Jean-François Lisée se défile et y met la forme

2011/03/25 | Par Pierre Dubuc

Dans son blogue du 20 mars dernier, Jean-François Lisée « répond » à mon livre Pour une gauche à gauche. Je mets le mot « répond » entre guillemets, parce qu’il est évident que Jean-François Lisée refuse tout débat sérieux. Nous allons tout de même consacrer quelques lignes à ses humeurs

François Legault est celui qui a inventé l’expression « gauche efficace » et l’a utilisée contre la gauche du Parti Québécois pour camoufler ses positions de droite. Jean-François Lisée a tellement aimé le « branding » qu’il en a fait le titre d’un des volumes, tout en reconnaissant la paternité de l’expression à Legault.

Aujourd’hui, Legault rejette le label – « Gauche efficace », ce n’est pas très vendeur auprès de l’électorat adéquiste –, tout en continuant à faire la promotion des mêmes politiques. Des politiques qui, on le découvrira au fur et à mesure qu’il précisera son programme, ont d’étonnants liens de parenté avec celles mises de l’avant par Jean-François Lisée.

Jean-François Lisée nous dit également que Joseph Facal sera étonné de se voir apposer l’étiquette de « gauche efficace ». C’est vrai qu’il préférait, à l’occasion, l’expression « gauche responsable » (voir Le Parc jurassique). Mais, sur le fond, il reconnaît lui aussi faire partie de la même famille idéologique sur les questions économiques. Dans La guéguerre des étiquettes, paru sur son blogue le 1er décembre 2010, il écrit :

Prenez, par exemple, les positions associées à cette gauche «efficace» que préconise Jean-François Lisée. En gros, c’est un cocktail de mesures issues de la gauche et de la droite. On pourrait en discuter jusqu’à demain matin et ce n’est pas mon propos ici.

Mais voyez plus spécifiquement les mesures à saveur économique : privatiser partiellement Hydro-Québec, augmenter les tarifs d’électricité au niveau ontarien, hausser en contrepartie les prestations sociales, baisser la fiscalité des entreprises productives, baisser les impôts des riches à la moyenne nord-américaine, hausser la TVQ et la taxation des biens de luxe, etc. Je les endosse toutes, sauf pour la première dont je suis moins sûr.

Si on a un minimum de culture économique, on sait que l’esprit de ces propositions vient en droite ligne du libéralisme, adouci par un souci d’arrondir les aspérités. On les trouve depuis des années dans les écrits de Pierre Fortin, Luc Godbout, Claude Montmarquette, les miens, et ceux d’un tas d’autres personnes. Ces idées seront de «droite» ou de gauche «efficace» selon qui les véhicule.


Ne pouvant plus se réclamer de François Legault, Jean-François Lisée se réfugie sous les jupes de M. Parizeau à qui il a dédié Pour une gauche efficace. Fort bien! Mais il aurait été intéressant, au-delà des effets de jupe, que Jean-François Lisée réponde aux arguments que je développe contre sa proposition pour améliorer la productivité, en m’appuyant en grande partie sur les thèses développées par M. Parizeau dans son livre La souveraineté du Québec!

Jean-François Lisée m’accuse d’utiliser le « rejet par association ». Ainsi, il écrit que je rejette sa proposition de transformer certains syndicats d’établissements publics en coopératives de travailleurs pour les mettre en concurrence avec le secteur privé, sur le modèle de ce qui a eu lieu à Indianapolis, parce que l’ancien maire d’Indianapolis est un républicain pro-Bush, et il m’invite à demander « ce qu’en pensent les syndiqués et leurs organisations ».

Premièrement, je sais ce qu’en pensent les syndicats. Le Syndicat des cols bleus de Montréal a rejeté, il y a belle lurette, une telle proposition après l’avoir étudiée de près.

Deuxièmement, peu importe que l’idée origine du maire ou du syndicat qui l’aurait émise lorsque le maire lui a mis le couteau de la sous-traitance sur la gorge, ma critique portait bien au-delà du fait que le maire soit un républicain pro-Bush.

Le maire Stephen Goldsmith (c’est son nom), est à la tête d’un vaste mouvement aux États-Unis de privatisation des services publics et de destruction des syndicats camouflée sous le couvert de « l’entreprenariat social », que le maire a développé dans un ouvrage intitulé The Power of Social Innovation.

Au passage, Lisée écrit que je suis « foncièrement opposé à l’économie sociale et solidaire. » S’il avait fait plus que de parcourir mon livre, il aurait pu y lire : « Il ne s’agit pas de faire ici le procès ou de proscrire l’ensemble du secteur de l’économie sociale. Le concept est un fourre-tout, où l’on trouve le meilleur et le pire. » (p. 51)

Sur la question de l’éducation, encore l’accusation de « rejet par association ». Jean-François Lisée laisse entendre que je n’aurais pas compris un de ses subtils jeux de mots et que j’associerais par erreur sa position à l’approche américaine. Il n’en est rien. J’ai écrit que sa proposition de paie différenciée pour les directions d’écoles et les profs dans les écoles des quartiers défavorisés ouvre la porte à la paie au mérite, en vogue aux États-Unis. Une idée que vient d’ailleurs de reprendre à son compte son mentor François Legault dans son récent Manifeste.

Parce que je l’accuse de trouver son inspiration auprès de « penseurs » de droite comme Jean-Paul Gagné et Marcel Boyer, il m’accuse de pratiquer « un genre de MacCarthysme de gauche » et d’inviter « à la fermeture d’esprit ».

Hier, il m’accusait d’avoir lancé une fatwa, maintenant, c’est le « MacCarthysme de Gauche ». Ayoye ! Que nous réserve demain?

Le plus drôle dans son blogue, c’est qu’après m’avoir accusé de « rejet par association », il se défend « par association » de ma critique de ses folles élucubrations de réforme de l’économie mondiale – rien de moins! – dans son livre Imaginer l’après-crise.

Il écrit : « dans ce texte, je tente de mettre en ordre un certain nombre de propositions existantes et je cite le comité d’experts réunis par l’ONU et dirigé par le prix Nobel Joseph Stiglitz (…) C’est Stiglitz qui parle, et j’ai la faiblesse de le trouver brillant ».

Donc, Lisée ne ferait que « mettre en ordre un certain nombre d’idées ». Mais la question est la suivante : est-ce qu’il partage ces idées qu’il met en ordre, ou bien ne fait-il que les trouver « brillantes » comme son auteur?

Mets tes culottes, Jean-François, on veut une défense de ces idées sur le fond, et non par « association »!

Jean-François Lisée relève le fait que j’ai souligné son « anticommunisme virulent », s’en fait une gloire et ajoute : « Je suis également opposé au fascisme, à la peste et aux feux de forêts ». Nous ajouterions, mais pas à l’impérialisme, comme en témoignent ses récents articles sur la Libye.

Lisée qualifie mes critiques d’âneries. J’invite le lecteur à lire Pour une gauche à gauche et à choisir lui-même celui qui doit être coiffé du bonnet d’âne.