Revue de livre : L’extrême droite, ici et hier… Jamais plus ?

2011/02/07 | Par André Synnott

Jean-François Nadeau, auteur de la biographie de Pierre Bourgault, a écrit deux biographies de personnages ayant oeuvré de l’autre côté de l’échiquier politique. Il a publié Robert Rumilly, l’homme de Duplessis, en 2009 et Adrien Arcand, le führer canadien, en 2010.

Deux figures presque oubliées, quoique le décès de Rumilly date de seulement 1983 (Arcand, lui, est mort en 1967), mais comme le disait Bertolt Brecht à propos du nazisme « il est encore fécond le ventre de la bête immonde ».

La (re)montée de la droite au Québec est possible, malgré ce que les récentes déconfitures de l’ADQ pourraient faire croire; plus récent avatar : le mouvement Réseau Liberté-Québec, une officine (pour le moment?) qui trouve que Stephan Harper n’est pas assez à droite! Il est important de connaître, de comprendre comment de tels courants politiques ont pu apparaître au Québec dans le passé pour mieux les combattre actuellement et dans l’avenir.

Robert Rumilly naît en France dans une famille de militaires, fils et neveu d’officiers de carrière liés à l’élite (père diplômé de la prestigieuse école Polytechnique, mère fille d’un comte). Un milieu qui croit encore que Dreyfus était coupable.

Le père de Rumilly, ayant été affecté dans les colonies (Martinique et Indochine), le jeune Rumilly conservera toute sa vie la conviction que la race blanche supérieure n’a apporté que des bienfaits aux peuples colonisés.

D’autres à la même époque, sans attendre le mouvement de décolonisation des années 60, ont compris les conséquences de la colonisation. André Malraux, parti à la recherche d’antiquités dans la jungle indochinoise, en reviendra militant anticolonialiste; André Gide publiera un virulent pamphlet après son retour d’un voyage au Congo.

Robert Rumilly fréquente Louis-le-Grand, le lycée le plus prestigieux de France qui prépare aux Grandes écoles, puis la Sorbonne. Ses études de droit sont interrompues par la guerre de 1914-1918 qu’il fera comme soldat, puis officier.

Après la guerre, comme beaucoup d’officiers issus de la bourgeoisie, il militera à l’Action française, un mouvement royaliste qui ne se retient pas d’utiliser la violence contre ses opposants. Lorsque le mouvement est condamné par le Vatican, il commence à décliner, mais Rumilly pratique la fuite en avant et s’accroche de plus en plus au caractère antidémocratique, antirépublicain du mouvement.

Considérant que la France prend une direction différente, il émigre au Québec, heureux d’y trouver une société française qui n’a pas été contaminée par la révolution de 1789. En cela, il est en accord avec certains idéologues québécois pour qui la Conquête de 1760 est un événement positif puisqu’elle nous a préservés de cette contamination.

En 1940, Rumilly pensera à peu près de la même façon. La victoire des Allemands mettra fin au régime parlementaire issu des élections de 1936 (victoire du Front populaire) pour le remplacer par l’État français du maréchal Pétain. Ses sympathies survivront à la victoire des Alliés en 1945, il aidera des collaborateurs voulant échapper à la justice française lors du rétablissement d’un régime de droit.

Vivant au Québec, il fréquente, à défaut de royalistes, les politiciens les plus conservateurs et nationalistes d’ici : René Chaloult (député indépendant qui sera à l’origine de la création du fleurdelisé), Camilien Houde et surtout Maurice Duplessis.

Il mettra à profit ce réseau d’influence comprenant des personnalités comme monseigneur Olivier Maurault (recteur de l’Université de Montréal), Édouard Montpetit ou Camille Laurin, jeune étoile montante de la psychiatrie québécoise, pour que le Canada accueille les collabos en fuite.

Rumilly n’était pas historien de formation. À son arrivée au Québec, il collabore au Petit journal comme critique littéraire, donne des conférences où il exprime ses obsessions anticommunistes, antisémites et racistes à l’endroit des Noirs, des Asiatiques et des Amérindiens; parce que pour lui, tout est politique et subordonné à la politique. Il ne pourrait, comme Pierre Drieu La Rochelle (écrivain très à droite), avoir des amis comme André Malraux ou Louis Aragon.

