D’étranges compagnons de lit : Presse-toi à gauche et Éric Duhaime

2011/04/13 | Par Pierre Dubuc

L’élection fédérale fait d’étranges compagnons de lit. En effet, le site Internet Presse-toi à gauche, dirigé par Pierre Mouterde, et associé à Québec solidaire, appelle dans un article signé rédaction (majorité) à voter NPD. Une position qui a tout pour plaire à Éric Duhaime, du Réseau Liberté-Québec, comme en fait foi sa chronique du 12 avril 2011 du Journal de Montréal.

Pour Presse-toi à gauche, l’élection du Parti conservateur aurait « des conséquences tragiques pour la classe populaire du Canada et du Québec », mais cela ne l’empêche pas de lui faciliter l’accès au pouvoir.

Presse-toi à gauche s’oppose à un vote stratégique pour le Bloc parce que ce dernier « n’hésite pas à soutenir des politiques conservatrices (soutien de l’envoi des troupes en Afghanistan) ».

En fait, l’exemple donné est faux. Le Bloc s’est opposé à deux reprises au prolongement de la mission en Afghanistan.


Le Bloc, trop à droite, ou trop à gauche?

À souligner au passage, que l’historien Éric Bédard, dans une libre opinion parue dans Le Devoir du 30 mars et intitulée « Pourquoi je ne voterai pas pour le Bloc », justifiait sa position parce qu’il trouvait le Bloc trop à gauche!

Bédard dénonçait la « ‘‘CSNisation’’ de l’état-major du parti », mais surtout son appui passé à une coalition Libéral-NPD et la possibilité d’une récidive.

Bédard écrit qu’ « à moins qu’il s’engage formellement à ne plus jamais appuyer des partis centralisateurs et trudeauistes, je ne pourrai voter pour le Bloc Québécois » et il annonce qu’il « risque d’annuler son vote ».

Par contre, si on lit entre les lignes, Bédard voterait pour le Bloc si celui-ci s’engageait à appuyer les Conservateurs dans l’éventualité d’un gouvernement minoritaire.


Un vieux mythe de la gauche

Revenons à Presse-toi à gauche. Il demande à tous de voter pour le NPD parce qu’il y voit « le seul lieu à partir duquel on peut construire un mouvement progressiste pan-canadien ».

La rédaction (majorité) admet que la reconnaissance de la nation québécoise fait problème pour le NPD et le mouvement syndical canadien et que l’unité du mouvement ouvrier et populaire canadien et québécois dépend beaucoup de cette reconnaissance.

Mais les auteurs de cette prise de position passent outre. Ils concluent : « Mais la conjonction de nos forces sur le plan politique, dépassera sa simple addition parce qu’elle déclenchera une dynamique seule capable de répondre à l’impasse politique et à la montée de la droite car elle jettera les bases de la construction d’une alternative politique de gauche à l’échelle canadienne! » (!?!?) Comprenne qui pourra!


Éric Duhaime applaudit

En fait, Éric Duhaime nous aide à décoder la prise de position de Presse-toi à gauche et, surtout, ses conséquences. Dans sa chronique « Québec post-référendaire? », ce leader bien connu de la droite québécoise salue la montée du NPD dans les sondages, allant même jusqu’à flatter dans le sens du poil ses deux leaders, Jack Layton et Thomas Mulcair. Il vaut la peine de le citer longuement :

« Une lueur d’espoir (sic!) se pointe cependant à l’horizon cette année. La montée confirmée ces derniers jours du Nouveau Parti démocratique (NPD) annonce potentiellement une redéfinition complète du paysage politique sur la scène fédérale.

« Menant une campagne positive, bien appuyé par son redoutable lieutenant Thomas Mulcair, le chef néo-démocrate Jack Layton séduit. Il réussit même à attirer la sympathie de nombreux nationalistes québécois avec une sensibilité bien à gauche.

« Le NPD n’a évidemment pas à supporter une campagne de diabolisation orchestrée par le Bloc québécois ou ses meneuses de claques dans les médias et il a encore fort à faire pour traduire cet appui en bulletins de vote dans les boîtes de scrutin au jour J.

« Mais si Layton sort gagnant du débat francophone, bien des Québécois écoeurés des chicanes entre les camps du OUI et du NON, ceux qui souhaitent parler d’autre chose, pourraient bien reconsidérer leur appui inconditionnel au Bloc d’ici le 2 mai prochain. »

Si Duhaime salue la remontée du NPD et souhaite une vraie opposition droite-gauche, ce n’est pas, bien évidemment, parce qu’elle va jeter « les bases de la construction d’une alternative politique de gauche à l’échelle canadienne ».

