Ronfard nu devant son miroir ou comment continuer

2011/04/27 | Par Marie-Paule Grimaldi

Avec Ronfard nu devant son miroir, le Nouveau Théâtre Expérimental revient sur l’héritage d’un de ses fondateurs, le fougueux Jean-Pierre Ronfard, quitte à faire retourner ce dernier dans sa tombe! Au-delà de l’hommage, sous la plume et la direction d’Evelyne de la Chenelière et Daniel Brière, l’exercice théâtral scrute, discute et digresse autour de Ronfard, l’homme et son œuvre.

Par une série de tableaux, différentes facettes du créateur sont explorées. On retrouve l’ultra passionné, presque tyrannique, le jeune arrogant, ou littéralement en chien enragé dont on se dispute l’apprivoisement, comme on se dispute aussi sa mort avec des « c’est-moi-qui-le-pleure-le-plus », ou encore multiplié à la manière de Being John Malkovitch et relégué à la sénilité.

Le jeu des comédiens est physique, versatile, surtout pour Daniel Parent et Isabelle Vincent qui étonnent et touchent tout autant. La scénographie est ouverte, dépouillée, simple, et c’est le jeu qui vient donner le ton, marque l’ambiance.

Dès qu’on entre dans le théâtre, on met aussi le pied dans le spectacle. D’ailleurs, attention à l’entracte, faux et particulièrement délicieux. De diverses manières, pas toujours surprenantes mais souvent bien placées, on nous convie à l’expérimentation, bien sûr, première volonté de cette compagnie théâtrale.

Tout le spectacle s’articule autour d’un message téléphonique laissé par Ronfard, peu avant sa mort, à Marthe Boulianne, co-directrice du NTE. Dans ce message, tout d’abord entendu de manière segmentée et distortionnée, il affirme avec urgence, jovialité et un peu de bonhomie, son désir de provoquer, encore, de se défaire des conventions, de repousser des limites, « tanné d’être un gars correct ».

Pour cet homme de théâtre complet qui a osé encore et encore avec des propositions déjantées, en montant les pièces de Claude Gauvreau ou avec Vie et mort d’un roi Boiteux d’une durée d’environ quinze heures, par exemple, pour lui qui utilisait la nudité comme effet choc encore à l’époque, mais toujours appuyé sur une réflexion élaborée car il était érudit comme dix, cet appel à une audace nouvelle inspire et fait aussi sourire. Il y a une émotion également d’entendre à nouveau la voix de Ronfard, cette voix unique et marquante pour l’histoire de théâtre québécois.

Mais cette audace, qu’elle est-elle aujourd’hui, alors que les effets de provocation se sont vus multipliés, voire épuisés? Et que fait-on d’un héritage de liberté, de carpe diem, de révolution continuelle? Jusqu’où doit-on aller pour favoriser l’expérimental et ne pas tomber dans sa propre convenance, dans ses propres conventions?

C’est ce que la pièce explore avec beaucoup d’intelligence et une bonne part d’autodérision. Une des scènes nous montre un Ronfard presque hystérique, proposant un spectacle où le public serait « gazé », pour mieux sentir le dépotoir sur lequel le chapiteau est construit... une critique à peine dissimulée de géants de la culture comme le Cirque du Soleil.

Comment créer librement dans une culture de plus en plus formatée et globalisée, face à une jeunesse plus rigide et en rupture avec le trop d’espace qu’on lui a donné, comme laissés à elles-mêmes?

On entend plusieurs cris cinglants à la fois de cynisme et d’utopie dans les mots de Brière et de la Chenelière, qui appliqueront la remise en question à leur propre démarche. Ronfard nu devant son miroir creuse et fouille non seulement un legs artistique mais aussi l’actualisation de celui-ci.

Plus près d’un « work-in-progress », de l’exercice, que d’une œuvre pleinement accomplie, la pièce et son propos sont réellement complétés par les vidéos publiées sur le site web du NTE, comme carnets de bord de création et petits manifestes virtuels.

Est-ce que présenter une œuvre qui se déploie en différents lieux et supports serait la nouvelle manière d’expérimenter?

Si la pièce est brillante, touchante, drôle et atteint ses propres moments de vérité, elle manque tout de même d’impact et d’ampleur. Revenir sur l’héritage artistique de Ronfard, c’est aussi l’honorer, et comme ces hommages ne sont malheureusement pas très courants, les attentes étaient élevées et on espérait une création plus éloquente, sentie, puissante.

Peut-être que la pièce témoigne justement d’une fragilité, d’un désabusement à la limite, qu’aurait laissé la disparition de Ronfard en 2003. On est avant tout dans un théâtre sur le théâtre, une réflexion, mais l’objet artistique en soi peut justement être remis en question. Tout de même carrément jouissif pour tous les intéressés du sujet, et éloquent pour tout ceux qui, a leur manière, cherche.

Jusqu’au 30 avril, Ronfard nu devant son miroir, Espace Libre, 1945 Fullum