Les familles d’accueil se syndiquent

2011/03/08 | Par Maude Messier

Au Québec, près de 9 500 personnes accueillent dans leur maison et prennent soin d’enfants et d’adultes aux prises avec un handicap physique, psychologique ou un problème de santé mentale. Ces ressources dévouées, ce sont les familles d’accueil.

Nécessaire et essentiel, leur travail demeure pourtant méconnu aux yeux de la population, notamment en raison de préjugés tenaces. « Les gens considèrent qu’ils font ça par amour et compassion, point à la ligne. Du bénévolat », indique Denis Vigneault, conseiller syndical à la CSD, dans une entrevue accordée à l’aut’journal.

Il dément aussi l’autre mythe, soit celui selon lequel ces familles vivent au crochet des subventions qu’elles perçoivent pour leurs services. « Les critères de sélection sont stricts et requièrent notamment que les familles puissent assumer financièrement la charge des usagers qu’elles accueillent. Il y a des enquêtes qui sont faites. »

Depuis plus d’une dizaine d’années, ces hommes et ces femmes se battent pour que leur travail soit reconnu à sa juste valeur et pour améliorer les conditions dans lesquelles ils l’accomplissent. Principalement regroupés au sein de deux organisations syndicales, ils négocient présentement leur toute première entente collective avec le gouvernement du Québec.

La Fédération des familles d’accueil et des ressources intermédiaires du Québec (FFARIQ), un organisme sans but lucratif qui existe depuis les années 1970, représente 2 500 familles et ressources intermédiaires uniquement pour le secteur jeunesse. La FFARIQ offre à ses membres des services syndicaux, notamment pour la représentation et la négociation, via une entente de services avec l’Union des employés et employées de service - UES 800 (FTQ).

La CSD représente, quant à elle, 6 000 personnes responsables d’une famille d’accueil pour jeunes ou d’une résidence pour adultes atteints de déficience intellectuelle, physique ou présentant des problèmes de santé mentale.


Les rescapés de la Loi 7

Les efforts de syndicalisation des familles d’accueil remontent à une dizaine d’années. Denis Vigneault de la CSD explique que des requêtes en accréditations avaient été déposées à l’époque et que la Commission des relations de travail (CRT) avait même reconnu les responsables de familles d’accueil à titre de salariés.

À l’instar des responsables de services de garde en milieu familial avec la loi 8, l’imposition de la loi 7 par le gouvernement Charest en 2003 niait le droit d’association à ce groupe de travailleurs et de travailleuses et abrogeait leur droit à la négociation collective.

Les démarches syndicales en vue d’une négociation collective sont tombées à l’eau. Il faudra attendre le jugement de la Cour Supérieure invalidant les lois 7 et 8 en 2008 pour que les démarches reprennent leur élan.


Au cœur des débats

Les négociations avec le ministère de la Santé et des Service sociaux sont menées simultanément par les deux organisations syndicales. Les stratégies diffèrent, mais il n’en demeure pas moins que la priorité est d’obtenir pour les familles d’accueil des droits adaptés à leur travail.

La révision en profondeur du système de rétributions est au cœur des revendications syndicales, le système actuel ne tenant pas compte des réalités et exigences financières qui incombent aux ressources.

Par exemple, la CSD demande une rétribution quotidienne plancher, par usager, permettant de couvrir les coûts de base, soit le gîte et le couvert. La partie syndicale réclame également un volet pour les coûts d’opération de la ressource et le paiement de certains frais tels que l’achat de meubles, les assurances, une partie de l’hypothèque, des factures de chauffage et d’électricité. « Comme c’est possible de le faire pour des travailleurs autonomes », explique le conseiller de la CSD.

Actuellement, chaque individu référé et placé en famille d’accueil est classé selon des catégories prédéfinies, basées sur l’état de santé. Cette classification détermine également la rétribution de la ressource sans toutefois tenir compte de l’intensité de travail requis. Tant du côté de la CSD que de la FFARIQ, cette grille, qualifiée d’arbitraire, constitue le principal irritant au dossier.

À titre indicatif, une famille qui accueille un bébé de 0 à 4 mois reçoit présentement pour toute compensation un montant équivalant à 22,39 $ par jour. « Il n’y a pas de quoi à se mettre riche là! », ironise M. Vigneault tout en affirmant que « le prochain outil de travail, dont le squelette est actuellement en voie d’élaboration, sera plus pragmatique et mieux adapté aux réalités du terrain. C’est une bonne nouvelle. »


Vers une meilleure reconnaissance

Au-delà de la rétribution, cette nouvelle grille, qui évaluera précisément les besoins des usagers, constitue également un grand pas vers une meilleure reconnaissance du travail effectué par les familles d’accueil.

