Dans l’esprit de la loi 101, l’affichage en français était essentiel

2011/02/07 | Par Pierre Dubuc

Dans le livre Guy Rocher Entretiens (Boréal 2010), le sociologue Guy Rocher qui est un des artisans de la Charte de la langue française, répond ce qui suit lorsqu’on lui demande comment il a réagi lorsque la Cour suprême a statué dans l’arrêt Ford de 1988 que l’affichage unilingue français violait certaines libertés individuelles.

« Ma réaction a été de me dire qu’une fois de plus les intentions, les motifs de la Charte de la langue française étaient frustrés et contrariés par les tribunaux. Dans l’esprit de la loi 101, l’affichage en français était essentiel pour affirmer concrètement que le Québec est une nation de langue française.

« L’affichage disait et rappelait aux yeux de tous le visage français du Québec. Un important témoin de l’identité collective du Québec était balayé du revers de la main, toujours au nom de droits individuels. J’en ai été choqué.

« On a assisté cette fois encore à l’érosion de la loi 101. On l’a affaiblie dans l’affichage, on laisse se multiplier les raisons sociales unilingues anglaises. On risque de revenir au libre accès à l’école anglaise.

« Les tribunaux québécois et canadiens n’ont jamais agi pour renforcer cette Charte de la langue française, ils n’ont fait que l’affaiblir. »


Rappel historique

Rappelons les faits entourant ce jugement de la Cour suprême, soit la réaction de la population, celle du gouvernement Bourassa et du Parti Québécois.

En décembre 1988, la Cour suprême du Canada invalidait l’article de la Charte de la langue française sur l’affichage. La Cour, par l’arrêt Ford de 1988, statue que la notion de liberté d’expression comprend les messages commerciaux et que l’interdiction d’employer une autre langue que le français est incompatible avec le droit à l’égalité garanti par les chartes.

Cependant, magnanime, la Cour considère comme justifié le fait d’exiger la présence du français dans la publicité commerciale et les raisons sociales. Elle affirme même que l’exigence de la nette prédominance du français serait juridiquement et constitutionnellement admissible.

Le Québec français se souleva d’un bloc contre ce jugement. Manifestations et assemblées se succédèrent. Les locaux d’Alliance Québec furent incendiés. Sous la pression populaire, le gouvernement Bourassa faisait adopter en décembre 1988 la loi 178.

En s’appuyant sur la clause dérogatoire, cette loi édicte que l’affichage, à l’extérieur des établissements, devait continuer de se faire uniquement en français, mais que l’affichage à l’intérieur des établissements pouvait se faire en français, ou à la fois en français et dans une autre langue, à condition que le français soit nettement prédominant.

La décision du gouvernement Bourassa d’invoquer la « clause nonobstant » soulève un tollé au Canada anglais et les commentateurs politiques lui attribuent une part de responsabilité dans l’échec de l’entente du Lac Meech en 1990.

Les anglophones de Montréal mènent également une campagne internationale contre la loi 178 et s’adressent au Comité des droits de l’Homme des Nations Unies, qui, en mars 1993, en arrive à la conclusion qu’elle viole la liberté d’expression garantie à l’article 19 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

Aussi, cinq ans après l’adoption de la loi 178, soit à l’échéance de la clause dérogatoire, le même gouvernement Bourassa bat en retraite et décide de donner suite à l’arrêt Ford. La loi 86 modifie la Charte de la langue française pour permettre l’emploi d’une autre langue pourvu que le français soit nettement prédominant.

Quand le Parti Québécois prend le pouvoir en 1994, son programme prévoit le retour à l’unilinguisme français dans l’affichage et l’extension des dispositions de la loi 101 aux cégeps, mais la décision est différée après la tenue du référendum de 1995. Lorsque Lucien Bouchard remplace Jacques Parizeau, il s’empresse de rassurer la communauté anglophone, lors de son célèbre discours au Centaur en s’engageant à ne pas donner suite à ces deux promesses.

Au congrès du Parti Québécois de novembre 1996, Bouchard affronte les militants sur ces questions en affirmant qu’il ne pourrait se regarder dans le miroir s’il respectait leur volonté. Les militants lui rendent la monnaie de sa pièce avec un vote de confiance d’à peine 76,2% et Bouchard menace de démissionner.


Deux perceptions

Guy Rocher ne croit pas que la communauté anglophone du Québec soit si réfractaire à l’unilinguisme français dans l’affichage. Dans son livre Entretiens, il écrit :

« Je dirais que la loi 101 a plus mauvaise presse à l’extérieur du Québec qu’ici. La minorité anglophone et les autres communautés non anglophones du Québec l’ont mieux acceptée que ce qu’on entend dire à l’extérieur du Québec, que ce soit dans le reste du Canada ou en Amérique du Nord, et même parfois en Europe.

« Dans le monde anglo-saxon, cette loi continue à avoir mauvaise réputation. On l’associe à un non-respect des droits individuels et à une sorte de quasi-fascisme. Je crois qu’il y a une importe différence entre la perception de cette loi au Québec par les non-francophones et celle qui règne à l’extérieur du Québec. »