Le français, langue commune : un peu d’histoire

2011/03/22 | Par Charles Castonguay

À partir de 1977, le Parti québécois a tenu le cap sur le français langue commune. Mais la Proposition principale en vue du congrès d’avril n’en veut plus. Il suffirait maintenant que le français prédomine nettement.

Il faut faire la sourde oreille à ce chant de sirène.

La Proposition principale fait miroiter l’aventure d’un Québec « où la communauté anglophone a toute sa place ». Sans jamais dire, ne fut-ce qu’une seule fois, que le français doit être le plus grand dénominateur commun du pays en devenir.

Certains ont oublié comment un Reed Scowen, figure de proue de ladite communauté, avait mené la charge contre la loi 101 en exhortant les anglophones à parler anglais toujours et partout. C’est ça, un Québec où la communauté anglophone a toute sa place, quand celle-ci n’est pas balisée par le français langue commune.

Il y a une limite à vouloir accommoder et séduire. Se contenter de prédominance, c’est enlever tout mordant à la francisation et se condamner à négocier sans cesse, dans chaque aire d’activité sociale, ce qu’on entend par prédominer.

Les raisons ne manquent pas pour estimer que la « communauté » anglophone occupe déjà trop de place. À commencer par les chiffres du dernier recensement. On sait aussi, par exemple, que l’anglais demeure plus souvent que le français la langue des communications entre francophones et anglophones dans les grandes entreprises à Montréal. Et que la maîtrise du français reste moins payante pour un immigrant que celle de l’anglais.

Par équité envers la majorité francophone de même qu’envers ceux de nos immigrants que nous avons sélectionnés pour leur compétence en français, ce n’est pas le moment de remplacer le français langue commune par un objectif à rabais.

La Commission Gendron avait dénoncé la situation des francophones qui vivaient tels des étrangers dans leur propre pays. Qui, pour s’épanouir à Montréal et dans l’Outaouais, pour gravir les plus hauts échelons, devaient parler l’anglais.

Pour remédier à ce dysfonctionnement social, le PQ de René Lévesque avait imaginé un Québec dont le français serait la langue commune. C’est dans cette optique que Camille Laurin usait de sa formule choc : « Il ne sera plus question d’un Québec bilingue ». Pas par hostilité envers l’anglais. Par justice sociale envers le plus grand nombre.

Une politique belle. Et exigeante. Susceptible de changer les choses.

Le Canada a choisi de sacrifier à un autre idéal. Celui du libre choix de la langue et du lieu de résidence. Celui du libre-échangisme linguistique. Ce qui revient à la loi du plus fort.

On pensait en avoir fini avec l’anglais, langue des privilégiés et le français, langue des moins nantis. Voici que la Cour suprême et la loi 103/115 de Charest sur les écoles passerelles nous ramènent à ce vieux jeu de classes : l’école anglaise à même les fonds publics pour ceux qui ont les moyens de payer le droit d’entrée, l’école française pour les autres.

La résurrection de ce détestable modèle de société nous rappelle que les admirateurs de la Charte à Trudeau n’auront de cesse que lorsque le libre-échange linguistique règnera, comme ils aiment le dire, from coast to coast to coast. Devant leur intransigeance, ce n’est pas au Québec de lâcher du lest en troquant langue commune contre nette prédominance.

« Il y aura toujours au Québec une masse unilingue francophone, aussi bien dans la région métropolitaine qu’en province. Ces personnes devraient pouvoir circuler sur toute partie du territoire du Québec en se servant de la seule langue qu’elles connaissent, le français », écrivait la Commission Gendron. Par conséquent, à ses yeux une politique du français langue commune allait de soi.

Même sous le règne Bouchard, le volet du programme du PQ sur la langue portait comme titre « Le français. Langue commune et de convergence ». Le rapport interministériel de 1996 sur la situation du français s’intitulait d’ailleurs Le français langue commune. Enjeu de la société québécoise. « Le français [est-il] devenu la langue d’usage public commune à tous les Québécois? La réponse est non », concluait-il. Le rapport ne recommandait pas moins que cet objectif demeure l’axe central de notre politique. Louise Beaudoin avait aussitôt enchaîné avec sa proposition Le français langue commune.

