L’enjeu, c’est la souveraineté alimentaire

2011/01/06 | Par IREC


 
 Clément Lalancette détient un baccalauréat en criminologie et une maîtrise en administration des affaires (MBA) en marketing. Il travaille pour l’Union des producteurs agricoles (UPA) depuis 20 ans. En 1991, il a travaillé au sein de la direction de la commercialisation. Il est aujourd’hui directeur général de la Fédération des producteurs de pommes de terre du Québec.

Dans la foulée de la présentation de l’étude de l’IRÉC sur le rapport Pronovost, Clément Lalancette, directeur général de la Fédération des producteurs de pommes de terre du Québec (FPPTQ) à l’Union des producteurs agricoles (UPA) nous a donné une entrevue. Nous le remercions. D’entrée de jeu, il a indiqué ce qui lui semble être l’enjeu principal de l’agriculture au Québec « C’est une erreur de penser, dit-il, que la déréglementation va faire baisser les prix. Les intermédiaires vont prendre plus de marges bénéficiaires et les producteurs n’auront pas plus de revenus. Nous avons fait le pari au Québec d’une agriculture familiale pour assurer notre autosuffisance alimentaire. Est-ce que nous voulons une agriculture calquée sur le modèle américain, menée par des mégas fermes et des multinationales et leurs actionnaires1? »

Il a poursuivi en expliquant que le modèle économique et agricole américain accentuait les écarts entre les mieux nantis et les plus pauvres. La problématique principale concerne la répartition de la plus value au sein de la filière agroalimentaire. Si l’on déréglemente et qu’on élimine la gestion de l’offre, par exemple, on prive le producteur des outils les plus efficaces lui permettant de maintenir un rapport de force adéquat avec les acheteurs. Le producteur doit pouvoir être rétribué correctement et recouvrir ses coûts de production et le consommateur doit payer un juste prix.

Pour le directeur de la FPPTQ, l’IRÉC a émis un point de vue rafraichissant et pas assez entendu qui, pourtant, traduit bien la réalité. L’institut soutient, entres autres, que le réel pouvoir dans le secteur agroalimentaire est détenu par les distributeurs et les multinationales. « Par exemple illustre le dirigeant syndical, une compagnie comme Frito-Lay, qui appartient à Pepsico, détient un réel pouvoir de négociation avec les distributeurs, en raison de sa taille, son chiffre d’affaires et la force de ses marques de commerce. Il en est autrement pour les transformateurs régionaux qui n’ont pas de marque de commerce forte. Leurs produits risquent de se retrouver coincés entre la marque nationale forte et la marque du distributeur. Leur pouvoir de négociation est ainsi affaibli et ils se retrouvent démunis devant les distributeurs qui fixent les conditions. Tout comme les producteurs se retrouvent en partie démunis face aux distributeurs qui se livrent des guerres de prix en utilisant régulièrement des rabais très agressifs sur les pommes de terre pour attirer les consommateurs. Notre pouvoir repose sur l’approche collective ainsi que sur la persuasion et parfois un peu sur la politique, pour faire contrepoids. La qualité constitue également un atout majeur. Si les chaînes importent des aliments d’ailleurs qui n’ont pas les mêmes standards de qualité, cela devient une concurrence déloyale ».


La gestion collective de l’offre

Les producteurs québécois se sont regroupés au sein de l’UPA afin de défendre collectivement leurs intérêts. Il réunit des fédérations régionales qui s’intéressent principalement à l’occupation du territoire, au zonage et au développement régional. Les producteurs se sont aussi regroupés au sein de syndicats spécialisés ou fédérations spécialisées par type de production. Leur mission principale est d’obtenir le meilleur revenu pour les producteurs dans chaque filière. L’UPA compte seize fédérations régionales et vingt-cinq fédérations, groupes et syndicats spécialisés2.

Un des acquis importants obtenus de haute lutte a été l’adoption de la « Loi sur la mise en marché des produits agricoles, alimentaires et de la pêche ». « Cette loi représente un gain majeur, soutient le directeur général de la FPPTQ. Un vote majoritaire dans une filière permet aux producteurs de se doter d’un programme à frais partagé ou « plan conjoint » qui leur offre la possibilité, entre autres, d’avoir un financement récurrent et d’utiliser certains outils de la Loi pour un meilleur rapport de force avec les acheteurs. L’outil le plus efficace est l’agence de vente par laquelle les filières concernées gèrent la vente du produit. C’est le cas, par exemple, pour le lait, la volaille, le sirop d’érable ».

« Dans le secteur de la pomme de terre, nous utilisons plutôt la négociation de conventions de mise en marché avec les acheteurs, explique le directeur général. Ces derniers sont obligés, en vertu de la Loi, de négocier avec nous les conditions de mise en marché, soit le prix, la qualité, les délais de paiement, etc. Nous arrivons à faire respecter les prix et obtenir le meilleur revenu possible pour les producteurs avec un niveau d’efficacité moindre que si nous avions une agence de vente. De plus, pour le marché des pommes de terre vendues à l’état frais, nous nous retrouvons parfois encore avec des prix des années 80 ! Par contre, pour les pommes de terre distribuées à la transformation, les prix sont fixes et moins tributaires de l’offre et de la demande et des guerres de prix des distributeurs. Dans d’autres productions comme le lait, un prix plancher est fixé par la Régie des marchés agricoles et alimentaires du Québec, l’organisme qui applique la loi sur la mise en marché. La Régie arbitre, entre autres, les litiges entre les producteurs et les acheteurs. Le mécanisme de négociation des conventions de mise en marché permet de réduire les dérives d’un marché laissé à lui-même ».


