D'abord, un Québec français!

2011/02/10 | Par Louis Bernard

Il est difficile de passer une année au Québec sans que la question de l’intégration des immigrants ne vienne s’imposer dans l’actualité politique. Il y a quelque temps, c’était la controverse des accommodements raisonnables, qui a mené à la mise sur pied de la Commission Bouchard-Taylor. Puis ce fut celle des écoles passerelles qui a débouché sur l’adoption contestée de la loi 103. C’est maintenant celle de l’extension aux cegeps des prescriptions de la loi 101 sur la langue d’enseignement.

À la source de tous ces débats, il y a la crainte ressentie par une large partie de la majorité francophone que la présence de plus en plus importante chez nous de nouveaux citoyens issus de l’immigration ne vienne mettre en danger, à terme, le caractère français de la nation québécoise. Déjà, au cours des dernières années, toute une panoplie d’instruments a été mise en place pour éviter ce danger, dont les principaux furent l’adoption de la Charte de la langue française et le rapatriement des pouvoirs de sélection et d’intégration des immigrants.

Ces instruments ont eu leurs effets, mais le doute subsiste toujours quant à leur suffisance et à leur efficacité réelle. Cette méfiance provient de certaines statistiques préoccupantes sur la langue parlée au foyer mais, surtout, de la présence de plus en plus évidente de la langue anglaise dans presque tous les milieux de la région montréalaise. Cette montée de l’anglais à Montréal, tous peuvent la constater quotidiennement au travail, dans le métro et les magasins et, quelles que soient les statistiques officielles, on sent la crainte se développer et, peu à peu, les pressions monter pour exiger que des mesures soient prises pour corriger la situation. D’où la demande pour étendre la loi 101 aux cégeps.

Personnellement, sans m’objecter en principe à cette solution, j’en préfère une autre qui est plus susceptible, à mon sens, de régler le problème. Il s’agirait plutôt de redonner à la loi 101 sa mission originale de faire du Québec une province française par la revalidation de ses dispositions infirmées par les tribunaux et par l’élargissement de son application à l’ensemble de la société québécoise, y compris aux secteurs relevant du parlement fédéral. Est-ce que cela est possible ? Oui, certainement – par un amendement à la constitution canadienne.

Je propose donc que l’Assemblée nationale, comme elle est autorisée à le faire, prenne l’initiative d’adopter une résolution modifiant la constitution du Canada afin que le Québec puisse légiférer pour:

  • remettre en vigueur les dispositions de la Charte de la langue française qui ont été invalidées par les tribunaux;
  • appliquer la Charte de la langue française à toutes les institutions et entreprises privées agissant sur son territoire;
  • suspendre l’application de l’article 23 de la Charte canadienne des droits et libertés en ce qui concerne les écoles situées au Québec.

Une telle modification constitutionnelle entrerait en vigueur dès qu’elle aurait été approuvée par le Parlement du Canada, et celui-ci aurait trois ans pour le faire. L’assentiment des autres provinces ne serait pas nécessaire étant donné que cet amendement ne concerne que le Québec. Le précédent de l’abolition des commissions scolaires confessionnelles au Québec et celui de l’instauration du bilinguisme officiel au Nouveau-Brunswick en font foi.

Au besoin, cette résolution de l’Assemblée nationale pourrait éventuellement être ratifiée par un référendum québécois, si par exemple le parlement fédéral tardait à agir ou refusait de le faire.

Comme dans tous les pays, c’est la pression sociale qui est le principal facteur d’intégration des immigrants à la société d’accueil. Chez nous, c’est par le caractère ostensiblement français de la nation québécoise qu’on peut le mieux assurer l’intégration des nouveaux arrivants à la majorité francophone. Faire du Québec une province française, c’était le but primordial, dans sa version originale, de la loi 101 et c’est, en grande partie, parce qu’elle a été dépouillée de ses éléments les plus symboliques à cet égard (lois, jugements et affichage commercial en français seulement) que ses effets ont été limités. Le Québec est restée, en fait et en droit, une province bilingue. Redonnons donc à la loi 101 toute sa vigueur et étendons son application à tous les secteurs de notre société.

La solution que je propose est bien supérieure à celle de l’application de la loi 101 aux cégeps. D’abord, parce qu’elle sera beaucoup plus efficace sur l’intégration de tous les immigrants (et non seulement des collégiens). Ensuite parce qu’elle amènera le Canada à accepter que le Québec constitue une société d’accueil distincte ayant ses propres exigences, notamment quant à la langue d’intégration. Enfin, parce qu’elle recevra l’appui de la grande majorité des Québécois qui favorisent spontanément l’avènement d’un Québec français, alors qu’ils seront forcément divisés entre eux par la perspective de se voir enlever le droit de fréquenter les cégeps anglophones.

Lorsqu’ils seront pleinement assurés du caractère français du Québec, les Québécois seront plus ouverts à la diversité, plus à l’aise de recevoir chez eux (comme ils l’ont toujours fait depuis quatre cents ans) des concitoyens d’autres cultures et même plus enclins à maitriser eux-mêmes la langue anglaise, outil indispensable dans le monde d’aujourd’hui.

La première chose à faire, c’est donc de redonner toute sa force à la Charte de la langue française de manière à assurer le caractère français de la société d’accueil québécoise et renforcer ainsi sa capacité d’intégration des nouveaux arrivants.

Publié dans La Presse, Le Soleil et autres journaux de Gesca mercredi le 9 février 2011