Français : langue commune ou nette prédominance? Un peu d’histoire

2011/04/15 | Par Charles Castonguay

Origine et définition de l’objectif du français langue commune

C’est à partir de l’adoption en 1977 de la Charte de la langue française que notre politique linguistique a pour objectif fondamental de faire du français la langue commune de la société québécoise. Il s’agit, plus précisément, de faire en sorte que le français devienne la langue employée entre personnes de langues maternelles différentes pour communiquer entre elles dans les diverses activités de la vie publique : au travail, dans les commerces, et ainsi de suite.

Cette définition du français langue commune remonte, en fait, au rapport déposé en 1972 par la Commission Gendron sur la situation du français au Québec.


Justification du français langue commune

Camille Laurin a tracé les grandes lignes de ce qui deviendra par la suite la Charte de la langue française dans son Énoncé de politique sur la langue de mars 1977, qui reprend nombre de recommandations de la Commission Gendron. De façon globale, c’est dans le but explicite d’assurer la cohésion et la justice sociales que faire du français la langue commune du Québec forme l’axe central de la politique linguistique annoncée par Laurin dans son Énoncé.


Pérennité du français langue commune dans notre politique linguistique

Quel que soit le parti au pouvoir, libéral ou péquiste, depuis 1977 la politique linguistique québécoise a tenu fermement le cap sur l’objectif du français langue commune. En sont témoins, notamment, l’Énoncé de politique de 1990 en matière d’intégration des immigrants à la société québécoise de la ministre libérale Monique Gagnon-Tremblay, qui faisait de la reconnaissance et de l’acceptation du français langue commune une condition essentielle du « contrat moral » entre les nouveaux arrivants au Québec et leur société d’accueil, de même que la Proposition de politique linguistique de 1996 de la ministre Louise Beaudoin intitulée justement Le français langue commune.

En fait, le français langue commune constitue le thème principal de la politique sur la langue proposée dans tous les programmes électoraux du Parti québécois depuis 1977 jusqu’à aujourd’hui.


Raisons pour maintenir le cap sur le français langue commune

Selon une récente enquête de l’OQLF, dans les grandes entreprises québécoises l’anglais demeure encore aujourd’hui la langue le plus souvent utilisée par les travailleurs francophones pour communiquer avec leurs collègues anglophones. D’après une enquête récente de Statistique Canada, la majorité des immigrants qui ne savaient pas parler français à leur arrivée au Québec ne le connaissent toujours pas après quatre ans de séjour ici. Selon le dernier recensement, le revenu d’emploi moyen des travailleurs francophones reste toujours inférieur à celui des travailleurs anglophones.

La liste complète des observations qui démontrent directement ou indirectement que le français n’est pas encore la langue commune du Québec serait trop longue. Mais si la cohésion et la justice sociales ne sont pas encore assurées sur le plan linguistique, ce n’est pas une raison d’abandonner l’objectif de faire du français notre langue commune.


Le français langue prédominante

Le concept du français langue prédominante a comme origine le jugement de 1988 de la Cour suprême sur la langue d’affichage, jugement défavorable à la Charte de la langue française. Il fut inséré en 1993 dans la Charte de la langue française au moyen d’un amendement à sa section portant sur l’affichage, piloté par le ministre Claude Ryan. Le français langue prédominante ne figure nulle part ailleurs dans la Charte.

Ce concept a été repris à partir de 2000 par quelques intervenants sur la question linguistique, en tant que concept additionnel à ceux, plus fondamentaux, du français langue officielle et du français langue commune. Il n’existe cependant aucune définition claire et générale de ce que veut dire la nette prédominance du français. Le concept semble fait sur mesure pour permettre toutes sortes de compromis qui affaibliraient l’objectif du français langue commune.


La langue commune et la nette prédominance dans la Proposition principale

L’objectif du français langue commune ne figure nulle part dans la Proposition principale. Il n’y est question à divers endroits que de l’objectif du français langue prédominante.

La Proposition principale nous invite ainsi à échanger un cheval pour un lapin.


Départisaniser l’Office et le Conseil de la langue française

La manipulation à des fins partisanes de l’information sur la situation linguistique a atteint un sommet à l’Office comme au Conseil de la langue française. Il y a eu en 2008 le fiasco du premier bilan quinquennal sur la situation du français, orchestré à l’OQLF par France Boucher. Il y a maintenant l’avis de Conrad Ouellon et du CSLF sur la loi 101 au cégep, qui vise manifestement à perturber le débat sur le sujet au présent congrès au moyen de donnée lancées en l’air à la dernière minute, données que des chercheurs indépendants réclamaient en vain depuis des mois du ministère de l’Éducation.

Le Parti québécois proposait dans son programme électoral en 1989 et 1994 de rendre ces organismes redevables auprès de l’Assemblée nationale et non du gouvernement au pouvoir, tout comme l’est, par exemple, le bureau du vérificateur général. Les Québécois de toute allégeance politique ont le français langue commune en partage. Afin d’assurer la qualité de l’information et du débat public sur la langue, il est essentiel de reconnaître au français le statut non partisan qui lui revient et de mettre fin à l’omerta qui sévit depuis trop longtemps à l’OQLF comme au CSLF.


Conclusion

Il faut modifier en conséquence la Proposition principale de façon à garder le cap sur le français langue commune et à départisaniser les organismes de la Charte de la langue française.