Pour mieux faire valoir ses idées, il passe de la critique littéraire à l’histoire, mais l’histoire romancée. Cette conception de l’histoire doit permettre d’intéresser (d’éduquer) les masses à des sujets sociopolitiques.

Malheureusement, sa très grande capacité de travail est un peu gaspillée par le journalisme et ses contraintes. Pour mieux se consacrer à ses sujets de recherches, il obtient un poste de traducteur au Parlement d’Ottawa d’où il aura accès à la Bibliothèque et aux Archives nationales. Il publiera plus de 80 ouvrages (parfois sur commande), dont l’Histoire de la province de Québec, en 41 volumes.

Son style, l’histoire romancée, lui permettra d’aller parfois très loin dans ses préférences idéologiques. Notamment son antisémitisme; pour lui, derrière chaque geste qu’il désapprouve, se cache toujours un Juif, que ce soit l’entrée en guerre des États-Unis en 1941, la grève des couturières à Montréal, la fondation du journal pro-libéral Le Jour, par Jean-Charles Harvey (lequel avait été chassé du journal Le Soleil de Québec, à la suite des pressions du cardinal). Il étale aussi son anticommunisme.

Sa conception du Québec, seul État français d’Amérique, l’amena à prendre position pour l’indépendance. Position qu’il rejette toutefois dès que l’indépendance est teintée de gauchisme ou de socialisme comme avec René Lévesque!

Plus que ses livres, il a laissé un héritage politique. Sept ans après sa mort, des admirateurs créent le Centre d’information Robert-Rumilly. Ce groupe de réflexion ultraréactionnaire s’appuie sur la religion, l’ethnicité et la langue pour combattre autant le droit à l’avortement que la laïcisation des commissions scolaires, le mariage gai et l’immigration.

Ce centre de réflexion crée le Parti de la démocratie chrétienne du Québec qui semble maintenant inactif. L’un des admirateurs de Rumilly publie la revue Égards pour donner une tribune à la droite conservatrice. Parmi les collaborateurs de cette revue, Maurice Dantec, qui a quitté la France parce qu’il est contre l’Union européenne et la démocratie et se décrit comme un nostalgique de la France carolingienne et des antiques monarchies chrétiennes. Même chez les historiens, l’histoire se répète et il semble que ce soit comme le disait Marx : « une fois comme tragédie et la seconde comme comédie ».


Adrien Arcand

Adrien Arcand commence sa carrière à La Presse comme rédacteur de chroniques mondaines, de critiques musicales et de faits divers, mais il perd son emploi pour y avoir fondé le premier syndicat de journalistes.

Sans emploi, sans repères sociaux, cette injustice le pousse vers un militantisme plus radical, plus résolu. Il est animé par une haine indéfectible contre Pamphile-Réal Du Tremblay, son ancien patron, haine qu’il reporte sur les riches.

Chômeur et disponible, il crée un journal satirique, Le Goglu, qui deviendra l’organe de son mouvement politique. Dans cette tribune, il réclame certaines nationalisations (ressources naturelles et services publics, surtout) parce que l’État, guidé par une morale ultracatholique, doit diriger l’économie. Ici se pointe déjà le corporatisme des Salazar et Mussolini.

À la demande, dit-il, du clergé de Montréal, il lance une campagne contre la création d’un système scolaire juif indépendant des commissions catholique et protestante. Prônée par Athanase David (le grand-père de Françoise), cette réforme est perçue comme anticléricale par les ultramontains.

Cette première manifestation d’antisémitisme inoculera en Arcand une haine des Juifs qui lui permettra d’expliquer tous ses malheurs personnels comme ceux, collectifs, du peuple québécois. Comme les nazis, Arcand considère les Juifs comme l’incarnation, à la fois, des dangers du communisme international et de la finance internationale.

