Le désir en prise d’assaut

2011/02/11 | Par Marie-Paule Grimaldi

L’initiative de départ est des plus intéressantes et audacieuses. Monter une pièce d’Howard Baker (rare au Québec particulièrement), dans un stationnement souterrain (bravo pour le décloisonnement de l’espace artistique) avec des acteurs reconnus entre autres pour l’intelligence qui les anime (et leur pertinence). La proposition du Théâtre à corps perdu avec la pièce Judith (L’adieu au corps) est une curiosité en soi mais cette originalité reste son plus grand atout, à défaut de convaincre par la performance.

Il faut le vivre, ce trajet vers la représentation sous le Marché Jean-Talon. On descend dans les entrailles du Marché, comme la pièce nous entrainera dans de sombres, profondes et sanguinolentes réflexions. La scénographie est superbe et se fusionne à l’espace : pente et pièce semi-ouverte dans le béton, entourées des gradins, de rideaux et du chauffage qui nous tiendra bien au chaud.

Dans ce lieu on ne peut plus commun – sauf pour l’art - on est réellement transportés ailleurs, dans le lieu de la tragédie, et le choc est là, à la fin de la représentation alors qu’on reprend très rapidement contact avec la réalité.

C’est peut-être aussi l’intensité du propos qui fait choc, Howard Baker relève autant l’ambigüité que la cruauté dans ses tragédies modernes. Ici, il revisite un épisode biblique, celui de Judith la veuve qui va séduire le tyran étranger pour ensuite le tuer dans son sommeil.

Mais avec Howard Baker, rien n’est simple. La séduction sera ardue, un véritable combat, où l’on ne sait plus qui ruse et se perd au jeu. Puis ce sera la confusion de Judith, détresse et naissance désincarnées de la figure qu’elle est devenue. L’envers du décor de son courage. Le texte est juste sans être réaliste, joueur, et bien rendu par la traduction également audacieuse de Maryse Warda.

Toutefois, dans le contexte somme toute urbain, et malgré le contraste avec le sujet ancien, voire classique, le ton déclamatoire des comédiens semble inadéquat et détonne quelques peu. La mise en scène, parfois trop rapide dans ses enchaînements – rendant la partition des comédiens hautement difficile – frôle le vaudeville. C’est voulu, mais on se demande si cela répond bien à la teneur du texte. Ce n’est que par moments, et non dans la totalité de la représentation, qu’on atteint une certaine vérité, qu’on est troublé au point où on devrait l’être.

L’exercice est particulier mais recèle d’une bonne ingénierie théâtrale. Et en tout point, on touche le désir, le désir danger de l’histoire, le désir de raconter cette histoire, le désir de faire du théâtre, toujours.

Judith (L’adieu au corps), 29 janvier au 17 février, Stationnement souterrain du Marché Jean-Talon.
Réservation, 514-910-4420

Photo : Maxime Côté