Douleurs anonymes

2011/01/27 | Par Marie-Paule Grimaldi

Ce n’est pas de la téléréalité, ni un documentaire, ni une thérapie, c’est bien du théâtre, une création, avec toute la belle complexité qu’on peut espérer y trouver.

Nini Bélanger et Pascal Brullemans nous convient au plus pur de l’intime, avec ce qu’il comporte de silence, de temps à vide, de rire, d’amour, de sandwich aux œufs, de souffle, de cauchemar et de fatalité.

Beauté, chaleur et mort nous raconte le décès d’un bébé par les parents de la petite, aussi concepteurs, auteurs et acteurs de la pièce. Avec une finesse sans détour et une impudeur qui va bien au-delà de la nudité, ils permettent au théâtre d’explorer une rare zone d’ombre, tout d’abord la leur, bouleversante mais sans pathos.

« Si je dis que j’ai deux enfants, un de 15 et l’autre de huit, j’ai l’impression d’en cacher une. Si je dis que j’en ai trois, un de 15, une de huit et une de morte, ça crée toujours un malaise ». C’est à peu près dans ces mots que l’auteur de théâtre Pascal Brullemans explique ce qui a pu l’amener à monter sur scène pour raconter cette histoire.

La pièce débute par une mise en contexte, une explication de la démarche, des aspects techniques et anecdotiques de l’histoire, de ce qui les a poussé à faire ça, mais pas de manière didactique, avec humour, déjà dans le jeu, en s’adressant directement au public.

Il y a eu la volonté de nommer cette enfant, de la faire vivre, et aussi de montrer sur scène « du vrai monde dire des vraies affaires », ce qui s’inscrit dans l’approche hyperréaliste favorisée par Nini Bélanger et le Projet Mû.

C’est ainsi qu’ils nous accueillent et nous apprivoisent à leur récit. Car oui, il y aura malaise, à cause de la tragédie même, mais surtout à cause d’une proximité que l’on se permet peu en général avec l’autre, les autres. Mais tout est mis en œuvre de manière brillante pour nous mener à le dépasser et à être simplement touchés.

Suite à l’ouverture, le décor sera poussé et l’espace surtout défini par la lumière, puisque nous entrons dans le lieu des souvenirs. L’accouchement à la maison, puis très vite l’hôpital, l’attente, la veille, les derniers instants avec l’enfant d’à peine deux semaines.

Si ces saynètes deviennent infiniment dramatiques, elles ne présentent pas nécessairement le fort de l’émotion mais tout ce qui l’entoure, ce qui reste de banalité, de vie, quand celle-ci pourtant bascule. Puis ce sera l’après, la vie qui continue malgré tout, vide, absurde, la lourdeur qui s’abat sur la mère, le retour du père au bureau et le réconfort boiteux des collègues.

Et on verra l’amour aussi, l’amour pas plus grand que nature que ce couple se porte, que cette famille se porte, comme nombreux le font, qui permet de s’embrasser et d’embrasser la douleur, de la reconnaître, seul moyen viable de vivre désormais.

Ils ne sont pas comédiens et pourtant ils jouent leurs propres rôles avec grâce et conviction, explosifs ou en retenue, ils transcendent. La mise en scène se fait tout en lenteur, comme on avait pu voir dans la magnifique Endormi(e), dernière création de Nini Bélanger.

On trouve aussi des scènes un peu suspendues, presque envolées, puisque le réel est aussi composé d’abstrait et surtout de vacuité. On est propulsé dans une expérience théâtrale unique, et malgré le désir des créateurs de venir vers nous, on reste quelque peu embarrassé, la propension du public à rire à la moindre occasion le prouvant bien.

Et ce rire ne viendra pas que de notre trouble, mais d’une véritable chaleur qu’on reçoit, comme de la beauté qui nous est montrée et de la mort qui est palpable; le titre de la pièce est tout à fait explicite. La rencontre se fera à la mesure de chacun.

Mais plus que jamais, le théâtre, qu’on loue tant pour sa capacité à créer le rapprochement voire la communion entre la salle et la scène, rend possible cette jonction, avec eux, et aussi peut-être avec nous-mêmes et ce que nous taisons également. Audacieux, déstabilisant, simple, unique, fort comme la vie, un spectacle à vivre.

Beauté, chaleur et mort, du 18 au 29 janvier, La Chapelle, 3700 Saint-Dominique