Confondre la forme pi le fond

2011/01/19 | Par Michel Usereau

«The French don’t care what you say, as long as you pronounce it well» (ce que tu dis, ça dérange jamais un Français, tant que c’est bien prononcé), qu’un Américain m’a déjà dit. Bin sûr, comme toutes les vérités qui tiennent en une ligne, c’est exagéré. Mais y’aurait-tu un fond de vrai là-dedans?

Nicolas Sarkozy est une victime de st’attitude-là. Le journal français Libération rapportait en janvier les supposées horreurs commises par le président, dont: Si y’en a que ça les démange d’augmenter les impôts. Ste phrase-là, qui passe inaperçue quand on l’entend, al a été prononcée le 17 mars 2009. Bientôt 2 ans, pi Libération en parle encore. Faut dire qu’un député du parti socialiste a déposé une question écrite à ce sujet-là, adressée au ministre de l’Éducation, disant que Sarkozy «multiplie les fautes de langage, ignore trop souvent la grammaire, malmenant le vocabulaire et la syntaxe» pi demandant quessé qui serait faite pour corriger ça…

Parmi les pièces à conviction des détracteurs de Sarkozy, on trouve: le premier ministre, il a dit… (avec «il» qui reprend le sujet); je suis pas… (sans «ne»); y’a… (sans il); on se demande c’est à quoi ça leur a servi (avec c’est qu’on trouve pas à l’écrit). Ce qui est intéressant, c’est qu’en les écoutant plutôt qu’en les lisant, ces phrases-là passent complètement inaperçues, parce qu’i font partie de la langue vivante pi qu’i correspondent bien aux situations d’ousqu’i sont extraites.

Ça contraste avec les phrases engoncées d’écrit oralisé de bin des figures publiques françaises, mais ça choque pas une oreille impartiale qui s’attend à une langue adaptée à un discours public spontané.

L’expressivité pi la clarté, combinées avec des structures linguistiques capables de passer inaperçues en fonction du degré de formalité de la situation, c’est pas mal plus important que la fixation énervante des analystes français sa’ négation «ne», qui brille pas pantoute par son absence puisque personne la remarque – sauf lesdits analystes.

Écoutez Sarkozy en conférence de presse: réussir comme lui à utiliser une langue qui correspond pas exactement à’ langue décrite din’ grammaires tout en maintenant un caractère formel – ce qu’i fait très bien –, c’est un talent qui est pas donné à tout le monde, pi ça fait de lui un locuteur habile. Quoi qu’en pense l’intelligentsia française, aveugle à ce genre de talent-là.

«Casse-toi pauv’ con!», que vous me direz qu’i’a dit à un citoyen qui voulait pas lui serrer la main. Bin sûr que c’est vulgaire, pas besoin d’une grammaire pour voir ça. Mais étonnamment, tous les commentaires latsu dans’ presse, i focussent sa’ qualité de la langue de Sarkozy, comme si c’était ça qui était le plus grave… Qui qui a relevé, dans ste phrase-là, sa volonté archiclaire de voir disparaitre toute opposition de son chemin? Encore la forme avant le fond…

Dans le journal Le Parisien, Isabelle Laborde-Milaa, linguiste à l’Université Paris-XII Créteil, compare la langue de Sarkozy avec celle de Le Pen, «capable de jongler avec l’imparfait du subjonctif». A rajoute: «Le Pen tend un miroir valorisant à ses interlocuteurs, il crédite son public d’une compréhension». Le même Le Pen qui, dans l’Express du 6 mai 2008, disait que «les chambres à gaz étaient un détail de l'histoire de la Seconde Guerre mondiale».

Fac Le Pen, qui fait croire à ses partisans crédules que les chambres à gaz ont été un élément mineur de la Deuxième guerre, c’est un politicien qui «crédite son public d’une compréhension». Rarement confusion entre forme pi fond aura été aussi gênante.

On pourrait croire que Laborde-Milaa souffre d’une fixation bin personnelle sur l’imparfait du subjonctif: pas pantoute. En novembre 2010, Sarkozy cédait à la pression des précieux: «j’aurais d’ailleurs souhaité qu’il restât» (l’extrait vidéo de 6 secondes ousqu’i dit ste phrase-là a été publié sul site internet de Libération. Sans blague).

Attachez votre tuque: après ça, y’a un journaliste de Libération qui a demandé à un linguiste: «Que pensez-vous de son utilisation récente de l’imparfait du subjonctif?» Dans quel autre pays qu’en France on pourrait imaginer une question aussi risible posée aussi sérieusement? On imagine-tu les adversaires de Castro écrire des articles pour critiquer le fait qu’i prononce pas ses S en fin de syllabe?

Bin sûr, on est toujours pressés de rappeler que George W. Bush maltraitait la langue anglaise, mais je me demande si les journalistes francophones qui rapportent ça pourraient donner un seul exemple d’écart de langage de l’ex-président. Pourtant, tout le monde est convaincu qu’i «parlait mal».

La réalité, c’est que les Américains sont capables de faire passer leurs opinions politiques avant l’accent des politiciens pour qui qu’i votent, ce que la France réussit peu ou pas à faire. Un président américain avec l’accent texan, ou même un président noir? Tout à fait. Un président français avec l’accent marseillais? Jamais!

On voudrait voir dans st’acharnement-là des Français une sorte d’élan culturel un peu exagéré mais noble, qui témoignerait d’un attachement aux choses de l’esprit, à’ qualité du débat pi aux communications claires.

J’y vois plutôt un attachement maniaque aux dernières reliques de la monarchie, avec son français élitiste qui permettait de bien distinguer le sang bleu du sang rouge…

Comme le rapporte la linguiste Sonia Branca-Rosoff dans un article, l’unité pi l’immutabilité du français vient du fait que la France a «très tôt considéré que la langue manifestait la puissance de l’État» pi que «l’unité de langue a été posée comme nécessaire au fonctionnement administratif».

A poursuit en disant que «le français du roi, (…) juridiquement institué par l’Académie, est autodéfini; il ne se fonde pas sur le peuple, il le précède en quelque sorte. La Révolution ne fera qu’inviter les français à se rassembler en nation autour de cette langue d’État».

On est loin du monde anglophone, ousque la codification des niveaux de langue se fait plus démocratiquement, pi ousqu’i’existe une norme fondée sur l’usage plutôt que sur la loi écrite désincarnée. Le crime de Sarkozy? Refléter l’usage du 21e siècle, plutôt que les formes dictées artificiellement par les plus hautes élites du pays.

La façon la plus noble de critiquer un adversaire politique, c’est de le confronter strictement sul terrain de la politique. À l’inverse, y’en a qui font des jobs de bras en garrochant des Lewinsky sé’ présidents ou en déterrant les ti sacs de poudre des candidats. En France, c’est avec la syntaxe que ça se passe. C’est peut-être plus fancy, mais c’est tout aussi bas.

Si les détracteurs de Sarkozy auraient la droiture de mener leurs luttes politiques sans y mêler des questions de langue futiles, le niveau du débat s’en trouverait considérablement rehaussé…

Eh oui, j’ai dit «si j’aurais»… Ça vous a déconcentrés au point de perdre le fil de quessé je disais? The French don’t care what you say, as long as you pronounce it well…