Il ne sera pas le seul à être atteint par ce que Daniel Guérin appelait la peste brune. Pour les jeunes Pierre Dansereau et André Laurendeau, « la supposée persécution des Juifs en Allemagne » nazie n’est rien comparée aux persécutions dont souffrent les catholiques en Russie (ils y sont absents, la religion orthodoxe y domine), en Espagne et au Mexique. Si en vieillissant Dansereau, Laurendeau et quelques autres changeront, Arcand, lui, ne démordra jamais de son antisémitisme.

En politique internationale, Arcand appuiera les régimes autoritaires. Il approuve l’invasion de l’Éthiopie « société d’anthropophages incivilisés » par l’Italie de Mussolini. En Chine, les Japonais n’envahissent pas, ils ne font que rétablir l’ordre (il n’avait donc pas lu Le Lotus bleu?).

Cette approbation, si vive chez Arcand, s’étendra, à u degré moindre à d’autres segments de la société québécoise, et pour trop longtemps. En 1933, pour fêter par un coup d’éclat le dixième anniversaire de la prise du pouvoir par Mussolini, 25 hydravions effectuent un vol Rome-Chicago (avec escales aux Pays-Bas, en Irlande, en Islande et à Montréal).

Arcand déploie beaucoup d’énergie pour accueillir l’escadrille lors de son amerrissage à Longueuil par un grand rassemblement à la gloire du fascisme. Cet exploit marquera tellement la bonne société canadienne-française et catholique, qu’en 1962 (donc longtemps après la défaite du fascisme) alors que j’étais en 7e année, un texte du manuel de français (publié par une communauté religieuse) relatait l’exploit sans aucune mise en contexte évidemment.

En politique intérieure canadienne, la ligne d’Arcand était semblable à celle du parti nazi. C’est-à-dire, rejet de la démocratie et du système parlementaire, conception de la citoyenneté fondée sur la race blanche aryenne et déniée aux Noirs, Asiatiques, Sémites et autres croisements abâtardis!

Contrairement à d’autres radicaux de droite à cette époque, Arcand est résolument anti-indépendantiste. Le fascisme québécois/canadien doit se fondre dans le fascisme anglais, puisque l’Empire britannique étant présent sur tous les continents, pour se répandre mondialement.

La Seconde Guerre mondiale jettera un pavé dans les délires d’Adrien Arcand. Le Canada étant en guerre avec l’Allemagne et l’Italie, Arcand sera comme plusieurs autres, dont Camilien Houde, maire de Montréal, emprisonné parce que nuisibles à l’effort de guerre.

Après la guerre, il tentera de poursuivre le gouvernement. Un jeune étudiant en droit à Londres l’appuiera dans ses démarches parce que le gouvernement a agi en « marge du droit commun et à l’encontre de toute justice, sans procès régulier, ni défense adéquate, ni pénalité prévue, ni jugement indépendant de l’exécutif » grâce à la Loi des mesures de guerre. L’étudiant en droit n’a toutefois pas profité de la leçon puisque devenu premier ministre en octobre 1970, Pierre Trudeau appliquera la même loi à plus de 450 personnes.

Même après la guerre, Arcand ne sera jamais en paix avec les Juifs. En plus de nier le génocide, il se prononce contre la création de l’État d’Israël. Son plan est beaucoup plus simple : déporter tous les Juifs du monde sur l’île de Madagascar (après l’avoir vidé de ses habitants) d’où ils ne pourraient plus sortir. La Grande Île de l’océan Indien devenue un camp de concentration!

La vraie défaite d’Adrien Arcand c’est qu’il sera, pratiquement toute sa vie, la chose d’un autre. Alors qu’il se considérait l’égal d’un Hitler, d’un Mussolini (et dirigeait effectivement son groupuscule d’une main de fer), il voulait une révolution radicale, mais il sera utilisé par Eugène Berthiaume (mis au ban par sa famille de la direction de La Presse, il se vengera par Arcand interposé), par les conservateurs fédéraux de Bennett, par l’Union nationale et même par les créditistes. Voulant détruire le système parlementaire, il n’a fait qu’aider quelques réactionnaires plus mous que lui sans jamais se libérer de ses délires, de ses obsessions.


Jean-François Nadeau, Robert Rumilly l’homme de Duplessis, Lux Éditeur, 2009 et Adrien Arcand, le führer canadien, Lux Éditeur, 2010