En fait, jusqu’à l’arrivée de Charest, le gouvernement du Québec, péquiste comme libéral, n’a jamais dévié depuis 1977 du français langue commune. C’est ce qui ressort de L’embarras des langues. Origine, conception et évaluation de la politique linguistique québécoise, survol de quarante ans de recherches, débats et lois sur la langue que Jean-Claude Corbeil a signé en 2007.

Corbeil insiste à son tour sur la nécessité de poursuivre le projet global d’une société québécoise de langue française. « La politique linguistique québécoise et la Charte de la langue française ont pour objectif fondamental de faire contrepoids aux forces dominantes du marché linguistique qui jouent toujours en faveur de la langue anglaise en Amérique du Nord […] et de plus en plus avec la mondialisation, écrit-il. La Charte est nécessaire aujourd’hui comme hier. »

Faire contrepoids. Tout est là.

Le français, langue commune du Québec a des chances de faire contrepoids à l’anglais, langue commune du Canada, des États-Unis et de la mondialisation. Pas un français qui serait simplement prédominant.

Paradoxalement, malgré l’inquiétude que lui inspire la force de l’anglais en milieu de travail, Corbeil n’est pas chaud pour étendre la Charte au cégep. Selon lui, le problème c’est l’enseignement de l’anglais. Si les francophones et allophones savaient l’anglais à la fin de secondaire, ils n’iraient pas au cégep anglais.

L’Institut de recherche sur le français en Amérique a publié tout récemment un rapport à ce sujet qui porterait sûrement Corbeil à se raviser. Le rapport démontre que francophones et allophones ne choisissent pas tant le cégep anglais pour apprendre l’anglais que pour, par la suite, poursuivre en anglais à l’université, au travail et dans leur vie quotidienne. Pour s’angliciser, quoi.

Il faut donc cesser de s’illusionner là-dessus. On avait espéré que l’école française pour tous amènerait davantage de jeunes au cégep français. On attendait la même chose de la restructuration scolaire. Chaque fois on s’est trompé. S’en tenir uniquement à améliorer l’enseignement de l’anglais ne ferait pas mieux, voire faciliterait l’accès au cégep anglais.

La Proposition principale en vue du congrès du PQ paraît à prime abord plus avisée. Elle veut intensifier l’enseignement de l’anglais à l’école française et étendre en même temps la loi 101 au cégep. Mais elle propose aussi, dans sa section sur l’éducation, que les cégeps français offrent à ceux qui le désirent une session entière d’enseignement en anglais. Une session d’initiation à l’anglais langue commune, qui préparerait à travailler et à vivre en anglais.

Voilà un exemple bien concret de la différence entre une politique qui ne vise qu’une prédominance du français et une politique du français langue commune.

La proposition de politique de Louise Beaudoin, Le français langue commune, s’oppose formellement à un tel dérapage : « La connaissance de l’anglais, acquise au secondaire, ne doit jamais légitimer l’enseignement en anglais […] au cégep […] Cet enseignement doit toujours se faire en français, comme soutien à l’usage du français, langue de travail. »

C’est ce qu’il nous faut. Une politique claire. Et cohérente.

Ajoutons enfin qu’à l’heure actuelle, 18 % des cégépiens s’inscrivent au cégep anglais et 82 %, au cégep français. Selon l’étude Curzi sur la question, si Lucien Bouchard avait donné son feu vert à la loi 101 au cégep, ces parts seraient aujourd’hui de quelque 12 % pour le cégep anglais et 88 % pour le cégep français.

L’anglais n’étant la langue maternelle que de 8 ou 9 % de la jeunesse québécoise, on peut parfaitement considérer qu’étendre la Charte au cégep conserverait ainsi à la communauté anglophone « toute sa place ».

Cependant, en donnant sur demande une session en anglais, comme le prévoit la Proposition principale, les cégeps français prépareraient, eux aussi, des diplômés à travailler et, éventuellement, à vivre en anglais. Autrement dit, cette disposition assurerait à la communauté anglophone de demain une place démesurée.

Quel est donc l’apprenti sorcier qui a concocté le volet langue de la Proposition principale? On ne peut laisser l’avenir du français dépendre d’une pareille improvisation.