Deep Café de Malcolm Reid

2011/02/09 | Par Marc Boutin

Le dernier livre de Malcolm Reid, écrit directement en français, traite de Léonard Cohen, poète et figure emblématique de la bohème anglophone montréalaise. Comme pour l'avant dernier livre de Malcolm, Notre parti est pris, Deep Café est partiellement autobiographique, l'auteur ayant fréquenté l'Université McGill au tournant des années cinquante et soixante, période glorieuse à Montréal, tant de la bohème francophone que de l'underground anglophone. Habituellement, dans ses récits, Malcolm - l'auteur lui-même - n'est jamais loin. C'est là sa griffe!

À cette époque, et jusqu'à l'été 67 lorsque sa carrière de chanteur folk débute, Léonard Cohen n'est connu que par son oeuvre littéraire (poésies et romans). Deep Café traite d'abord et avant tout de sa poésie et s'achève sur les premières notes de Suzanne takes you down, to her place by the river..., en pleine Expo 67. L'auteur, toutefois, ne suit pas toujours une chronologie rigide et n'hésite pas a couvrir certains évènements plus récents de la carrière du poète chanteur.


La bohème

Un des charmes de Deep Café est de nous faire découvrir le Montréal de la bohème anglo, ses repères (la McGill Union et les locaux du McGill Daily), ses cafés (Swiss Hut), l'effervescence urbaine de la rue Sherbrooke et du boulevard Saint-Laurent.

Reid remarque qu'il s'agit d'un monde méconnu et sous estimé des francophones, un monde qui a participé à sa manière à la Révolution tranquille : par une agitation politique reliée à la guerre froide (manifestations contre l'installation de missiles à la base de La Macaza dans les Laurentides), par son opposition aux artisans de la guerre chaude (contre la venue à Montréal de Robert MacNamara, secrétaire de la guerre de Kennedy), par son appui à la construction d'un centre de santé dans Pointe-Saint-Charles, etc.

Mais aussi un monde qui reflétait la démarcation entre les deux solitudes, démarcation que Reid, contrairement à Cohen, a résolument transgressé.


La poésie

Pendant ses années de bohème montréalaise, Reid est séduit par la poésie de Cohen : la dérision féroce ou feutrée des images, l'audace des titres (Flowers for Hitler), la modernité des sujets traités, le choix des mots et le classicisme de la langue qui, selon l'auteur, rapproche Cohen de Shelley et Shakespeare. « La poésie de Cohen ne parle pas de champs de marguerites ou de jonquilles, elle parle de sexualité, de politique, de comptoirs à hot-dog sur la Main. » (Deep Café, page 85)

C'est une poésie « hip », une poésie intimiste qui s'adresse à un « tu », à « toi ». Si on se laisse séduire : frissons garantis.


La politique

Une des hypothèses de l'auteur est que derrière une forme poétique aussi envoûtante doit bien se profiler un fond politiquement fréquentable. Être politiquement fréquentable pour Malcolm Reid veut dire « être progressiste », être de gauche. À son grand désarroi, cependant, l'hypothèse s'avère difficile à défendre.

Bien sûr, Malcolm décèle des tendances encourageantes : Cohen garde un oeil sur la nouvelle gauche, il suit (de loin) l'évolution du nationalisme québécois, il apostrophe le capitalisme et ses excès, il exprime ses regrets quant à la misère des exclus, il appuie l'émancipation sociale des noirs étasuniens, etc. Et Malcolm Reid de lancer une élégante formule : Cohen serait un activiste radical... de la vie personnelle (p. 119).

Mais en ce qui a trait à la vie collective, on repassera. Cohen n'est ni un salaud génial comme Louis Ferdinand Céline, ni un artiste qui signale à gauche et vire à droite comme Vargas Llosa.

C'est un poète qui s'échafaude une fierté sur la base de sa militance molle et d'une neutralité politique immuable. On pense au député poète Lamartine qui, à la Chambre, se disait « résolument » ni à gauche, ni à droite et de qui d'aucuns disaient « ...on sait bien, le poète, il reste au plafond ».

En tant qu'artiste-dans-la-société, Cohen se retrouve comme bien d'autres, et sans doute à son corps défendant, du côté des puissants. N'a-t-il pas accepté, comme Malcolm le signale à la page 125, de tenir les cordons du poêle aux funérailles de Pierre-Elliot Trudeau.

Le livre de Malcolm, avec son français surprenant, son écriture empreinte d'une spontanéité propre à la conversation, est d'une lecture agréable bien que piquante (dans le sens de « piquer la curiosité »).

On a souvent l'impression en lisant, qu'il nous raconte une histoire (son histoire) au coin de la rue. Un boni attend le lecteur : tout au long de Deep Café, la spontanéité malcomienne accède à la lumière du jour avec ses nombreux dessins à main levée et au trait nerveux, qui illustrent les personnages du livre.

Cet article a paru dans le journal Droit de Parole distribué au centre-ville de Québec.


DEEP CAFÉ, Malcolm Reid, 161 pages, Les Presses de l'Université Laval, Québec 2010.