Le Canada en Afghanistan jusqu’en 2020 ?

2010/12/23 | Par Pierre Dubuc

Le 29 novembre dernier, lors de la dernière conférence tenue entre les états-majors de l’OTAN, rapporte le Canard enchaîné du 15 décembre 2010, la sous-secrétaire d’État à la Défense des États-Unis, Mme Michele Flournoy, a vanté auprès des autres alliés la promesse du Canada d’expédier bientôt à Kaboul 750 instructeurs et 200 autres militaires, censés les assister sur le terrain, pour former la police et l’armée afghanes.

Bien qu’il ait été promu « meilleur élève de la classe », il y a peu de chance que l’exemple du Canada soit suivi par les autres pays, malgré les pressions américaines, selon le journal satirique français. Le grand patron de la Coalition, le général Petraeus, a eu beau se féliciter de « gains significatifs » dans certaines provinces afghanes, il n’a pas réussi à dissiper le trouble émanant d’un rapport interne du Foreign Office britannique.

Le Canard enchaîné cite les officiers français qui ont pu disséquer le document : « Exemple parmi d’autres : entre janvier et octobre 2010, l’Otan a formé 31 343 policiers, mais le nombre de tués parmi eux, de blessés, de déserteurs, de trafiquants de drogue ou d’illettrés est tel qu’il en manque aujourd’hui un sur cinq à l’appel. Mieux, à en croire ces Britanniques désabusés : la police afghane ne sera pas au rendez-vous en 2014 ou 2015. »

Déjà, rapporte l’hebdomadaire français, le Premier ministre britannique David Cameron s’est dit prêt à poursuivre les missions de ses instructeurs militaires au-delà de 2015.

Au Parlement canadien, les conservateurs et les libéraux viennent de voter pour une présence canadienne jusqu’en 2014. Mais, qu’est-ce qui les empêchera de prolonger une quatrième fois la mission? Et pourquoi pas jusqu’en 2020, comme le suggère le Canard enchaîné?


À l’intérieur ou l’extérieur des barbelés?

Dans son édition du 21 décembre, le Globe and Mail apporte de l’eau à cette hypothèse en confirmant les difficultés de la nouvelle mission. Le journal souligne le peu d’empressement des autres pays à suivre l’exemple canadien. Il rappelle que, par exemple, le Portugal, l’Italie, la République tchèque et la Croatie s’étaient engagés au mois de novembre dernier à fournir 104 instructeurs. À peine 35 d’entre eux sont là aujourd’hui.

S’ajoute à cela le fait que certains pays, dont le Canada, ont imposé des restrictions à l’utilisation de leurs instructeurs. Ils ne doivent pas servir à « l’extérieur des barbelés », selon l’expression consacrée, c’est-à-dire qu’ils ne peuvent accompagner les troupes afghanes sur le champ de bataille. Combien de temps cette restriction sera-t-elle en vigueur? Soulignons que le Globe and Mail s’est prononcé en éditorial pour sa levée.


Que rapportera au Canada d’être le « meilleur élève »? L’exemple britannique.

C’est un secret de polichinelle que le gouvernement Harper n’était pas très chaud à l’idée de prolonger la mission en Afghanistan et qu’il aurait plutôt préférer – si on en croit les rumeurs – déployer des troupes canadiennes au Congo où les compagnies minières canadiennes ont d’importants intérêts.

Le Canada a été soumis à d’intenses pressions américaines. Et il a cédé. Que compte-t-il en retirer en échange? L’exemple de la Grande-Bretagne nous éclaire à ce propos.

Dans le New York Review of Books, daté du 23 décembre 2010, Geoffrey Wheatcroft commente la récente biographie de Tony Blair et trois autres ouvrages sur le bilan du New Labour. La décision de Blair de participer à la guerre en Irak aux côtés des États-Unis occupe une large place dans ces analyses. Il vaut la peine d’en citer la conclusion :

«Depuis Churchill, la politique étrangère britannique est rendue confuse par une ‘‘ relation spéciale’’ avec les États-Unis qui était spéciale principalement parce qu’un seul des partenaires connaissait son existence. Comme la plupart des grandes puissances, les États-Unis poursuivent une politique étrangère en fonction de leurs propres intérêts, sans tenir compte de leurs amis, encore moins de leurs ennemis, et, pour des raisons pratiques, les Américains ont cherché à apaiser les Britanniques tout en les ignorant. Ce fut un thème récurrent des témoignages des ambassadeurs et d’autres témoins lors de la récente enquête Chilcot sur la participation de la Grande-Bretagne à la guerre en Irak que Blair n’a rien obtenu de l’administration Bush en retour de son appui indéfectible, et qu’à toutes fins pratiques il n’a exercé aucune influence sur la Maison Blanche. Avec l’Irak, la relation spéciale a reçu une punition bien méritée. »

Si la Grande-Bretagne n’a rien obtenu des États-Unis en échange de son appui indéfectible, qu’est-ce que le Canada peut espérer?

Pendant ce temps, des soldats reviendront dans des cercueils, d’autres estropiés, d’autres complètement abrutis.

Pendant ce temps, le gouvernement coupera les transferts aux provinces pour les soins de santé pour financer l’achat de toujours plus d’armes et l’envoi d’instructeurs en Afghanistan.