Bras de fer entre la CSN et Couche-Tard

2011/03/31 | Par Maude Messier

Dans la saga opposant la CSN et les dépanneurs Couche-Tard, la centrale syndicale a déposé ce lundi une plainte à la Commission des relations du travail (CRT) contre l’entreprise et son président, Alain Bouchard, estimant qu’elle viole le Code du travail et fait entrave au processus de syndicalisation en cours dans ses magasins.

En conférence de presse, mercredi matin, le président de la Fédération du commerce de la CSN, Jean Lortie a déploré le fait que Couche-Tard, par des propos «tendancieux et menaçants », brime la liberté d’association de ses employés.

Une vidéo à caractère menaçant

L’histoire découle de la divulgation d’une vidéo corporative de Couche-Tard le 10 mars dernier par lesaffaires.com dans laquelle Alain Bouchard s’adresse aux employés en tenant des propos très durs à l’endroit du syndicalisme et des conséquences possibles quant à la syndicalisation des dépanneurs, allant même jusqu’à souligner qu’il pourrait y avoir des fermetures de magasins.

D’après la CSN, cette vidéo présentée à l’ensemble des salariés de l’entreprise n’est ni plus ni moins qu’une campagne d’intimidation.

Après avoir pris connaissance de son contenu, la CSN a fait évaluer ses options par ses avocats, d’où le dépôt de la plainte formelle déposée cette semaine.

La CSN réclame non seulement que cesse la diffusion de cette vidéo, mais exige également réparation pour les dommages causés par ces « mensonges éhontés » quant à la campagne d’information et de syndicalisation de la CSN.

La CSN demande que Couche-Tard, ainsi que son président, rétablissent les faits auprès des employés, « par le même moyen de communication ». Jean Lortie a souligné en conférence de presse que des précédents à de telles réparations existent, citant au passage un dossier relatif l’Université Concordia.


Une stratégie de mauvaise foi

Bien que le Code du travail interdit formellement à un employeur d’influencer, par quelque moyen que ce soit, l’exercice du droit d’association des employés, « c’est clair que la stratégie corporative de Couche-Tard est d’entraver le processus de syndicalisation », de déclarer M. Lortie.

À cet effet, il souligne que l’entreprise a tenté d’interférer à deux reprises en déposant des requêtes à la CRT, estimant d’une part que les moyens entrepris par la CSN dans sa campagne d’information et de syndicalisation étaient illégaux et, d’autre part, en tentant d’exclure un groupe de salariés de l’accréditation syndicale en les faisant déclarer « non syndicables ». Couche-Tard a été débouté par la Commission pour chacune de ces tentatives.

Le président de la Fédération du commerce affirmait mercredi être à la fois en colère contre ces « mesures répressives éhontées, crues, cette ingérence et ce dénigrement » et étonné que Couche-Tard ait choisi de diffuser une telle vidéo.

Indiquant que les tactiques d’intimidation, bien que formellement interdites, sont monnaie courante, il précise qu’elles se passent généralement dans la clandestinité, de façon à ne laisser aucune trace. « D’habitude, c’est discret, isolé. C’est la première fois qu’on entend parler d’une vidéo. Par écrit, c’est plus fréquent. »

« S’il avait été bien conseillé légalement, Alain Bouchard n’aurait pas fait ça. C’est à la fois une chance et une malchance d’avoir eu connaissance de cette vidéo. »


Vers une première négociation

Jean Lortie reconnaît que cette campagne de syndicalisation est très médiatisée et insiste sur le fait que la CSN la mène « à visière levée », sans cacher ses intentions.

« Il s’agit de la volonté exprimée par les nombreux employés qui nous contactent pour se renseigner et se syndiquer. La preuve que le message de l’employeur ne passe pas et que les employés ne comptent pas se laisser intimider, c’est le dépôt en accréditation pour le plus gros dépanneurs Couche-tard du Québec à Saint-Liboire. »

M. Lortie invite plutôt la direction de Couche-Tard à se concentrer sur le processus de négociation pour la toute première convention collective des employés du dépanneur situé au coin de Jean-Talon et d’Iberville, à Montréal.

Rappelons qu’il s’agit du seul établissement détenant une accréditation syndicale, trois autres requêtes sont actuellement en traitement à la CRT pour les dépanneurs situés au coin des rues Beaubien et Saint-Denis à Montréal, à Saint-Hubert et à Saint-Liboire.

Compte tenu du fait que les titres d’emploi, les tâches, les normes et l’organisation du travail sont identiques d’un établissement à l’autre et que Couche-Tard est une corporation centralisée avec un seul service des ressources humaines, la Fédération du commerce souhaite que cette première convention serve de modèle applicable aux autres établissements syndiqués.

La CSN attend la convocation de la CRT d’ici quelques jours pour faire entendre sa requête auprès d’un commissaire. Confiant, Jean Lortie a souligné que l’objectif de la syndicalisation de ces employés n’est assurément pas « de faire fermer les dépanneurs », mais bien d’obtenir des conditions de travail décentes pour les employés, comparables à ce qui existe ailleurs dans le secteur de l’alimentation et du commerce.

Il fait valoir que de petites épiceries familiales d’une douzaine d’employés sont syndiquées à la CSN, ce qui permet d’établir des comparatifs. « On veut le respect pour ces travailleurs et ces travailleuses, des salaires au-delà du salaire minimum, des conditions de travail sécuritaires, des assurances, des congés de maladie, etc. »

Au Québec, Couche-tard emploie 6 000 personnes dans 500 magasins. L’entreprise a annoncé des bénéfices nets de 71 millions $ pour son dernier trimestre, soit une hausse de 29,6% par rapport à la même période pour l’année précédente.