Il est plus pragmatique. Il écrit : « L’inattendue popularité du NPD pourrait ultimement bénéficier encore davantage aux libéraux et aux conservateurs » et, dans son cas, on soupçonne qu’il voit le parti de Stephen Harper en tirer profit.

Presse-toi à gauche s’est tellement pressé à gauche qu’il se retrouve dans le même lit qu’Éric Duhaime et… Stephen Harper!


Des positions dissidentes

Sur le site de Presse-toi à gauche, on retrouve une position dissidente (rédaction (minorité)?), signée par François Cyr et Pierre Beaudet, intitulée « Pour bloquer la droite : des alliances implicites, faute d’une coalition formelle ».

Les auteurs examinent sérieusement la carte électorale et auraient souhaité que, pour bloquer Harper, le NPD et le Bloc (et pourquoi pas les libéraux) se désistent dans certains comtés pour n’opposer que le candidat le mieux placé pour contrer le candidat conservateur.

Pourquoi cela ne se fait-il pas? « Il faut surtout blâmer le PLC et secondairement le NPD qui ont peur de se lier aux méchants séparatistes », écrivent-ils.

Ils rappellent que « le NPD a toujours refusé de passer la ‘‘ la ligne rouge’’ comme lui suggérait l’aile gauche de ce parti et de reconnaître, autrement que sur papier et une fois pour toutes, le droit à l’autodétermination du peuple québécois. »

Cyr et Beaudet rappellent également que les dirigeants du NPD (avant Layton) se sont toujours rangés de le camp de la « défense du Canada », lors des référendums et des « basses manœuvres de l’État fédéral pour saboter le droit des Québécois de décider (la dite ‘‘ loi sur la clarté’’) ».

Cyr et Beaudet résument bien l’essentiel de la position du NPD et ses conséquences, lorsqu’ils écrivent : « L’argument principal qui est apporté par le NPD lorsqu’il est confronté à ses politiques réactionnaires est qu’il ne peut se permettre d’avoir l’air ‘‘soft’’ contre les nationalistes québécois aux yeux d’une population anglophone pour qui cela équivaudrait à une ‘‘ trahison’’. Mais en capitulant devant ce sentiment, le NPD non seulement se tire dans le pied au Québec, mais mine sérieusement la possibilité d’un changement progressiste au Canada. »


Pas de raccourcis pour les progressistes

Le rêve de construire un grand mouvement progressiste pan-canadien en faisant fi de la question nationale québécoise n’est pas nouveau. Le récit de ses tentatives et de ses échecs pourrait remplir plusieurs rayons de bibliothèques.

Le défi pour les progressistes est d’articuler question nationale et question sociale. Car la question nationale québécoise est la donnée de base de la politique canadienne, comme en témoigne la présence dominante du Bloc québécois au Québec.

La seule façon de trancher ce qui apparaît aux yeux de certains comme un nœud gordien est l’accession du Québec à l’indépendance. Pour reprendre, en l’adaptant, la déclaration de la rédaction (majorité) de Presse-toi à gauche, l’indépendance du Québec « déclenchera une dynamique seule capable de répondre à l’impasse politique et à la montée de la droite car elle jettera les bases de la construction d’une alternative politique de gauche à l’échelle canadienne ».

Nous ajouterions : « si elle est basée sur la reconnaissance, effective et non seulement abstraite, par le mouvement syndical canadien, du droit à l’autodétermination du Québec ».


Appel à la direction de Québec solidaire

Les positions de la rédaction (majorité) et du tandem Cyr-Beaudet reflètent bien les tensions qui agitent Québec solidaire et qui se sont exprimées par un appel d’Amir Khadir et Françoise David à battre le gouvernement Harper, mais en restant vague sur les moyens de le faire.

L’enjeu est important. Le Québec pourrait, encore une fois, faire la différence entre un gouvernement Harper majoritaire ou minoritaire. Il y a quatre circonscriptions au Québec où la division du vote entre le NPD et le Bloc a permis l’élection de députés conservateurs.

La direction du Bloc a déjà envoyé le message qu’elle ne cherchera pas à nuire aux chances de Thomas Mulcair d’être élu dans Outremont. Un retour d’ascenseur dans les comtés où le Bloc peut gagner serait de mise. Il ne viendra pas de la direction du NPD, pour les raisons évoquées par Cyr et Beaudet.

Mais Québec solidaire pourrait prendre le relais, particulièrement dans la région de la Capitale nationale, une région clef, une région, soulignons-le, à laquelle est identifié le site Internet Presse-toi à gauche et son principal responsable, Pierre Mouterde.


À lire : notre dossier sur les élections canadiennes de 2011