Bien entendu, à ces réformes des modes de rétributions, s’ajoutent des demandes visant à constituer un filet de protection sociale pour les familles d’accueil via des cotisations au RRQ, à la CSST et au RQAP. Les parties syndicales réclament aussi des congés fériés payés et des vacances.

Les deux organisations syndicales reconnaissent la nécessité d’adapter les modalités pour assurer la stabilité des usagers. Ils insistent cependant sur l’importance de reconnaître que « ces gens ont aussi besoin de répit et de mesures pour pallier aux aléas de la vie sans être systématiquement pénalisés. »

Sur le plan normatif, la CSD insiste sur l’importance d’instaurer des principes de paritarisme et de concertation, via notamment l’institution d’un comité paritaire des relations de travail et l’établissement de procédures de traitement des mésententes. « Parce qu’actuellement, les établissements sont juges et parties. On veut un mécanisme plus neutre, à l’image de celui prévu au Code du travail. »


Des négociations aux paramètres limités

La Loi sur la représentation des ressources de type familial et de certaines ressources intermédiaires et sur le régime de négociation d’une entente collective les concernant et modifiant diverses dispositions législatives (Loi 49), adoptée en juin 2009, fixe étroitement les paramètres de la négociation entre l’État et les familles d’accueil et maintient leur statut dans un flou arbitraire.

« Nous sommes d’accord sur le fait que ce ne sont pas des salariés au sens propre, leur travail nécessite une grande autonomie. Mais ce ne sont pas des travailleurs autonomes comme tels non plus parce qu’il existe tout de même un lien de subordination avec les établissements du réseau public, notamment sur la question des plans d’intervention », explique Denis Vigneault.

Le représentant syndical de l’UES 800, Alexis Roy, indique qu’au fond, « ils ont le pire des deux mondes. Ils n’ont pas les libertés des travailleurs autonomes et n’ont pas les protections des salariés prévues par la loi. Le gouvernement a donc toujours le beau jeu en négociation. »

Sur la question des paramètres de négociation, il faut spécifier que la loi 49 interdit le droit de grève ainsi que le recours à l’arbitrage pour ces travailleurs, ce qui réduit substantiellement l’éventail des moyens de pression.

« Si on avait contesté cette disposition, on aurait été pris avec des procédures juridiques pour un autre dix ans et les familles d’accueil s’en seraient trouvées pénalisées. On a misé sur la bonne foi du gouvernement. C’est la principale lacune de cette négociation », confie Denis Vigneault.

Les deux syndicats confirment que les pourparlers avancent, mais ils dénoncent la lenteur du processus. C’est précisément dans la perspective de mettre de la pression sur le gouvernement pour faire avancer le dossier que la CSD est passée à l’action le 12 février dernier.

Un millier de responsables de familles d’accueil ont manifesté devant les bureaux du premier ministre Jean Charest à Sherbrooke. « Ils ont des attentes maintenant que le processus est enclenché; c’est normal qu’ils veuillent que ça se règle, après toutes ces années, indique M. Vigneault. Les discussions sont bonnes, mais ça demeure un processus lent compte tenu qu’il n’y a pas de précédant, pas de sentiers battus.»

Fait à noter, la Loi sur les normes du travail ne s’applique pas pour ces travailleurs au statut hybride. Tout est donc à bâtir dans cette première entente collective : rétributions, congés, vacances, avantages sociaux, protections sociales, etc. Mais il y a aussi les aspects reliés à la vie syndicale, une nouvelle facette qui ouvre des perspectives intéressantes pour ces travailleurs isolés les uns des autres de par la nature de leur travail.

Le représentant syndical de la CSD mentionne qu’il est notamment question de la mise sur pied d’un réseau d’aide et de répit sous la forme d’une coopérative d’entraide à domicile non institutionnalisée, « Mais ça, c’est un projet pour plus tard. On prend toutefois note que les besoins sont là chez les membres. »

Au moment d’écrire ces lignes, 25 rencontres ont eu lieu entre la CSD et les négociateurs gouvernementaux, un peu moins pour la FFARIQ. Les deux syndicats demeurent optimistes et espèrent la conclusion d’une entente avant l’été.