L’oiseau se console en chantant

2011/03/11 | Par Ginette Leroux

La communauté rurale de Los Pereyra est située au cœur de l’Impénétrable (El Impenetrable), la deuxième plus grande jungle d’Amérique du Sud après l’Amazonie, à plus de 1450 km au nord de Buenos Aires. L’électricité et le téléphone n’arrivent pas jusqu’à cette grande région touffue où poussent les orchidées, se côtoient plusieurs espèces protégées (le tatou, le puma, le jaguar…) et chantent une grande variété d’oiseaux tropicaux, comme ces perroquets lorinés, présents dans le film.

Coupés du monde extérieur, habitués à la frugalité de leur quotidien, les habitants sont heureux de recevoir une fois l’an celles qu’ils appellent affectueusement les Marraines. Durant une semaine, des adolescentes d’une école secondaire huppée de la capitale séjournent à Los Pereyra.

À première vue, leur passage, mû par la charité chrétienne, apporte soutien et réconfort aux enfants de l’école primaire et à leurs parents. Mais les gestes empreints de bonnes intentions auprès de ces gens démunis creusent chez eux un sillon profond dans lequel germent espoir et dépendance. Le film d’Andrés Livov-Macklin pose un regard humain et éclairant sur la question. Bienvenue à Los Pereyra.

Le film débute sur une note pastorale. Les oiseaux chantent. La grande sœur et sa grand-mère coiffent les plus petits qui se préparent pour l’école. Sur des chemins de terre, les garçons partent à bicyclette; les filles, elles, y vont en charrette tirée par un cheval.

Le spectateur tombe vite sous le charme des écoliers, un peu distraits, intimidés par la proximité de la caméra. La paix et la discipline règnent dans les classes, belles et colorées de desseins d’enfants. Aujourd’hui, on fait des projets d’avenir. « Je veux être institutrice à la maternelle comme ma mère », répond une préadolescente à son enseignant. Une autre veut être avocate. Les gars ont moins d’ambitions. C’est bien de rester à la campagne avec ses parents rassure le prof. « L’éducation est fondamentale au siècle où l’on vit », croit l’homme expérimenté qui encourage la persévérance scolaire chez ses élèves.

Les classes doivent faire peau neuve pour accueillir les Marraines. Sous les directives de leurs enseignants, les élèves nettoient, repeignent les locaux scolaires, balaient la cour de récré. Ensemble, ils pratiquent une chanson de bienvenue. L’espoir donne des ailes.

Il n’y a pas que les petits qui se préparent fébrilement. Un grand-papa constate que les rares pluies annuelles ont affecté les récoltes, mais il se console dans l’attente prochaine des Marraines. « À chaque fois qu’elles partent, nous pleurons, nous avons le cœur brisé, dit-il à son petit-fils. Ces gens peuvent nous aider », ajoute-t-il, convaincu.

« Elles arrivent, elles arrivent », crient en cœur les enfants lorsque apparaît la fourgonnette dans laquelle s’entassent les filles et leurs enseignantes accompagnatrices. Les adultes s’énervent, les enfants applaudissent. On se présente, on se jauge, on se rapproche, on s’apprivoise.

Les jeunes citadines, éduquées, bien vêtues, souvent blondes aux traits fins, essaieront, tout au long de leur séjour, de « séduire » les écoliers en leur proposant des activités pédagogiques, des jeux, des sorties ou encore elles effectueront un examen sommaire de leurs protégés, question de vérifier leur état de santé physique. Aux parents, elles offriront des informations sur le système de reproduction et la planification des naissances. Le but premier de leur visite annuelle est, officiellement, de soutenir l’effort des enseignants à inculquer aux habitants de Los Pereyra l’importance de l’éducation.

Malgré leurs tentatives répétées de se rapprocher du mode de vie de leurs hôtes, on sent qu’elles y restent étrangères. De leur côté, les enfants sont gênés par tant de sollicitations et d’attentions.

L’écart entre les deux univers paraît inconciliable. D’un côté, celui des riches – les filles encouragées par leurs enseignantes et soutenues par leurs parents qui comptent parmi les figures importantes de la politique argentine – des bien-pensants persuadés que la distribution de largesses suffit à leur donner bonne conscience. De l’autre, les communautés comme celle de Los Pereyra, pauvres, isolées, sans ressources, abandonnées par leur gouvernement, qui n’ont d’autre alternative que de se tourner vers la charité pour survivre.

Leurs bienfaitrices retournées dans leur famille, les enfants repartent comme ils sont venus, à pied, à bicyclette, à cheval. Resteront les tables et les chaises à remettre en place, les poubelles à vider, le coup de balai à donner, les photos pour se souvenir.

Les jeux reprennent, la vie continue. Et si elles ne revenaient pas …

Perché sur la branche d’un arbre, un garçon regarde au loin et chante un poème épique de José Hernandez, tiré de Martin Fierro, une œuvre fondamentale de la littérature argentine, écrite entre 1872 et 1879 et adaptée par la chanteuse et compositrice populaire Juana Molina : « L’oiseau se console en chantant », dont les premières paroles sont reprises en conclusion de l’excellent film d’Andrés Livov-Macklin.

Né à Buenos Aires, Andrés Livov-Macklin y a étudié la mise en scène d’opéra au Théâtre Colon avant de s’inscrire à la faculté des Arts à l’université York de Toronto. Intéressé par le cinéma documentaire, il a participé, en 2005, aux ateliers Doc Clinics de la Berlinale Talent Campus liée au Festival international du Film de Berlin. C’est là qu’il a développé l’idée de Bienvenue à Los Pereyra, son premier long métrage.


Bienvenue à Los Pereyra, du réalisateur et scénariste argentin Andrés Livov-Macklin, prend l’affiche au cinéma Parallèle du 11 au 17 mars 2011.

http://www.lospereyra.com/