son congédiement illégal (14 décembre).


Originaire de la région

Mais ce n’est pas précisément cette campagne de publicité portant sur notre fierté régionale que je voudrais discuter ici. Même si j’aimerais le faire à un moment donné. C’est un autre sujet qui la recoupe dans une certaine mesure. Un sujet qui m’agace depuis toujours, à la fin qui me constipe par moment. J’en parle pour me soulager.

C’est l’obsession régionale pour la consanguinité, l’esprit de la grande famille unie et le recours à la diaspora à toutes les sauces.

Des exemples tout de suite pour bien se comprendre.

Un cadre de grosses compagnies – il se peut que ce soit une cadre – vient d’être promu à un poste de poids dans cette grosse entreprise qui pourrait être aussi une multinationale. Bien content pour lui et elle.

Or voilà que la personne en question est «originaire » de la région. Elle serait née dans un petit village du Lac et se serait exilée à la ville quelques années plus tard.

Pour les gens d’ici, les observateurs, les journalistes surtout, cette personne se voit automatiquement frappée du sceau «régionale ». On peut tout lui pardonner, lui donner tous les bénéfices du doute et le doute avec. Cette personne-là est devenue presqu’intouchable, lavée de toutes les mauvaises intentions.

Deux cas précis. La semaine dernière, on a fait une nouvelle d’entrée à la SRC (Télé et radio) avec la nomination d’une personne «originaire » de la région à la direction d’une société d’État du Québec. La nouvelle portait exclusivement sur le fait que la personne en question était née quelque part ici.

Mais c’est quoi ce raisonnement-là ? Pour ma part, je considère que c’est un abus de chauvinisme chronique dont on semble ici atteint depuis toujours. Ce n’est sans doute pas exclusif à la région du SLSJ, mais on fait largement notre part dans ce domaine. On y contribue activement et parfois ce réflexe de défense qui s’apparente à la survie de dernière minute me désespère, m’inquiète et parfois me trouble.

Autre exemple encore plus difficile à défendre.

Un cadre d’une multinationale opérant dans le domaine forestier (AbitibiBowater pour ne pas la nommer) est nommé à un poste important dans cette compagnie. Aussitôt, tout naturellement, des élus municipaux, des journalistes et animateurs de médias concluent que la donne vient de changer et que ce monsieur «originaire de la région » ne peut désormais que servir les intérêts de cette région puisqu’elle est la sienne à l’origine…

Et à desservir les intérêts de sa compagnie qui va maintenant le rémunérer le gros prix puisqu’il est le gros boss.

Sa nomination devrait, selon ceux à la courte vue, re-brasser toutes les cartes de l’industrie forestière régionale, rappeler tous les travailleurs mis à pied pour qu’ils repartent les usines, les scieries, les papetières à la vitesse grand V.

Comme si on ne pouvait pas se faire avoir (ou carrément flouer) par ses proches ou par ses parents ou encore par ses voisins. Et encore davantage par des cadres de multinationales qui partent en campagne avec l’appui des chambres de commerces de partout pour vendre le cheap labor, soit la sous-traitance.

Le raisonnement de certaines personnes me désespère par sa simplicité. Il me fait penser à celui que vous connaissez tous qui se prend pour le pdg d’une grande ville qu’il compare à Paris, New -York, Amsterdam alors qu’il n’est en somme que l’amuseur public d’une municipalité anonyme perdue au fond d’une forêt de conifères.


La diaspora

La diaspora maintenant agit de la même manière.

Ici quand une personne issue de la région part faire sa vie, réussir dans n’importe lequel domaine sous d’autres cieux, elle conserve et même augmente son influence régionale.

On la sollicite régulièrement encore plus que les mêmes spécialistes d’ici qui n’ont pas réussi ailleurs.

Ce réflexe de conservation du patrimoine génétique se vérifie dans tous les domaines. Et les régionaux exilés en profitent, souvent ils en abusent en exploitant leur origine et leur sang bleu.

Le meilleur exemple à mon avis, c’est le chroniqueur sportif Réjean Tremblay qui insiste pour nous faire croire son attachement à la région (et à Saint-David-de-Falardeau) dans tout ce qu’il continue de faire de bon et de moins bon.

Et quand vient le temps de vendre sa salade ici, c’est-à-dire, ses commentaires à la radio, dans les journaux, ses téléséries, ses films, il détient et entretient son public cible. Il profite même ici de répétiteurs qui lui font la vie facile et réchauffe son public, qu’il adore sans doute autant que la Poune à son époque.

Les autres exemples sont multiples. Des sportifs, des acteurs, des écrivains originaires de la région ont la vie facile parce qu’on sent le besoin, difficile à expliquer, de leur dérouler le tapis rouge en toutes circonstances. Les lancements de films ici sont révélateurs de ce réflexe.

Michel Côté «d’Alma », Rémy Girard de «Jonquière » et Louise Portal de «Chicoutimi » passent leur vie à s’ennuyer de la région (sic) quand ils viennent nous vendre leur film ici.

Les élus, les médias de la région, les organismes, tout le monde jouent ce jeu familial à l’excès qui nous laisse croire en somme que quand c’est le temps d’avoir un certain impact sur le monde, il faut faire appel à des Bleuets exilés.

Et les autres qu’est-ce qu’on fait avec ? Le monde que les gens d’ici ne connaissent pas et qu’il faudrait qu’ils rencontrent un jour, on les introduit comment ? Les gens d’ici, les artistes, les commentateurs, les journalistes qui ont des choses à dire, pourquoi les ignore-t-on quand l’émission est «réseau » ?

Je pense ici à ces «vedettes » originaires de la région qu’on déplace ici pour produire des émissions de télé (des Mario Pelchat, des Hi Han Tremblay)…

Notre communauté est tricotée serrée, pas mal serrée. Un récent sondage (LBR 10 décembre) commandé par la section régionale de la Ligue des droits et libertés de la personne nous apprenait que 54% des répondants considèrent que le racisme peut parfois se justifier (sic).

Cela explique ceci peut-être.

L’esprit de famille poussé à sa limite nous empêche peut-être de nous ouvrir aux autres, ailleurs. Je ne dis pas qu’il faut bannir à tout jamais de nos listes de collaborateurs, de commentateurs, d’analystes sportifs ou culturels, de porte-paroles tous les Tremblay de la terre.

Je dis que, de temps en temps, ou pourrait les faire reposer pour faire appel à d’autres. Je dis que l’esprit de famille a aussi ses limites. Une façon comme une autre de se reprendre en main en cette fin d’année, entre deux gorgées de tourtière.


Les citation de la semaine

«Je sais compter, j’ai une bonne calculatrice, c’est pas 1.09 % »

  • Le maire de ville Saguenay, Report du budget de la ville, Youtube, 15 décembre

«La saison de motoneige est sauvée… »

  • Tous les postes d’essence, les vendeurs de bières et de poutines de la région, vendredi 17 décembre.