Quand la Cour suprême définit notre politique linguistique

2011/02/08 | Par Pierre Dubuc

Dans le livre Guy Rocher Entretiens paru aux Éditions (Boréal 2010), le sociologue Guy Rocher exprime son inquiétude sur l’avenir de la loi 101, étant donné les récents jugements des tribunaux. Il écrit :

« Je crains toujours qu’à un moment donné tombe un jugement des tribunaux qui rouvre la porte au droit au libre choix de l’école.

« Je crains toujours l’intervention des tribunaux, qui seront tentés d’utiliser les chartes pour modifier dans un sens individualisant, ce qui a été fait dans une perspective d’avenir collectif. Le problème permanent, c’est la faiblesse juridique d’une intention collective en regarde des droits de la personne, maintenant devenus la religion juridique dominante. »

Un jugement a joué un rôle important en ce sens.


L’arrêt Ford de 1988

Dans l’arrêt Ford sur l’affichage, la Cour a statué que la notion de liberté d’expression comprend les messages commerciaux et que l’interdiction d’employer une autre langue que le français est incompatible avec le droit à l’égalité garanti par les chartes.

Cependant, magnanime, la Cour a considéré comme justifié le fait d’exiger la présence du français dans la publicité commerciale et les raisons sociales. Elle a affirmé même que l’exigence de la nette prédominance du français serait juridiquement et constitutionnellement admissible.

Le principe de « prédominance » ne fait pas partie des principes fondateurs de la Charte de la langue française. Ni le principe de « prééminence » qu’on retrouvait cependant dans la Loi 22 de Robert Bourassa.

Le mot « prééminence » ne figure nulle part dans la Loi 101 et celui de « prédominance » n’apparaît qu’à deux reprises, soit, évidemment, dans deux articles sur l’affichage, découlant de l’arrêt de la Cour suprême. Ce sont deux autres principes qui servent de fondement : le français, langue officielle et le français, langue commune.

L’anglais est toujours présenté comme à titre d’exception dans la Charte de la langue française. Pour s’en convaincre, il faut relire les articles de la Charte de la langue française. Le préambule spécifie l’orientation générale :

 L'Assemblée nationale reconnaît la volonté des Québécois d'assurer la qualité et le rayonnement de la langue française. Elle est donc résolue à faire du français la langue de l'État et de la Loi aussi bien que la langue normale et habituelle du travail, de l'enseignement, des communications, du commerce et des affaires.

Les différentes dispositions de la loi sont rédigées dans cet esprit, comme l’illustre l’article sur « la langue de la législation et de la justice » qui est ainsi formulé : « Le français est la langue de la législation et de la justice au Québec sous réserve de ce qui suit : (article Législation et justice.

7).

Les articles concernant la langue de l’administration ont la même portée. « Dans ses communications écrites avec les autres gouvernements et avec les personnes morales établies au Québec, l'Administration utilise la langue officielle (article 16); Communications internes.

Le gouvernement, ses ministères et les autres organismes de l'Administration utilisent uniquement la langue officielle, dans leurs communications écrites entre eux. (article 17).

L'Administration n'utilise que le français dans l'affichage, sauf lorsque la santé ou la sécurité publique exigent aussi l'utilisation d'une autre langue (article 22).

Le libellé est tout aussi clair en ce qui concerne la langue de travail : « Il est interdit à un employeur d'exiger pour l'accès à un emploi ou à un poste la connaissance ou un niveau de connaissance spécifique d'une langue autre que la langue officielle, à moins que l'accomplissement de la tâche ne nécessite une telle connaissance (article 46).

L’emploi des expressions « utilisent uniquement », « sous réserve de ce qui suit », « sauf lorsque » et « à moins que » montrent clairement que l’utilisation de l’anglais est considérée comme une exception.

Mais les principes de « prééminence » et de « prédominance » ont été introduits dans le discours souverainiste par la Commission Larose. Citons le Rapport de la Commission à ce sujet :



Le plan d’aménagement linguistique que propose la Commission s’articule autour des principes suivants :

  1. Le français est la langue officielle et commune de la vie et de l’espace publics du Québec;

  2. L’anglais, l’inuktitut et les langues amérindiennes, partie intégrante du patrimoine culturel et linguistique du Québec, doivent avoir chacune leur place dans l’espace public;

  3. Les différentes langues s’harmonisent dans la vie et l’espace publics selon le principe de la nette prééminence du français, langue officielle et commune du Québec. (Nous soulignons, p. 29)


Par la suite, Jean-François Lisée l’a repris dans ses ouvrages. Dans son livre Sortie de secours (Boréal), publié en 2000, il écrit que « la Charte de la langue française dans sa version 2000 n’interdit aucune langue » et « insiste sur la prédominance de la langue majoritaire ». Ce qui est faux. Lisée suggère même « de constitutionnaliser le principe de prédominance du français dans l’affichage, pour établir cette réalité une fois pour toutes » dans une future constitution québécoise.

En 2007, dans un livre intitulé Nous (Boréal), Jean-François Lisée fait de la « nette prédominance » l’axe central d’une nouvelle politique linguistique. Dans un chapitre intitulé « La prédominance du français : un concept rassembleur collé sur le réel », il incite le gouvernement « à ajouter dorénavant à ces objectifs (de français langue officielle et langue commune) le concept-clé de prédominance du français ».

Jean-François Lisée étant proche de la direction du Parti Québécois, on ne doit pas s’étonner que le chapitre sur la langue de la Proposition principale soumis aux délégués pour le congrès d’avril 2011 ait pour titre : « La nette prédominance du français ».


Il faut choisir sa Charte

Donc, d’un côté, il y a une politique linguistique qui découle de la Charte de la langue française et de ses deux principes fondamentaux : le français, langue officielle et le français, langue commune.

De l’autre, il y a une politique linguistique qui origine de l’arrêt Ford de 1988 de la Cour suprême du Canada qui impose le principe de la « nette prédominance du français », en prenant pour référence la Charte canadienne des droits, la Charte de Trudeau.

Ces deux approches, découlant de deux chartes aux principes antagonistes sur la question linguistique – il est bien connu que Trudeau a fait adopter sa charte pour invalider des dispositions de la Charte de la langue française – ne sont pas interchangeables. Il faut donc choisir sa Charte.