Description du secteur

La Fédération des producteurs de pommes de terre couvre quatre secteurs : les semences, le prépelage, les croustilles et la pomme de terre de table. Les mécanismes de négociations varient. Dans les croustilles, la FPPTQ négocie des ententes avec les trois compagnies qui contrôlent le secteur : YumYum, une compagnie québécoise, Frito-Lay qui appartient à Pepsico, le leader du marché et Old Dutch (anciennement Humpty Dumpty).

Les superficies de production se répartissent ainsi : 20 % dans la croustille, 20 % dans le prépelage 52 % dans la pomme de terre de table et environ 8% concerne les producteurs de semences. Pour chacun de ces secteurs, les exigences sont différentes, les techniques d’entreposage et les variétés ne sont pas les mêmes. « Au Québec, nous avons un bel équilibre entre la production qui est destinée au frais et celle destinée à la transformation. C’est notre force », soutient Clément Lalancette.

Au Québec, la pomme de terre est la troisième production horticole en importance. Le Québec produit environ 80 % des pommes de terre consommées sur son territoire. Un peu plus de la moitié de la production se retrouve sur nos tables, alors qu’environ 20 % est destiné au marché de la croustille, un secteur dynamique au Québec. Le reste de la production est utilisé par les sous-secteurs du prépelage (entre autres pour la fabrication de frites surgelées) et de la semence. Pour la pomme de terre de table, ce sont les producteurs qui vérifient la qualité dans les centres de distribution des chaînes et dans les fruiteries. Dans le secteur de la transformation, ce sont les compagnies qui font le contrôle. Dans le secteur de la semence, il y a un programme de certification. Il existe une bonne coopération entre le producteur de semence et les autres producteurs.

Les producteurs se regroupent principalement dans les régions du Sud-Ouest, de Lanaudière, de Québec et du Saguenay. Pour les semences, il y a trois zones principales : la Côte-Nord, le Bas St-Laurent et le Saguenay.


Des difficultés liées à la concentration

Outre les problèmes liés à l’absence d’une agence de vente dans le secteur, la concentration affaiblit le rapport de force que les producteurs avaient su maintenir pour obtenir des prix qui correspondent aux coûts de production. Les chaînes d’alimentation sont de plus en plus concentrées. Il y a une baisse du nombre de fournisseurs, car les chaînes veulent transiger avec le moins de producteurs possible. De plus, le développement des marques maison du distributeur est en croissance. Comme le montre bien le rapport de l’IRÉC, il y a un réel déplacement vers les distributeurs.

Le directeur général donne l’exemple des trois chaînes présentes au Québec et aussi en Ontario. « Cela veut dire, explique-t-il, qu’une chaîne peut prendre des pommes de terre ailleurs et vouloir obtenir le prix le plus bas entre ces deux provinces. Nous constatons aussi une concentration à l’intérieur de nos rangs. Le syndicalisme a permis de ralentir ce processus sans réussir à l’arrêter. Nous étions 450 producteurs de pommes de terre il n’y a pas deux ans. Nous sommes aujourd’hui 350 producteurs ».

Ce phénomène de concentration des fermes s’accélère, car les producteurs-emballeurs de pommes de terre qui ont un accès direct aux marchés tirent généralement de meilleurs revenus de la vente de leurs produits que les producteurs qui doivent passer par un intermédiaire pour mettre en marché leurs pommes de terre. « Nous avons des producteurs qui ont également le chapeau d’emballeur, ce qui leur vaut généralement de meilleurs revenus, leur permettant d’agrandir leur entreprise et d’acheter des terres. Nous essayons de ralentir ce processus en recherchant une meilleure répartition de la plus value, mais nous ne pouvons pas l’arrêter », de dire Clément Lalancette.

Les compressions de l’ordre de 25 % que le gouvernement veut faire dans le régime d’assurance stabilisation des revenus agricoles (ASRA) sont également un autre facteur d’accélération du mouvement vers la concentration. Cette mesure menace près de 5 000 fermes.


Notre souveraineté alimentaire est menacée

« Le rapport Pronovost prône le développement de circuits courts de mise en marché et de créneaux comme solution pour augmenter les revenus des producteurs. Or, cette seule solution est illusoire. Les créneaux de marché sont très petits au Québec et il faut pratiquement exporter pour pouvoir en tirer des revenus adéquats. Nous revenons à notre choix de société : va-t-on accepter de dépendre des autres pour se nourrir? Pourtant, plusieurs sociétés s’intéressent à nos outils collectifs afin de protéger leur propre souveraineté alimentaire et soutenir une agriculture à échelle humaine. Je pense à certains pays d’Afrique et d’Amérique du Sud notamment. La présence des agriculteurs est également essentielle pour l’occupation du territoire québécois. Veut-on fermer les régions? En tolérant qu’on affaiblisse les outils collectifs des producteurs et qu’on déréglemente à tout crin le secteur alimentaire, c’est tout un modèle de développement qui est jeté par-dessus bord. Le vide ainsi créé sera occupé par les multinationales au détriment des fermes familiales. Est-ce que c’est cela que les Québécoises et les Québécois veulent? », a conclu Clément Lalancette.


1. Le rapport de recherche de l’IRÉC sur le rapport Pronovost est disponible à l’URL suivante : http://www.irec.net/index.jsp?p=33.

2. L’IRÉC diffuse une vidéo sur la ouveraineté alimentaire à l’URL suivante : http://www.irec.net/index.jsp?p=83.